[M] [Critique] Le voyageur du temps - 1960

 
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mallox
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MessagePosté le: Mer Aoû 03, 2011 8:47 am    Sujet du message: [M] [Critique] Le voyageur du temps - 1960 Répondre en citant



Le voyageur du temps - 1960
(Beyond the Time Barrier)

Genre : Science-fiction / Anticipation
Origine : Etats-Unis

Réalisé par Edgar G. Ulmer
Avec Robert Clarke, Darlene Tompkins, Vladimir Sokoloff, Boyd 'Red' Morgan, Stephen Bekassy, Arianne Ulmer...

Envoyé en mission dans l'espace, un pilote se retrouve par hasard en 2024. Celui-ci constate alors avec horreur l'état lamentable de la planète. Après avoir été soupçonné d'espionnage par les autochtones de cet autre temps, il décide de tenter par tous les moyens de revenir en 1960 afin de prévenir les autorités de la catastrophe qui attend la Terre...



Tourné en même temps que « L’incroyable homme invisible », lequel accusait un manque évident d'originalité en plus d'être mené à un rythme invariablement rigide, enchaînant des plans le plus souvent trop statiques, « Beyond the Time Barrier » se révèle un tantinet plus singulier que son siamois, ce, grâce à une utilisation savante des décors mis à disposition, mais aussi, le plus souvent, faits maisons.

Retombé dans l'anonymat à la fin des années 30, bientôt blacklisté, cela n'empêchera pas Ulmer de mener une carrière, avec notamment des années "fastes" au sein de P.R.C. pour laquelle il enchaîne les films tournés avec des budgets dérisoires et avec un temps imparti infime. Une carrière détournée par la force des choses puisque, pour mémoire, on rappellera que le cinéaste avait su conquérir un capital confiance énorme après l'un de ses meilleurs films - et l'un des meilleurs films d'épouvante tout court de la Universal -, « Le chat noir », dans lequel se confrontaient Bela Lugosi et Boris Karloff. Las, celui-ci tomba en disgrâce pour la simple raison que sa femme, accessoirement en charge de ses scripts, refusait les avances de l'un des grands pontes de la Universal.
Une mise en quarantaine ou un état de disgrâce qui, par la force des choses, fera pour beaucoup dans la singularité de l'œuvre laissée par Ulmer.



Taxé trop vite de "Orson Welles" de la P.R.C., Ulmer est bien moins technique et moins distancié que son confrère mégalomane. Soit, il s'agit de deux cinéastes ayant chacun une vision personnelle de leur "art", mais il convient de distinguer un réalisateur ambitieux exerçant au sein des grands studios (avant de se faire régulièrement dupé lors des montages dont le propre contrôle de l'artiste est spolié), d'un auteur œuvrant avec presque moins que rien et donc spolié, lui, à la base. Plus que le Orson Welles de la P.R.C., Edgar G. Ulmer, c'est avant tout un héritage expressionniste couché sur des pellicules progressistes, voire modernes. Même s'il a dû également travailler pour des films de commandes moralisateurs tels que « Damaged Live », il s'attela toujours avec professionnalisme à ses projets mais, comme beaucoup de ses confrères également, avec un intérêt tout aussi variable. C'est du reste ce qui fait la différence entre "The Amazing Transparent Man", dont Ulmer semble s'être désintéressé au profit de ce "Voyageur du temps", peaufinant les détails, autant que faire se peut, dans l'urgence ; et surtout avec une foi tellement proche, parfois, de la naïveté, qu'elle lui permit de manière paradoxale d'aller jusqu'au terme de ses projets, avec des résultats souvent bancals, mais laissant aussi pantois par la richesse intrinsèque thématique et formelle.
Ainsi, au lieu de parler de génie, qualifierais-je Ulmer de cinéaste qui, avec presque rien, fit chaque fois quelque chose, sinon presque.



C'est à nouveau le cas pour "Beyond the Time Barrier", qui se singularise par un côté rétro-futuriste poussé. Ce à quoi on assiste peut se voir, non pas comme le choc de deux mondes et de deux cultures, mais plutôt de trois. D'un côté, il y a le présent, lequel semble assez peu inspirer Ulmer (il se résume au cinq premières minutes dans le film, avec lancement de fusée et dialogues techniques qui vont de pair, le tout filmé au rabais) ; le futur, qui intéresse bien plus le cinéaste puisque celui-ci s'en sert ici pour livrer une espèce de parabole sur la paranoïa de la guerre froide. A prendre "Le Voyageur du temps" de flanc, on aura droit un moment d'être sidéré par un déroulement scénaristique rappelant les pires souvenirs d'une science-fiction post-revancharde alertant sur une présence encore inquiétante du communisme dans le pays de l'oncle Sam, mais discréditant aussi les pratiques effectuées dans les pays de l'Est, notamment en Union Soviétique. Ainsi, peut-on très bien prendre cette "barrière du temps" comme un mur du son dépassé, et donc symboliquement comme un mur Est-Ouest de franchi par notre héros astronaute. Une tradition anti-rouge, à l'époque, alors fort heureusement en voie de disparition, mais belle et bien encore présente, le temps de quelques œuvres éparses ("Tunnel 28" de Robert Siodmak, ancien comparse d'Ulmer pour "Les hommes le dimanche"), et qui disparaîtra des écrans au nom de la nouvelle politique de détente Est-Ouest, au début des années 60. Finalement, au vu du déroulement de l'intrigue, il s'avère au contraire probable qu'Ulmer ait voulu contribuer à cet effort de détente, tout en rappelant la paranoïa hystérique qui venait de sévir des deux côtés d'un mur Est-Ouest ici invisible. Ce qui le fait ressembler à une œuvre anti-rouge primaire tient aussi dans le parti-pris de prendre un héros américain, sans doute démocrate, en tout cas candide, se retrouvant dans un endroit froid, peu accueillant et où, très vite, on le soupçonne d'être un espion. Comme l'emblème de la communauté accuse une forte ressemblance (et de manière certainement peu fortuite) avec la faucille et le marteau (серп и молот Paisley), l'amalgame est certes encore plus tentant à faire. Ulmer n'a pas le temps de faire dans le détail, aussi, si certaines affiliations paraissent grossières, le discours en filigrane est plus subtil qu'il ne semble l'être et renvoie les deux blocs à leurs propres responsabilités.
Quant au passé évoqué juste avant, il vient ici se mêler au film de façon formelle, pour accoucher d'un conte qu'on qualifiera de rétro-futuriste...



Soit, le film n'est pas exempt de défauts. Il est trop souvent figé, doté de quelques raccords malheureux, souvent ampoulé, le rapprochant par trop de fois d'une emphase un brin ennuyeuse, mais le plus beau voyage qu'offre "Le voyageur du temps", c'est celui d'une rencontre entre l'expressionnisme et le modernisme. Le passé et le futur, donc.

Difficile, au regard de certaines scènes, de ne pas se souvenir qu'Ulmer est à la base un décorateur et qu'à ce titre il fut souvent non crédité aux génériques de films pourtant importants. Il y a une sorte de fascination pour la géométrie, que l'on avait déjà vue avant ("Le chat noir", "Barbe Bleue", "Détour", "The Man from Planet X", "La Fille du Docteur Jekyll", "The Amazing Transparent Man", "L'Atlantide"...), une quasi obsession qui le fait rentrer directement dans la catégorie des auteurs, bien que faiseur avant tout. Difficile de ne pas se souvenir à la vision du "Voyageur de l'espace" qu'Ulmer œuvra en son temps comme décorateur pour Max Reinhardt ou sur des colosses cinématographiques comme "Metropolis" et "M le maudit" de Lang, ou "L'Aurore" de Murnau. Difficile d'affirmer, tout compte fait, si le cinéaste ne faisait que ce qu'il savait faire et ce pour quoi il avait été formé, ou bien s'il y a derrière la démarche une véritable conscience. Le fait que les toiles de fond du film (ce fut déjà le cas, par exemple, de son "Barbe Bleue") soient toutes faites par Ulmer semble attester d'un véritable intérêt en ce domaine. Dans "Le voyageur du temps", l'obsession anguleuse va même jusqu'à construire les fondus enchaînés en forme triangulaire eux aussi...



Si "Beyond the Time Barrier" est handicapé par un certain statisme dû à la pauvreté du budget (les décors tendent à prendre le dessus sur l'histoire), il recèle toutefois des séquences fortes intrigantes et réussies à l'instar de l'arrivée de l'astronaute dans un monde de prime abord désertique. Les contrastes entre des décors arides et désolés et le costume du spationaute offrent ce qu'il y a sans doute de meilleur dans le film ; la première partie, son errance dans un espace quasi-désertique, fait fortement penser au roman de Richard Matheson, "Je suis une légende", et aux deux adaptations qu'il connaîtra en 1964 et en 1971.
Ailleurs, l'omniprésence de formes triangulaires (allant même parfois jusqu'à servir de cadres pour d'autres formes géométriques humaines ou matérielles) sur lesquelles viennent inéluctablement se poser des ombres menaçantes renvoie autant à l'expressionnisme du réalisateur qu'au film noir, genre auquel "Beyond the Time Barrier" ne fait pourtant absolument pas partie. Cette présence, d'un style presque fantomatique, lui confère également une aura particulièrement savoureuse.

Outre ces aspects intéressants, qu'ils soient d'ordre esthétique ou thématique, il convient de signaler que les acteurs sont ici très correctement dirigés et n'ont rien à envier à ceux qu'on trouvera par exemple, la même année, dans "La machine à explorer le temps" de George Pal, avec lequel il entretient quelques similitudes (ce ne fut pas toujours le cas ; il n'y a qu'à se rappeler le piètre "L'Atlantide" et ses acteurs égarés dans un film lui aussi perdu d'avance). Si l'on retrouve Arianne Ulmer, la fille du réalisateur dans un petit rôle, on aura d'yeux que pour la mini-jupette de Darlene Tompkins, alors âgée de 18 ans et qui ne fera pas une grande carrière ensuite. Notons surtout deux présences importantes : celle de Vladimir Sokoloff, fort d'une carrière allant du muet jusqu'au "Taras Bulba" de Jack Lee Thompson en 1962 après lequel il décèdera, et celle de Robert Clarke, à qui le film doit beaucoup : en effet, non content de tenir le rôle principal, Robert Clarke, qui avait déjà joué chez Ulmer en 1951 pour "The Man from Planet X", et réalisé l'année précédente "The Hideous Sun Demon", est ici producteur de la chose. Aussi, son investissement est si manifeste à l'écran que son engagement finit, par la force des choses, à convaincre. Peut-être aussi que les directeurs alors en charge du casting ne furent pas étrangers à cet aspect non négligeable de l'entreprise : il s'agissait de Baruch Lumet et de son fils Sydney, lequel venait de réaliser le fameux "12 hommes en colère", et qui fera ensuite la carrière que l'on sait...


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Dernière édition par mallox le Ven Avr 06, 2018 6:06 am; édité 6 fois
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sigtuna
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MessagePosté le: Mer Aoû 03, 2011 10:06 am    Sujet du message: Re: [Critique] Le Voyageur du temps - 1960 Répondre en citant

mallox a écrit:

Origine : Etats-Uniz wwwqs
C'est quoi ça? de l'antiaméricanisme primaire. new_diable

Je flooderais bien sur ta remarque sur Welles (que je trouve hyper ultra surévalué à part pour son citizen Kane qui à mon avis doit beaucoup au frère de Mankiewicz) mais je m'abstiendrai.

Belle critique sinon.
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mallox
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MessagePosté le: Mer Aoû 03, 2011 10:10 am    Sujet du message: Re: [Critique] Le Voyageur du temps - 1960 Répondre en citant

sigtuna a écrit:
mallox a écrit:

Origine : Etats-Uniz wwwqs
C'est quoi ça? de l'antiaméricanisme primaire. new_diable


frank_PDT_16

Ah merde, j'ai laissé mon notepad ouvert en passant l'aspirobrosse sur mon clavier... ico_mrgreen
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Bigbonn
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MessagePosté le: Mer Aoû 03, 2011 11:05 am    Sujet du message: Re: [Critique] Le Voyageur du temps - 1960 Répondre en citant

mallox a écrit:
A prendre "Le Voyageur du temps" de flanc, on aura droit un moment d'être sidéré par un déroulement scénaristique rappelant les pires souvenirs d'une science-fiction post-revencharde alertant sur une présence encore inquiétante du communisme dans le pays de l'oncle Sam, mais discréditant aussi les pratiques effectuées dans les pays de l'Est, notamment en Union soviétique. Ainsi, peut-on très bien prendre cette "barrière du temps", comme un mur du son dépassé, et donc symboliquement, comme un mur Est-Ouest de franchi par notre héros astronaute. Une tradition anti-rouge, à l'époque, alors fort heureusement en voix de disparition, mais bel et bien encore présente, le temps de quelques oeuvres éparses ("Tunnel 28" de Robert Siodmak ancien comparse d'Ulmer pour "Les hommes le dimanche"), et qui disparaîtra des écrans au nom de la nouvelle politique de détente Est-Ouest, au début des années 60. Finalement, au vu du déroulement de l'intrigue, il s'avère au contraire probable qu'Ulmer ait voulu contribuer à cet effort de détente, tout en rappelant la paranoïa hystérique qui venait de sévir des deux côtés d'un mur Est-Ouest ici invisible. Ce qui le fait ressembler à une oeuvre anti-rouge primaire tient aussi dans le parti-pris de prendre un héros américain, sans doute démocrate, en tout cas candide, se retrouvant dans un endroit froid, peu accueillant, et où, très vite, on le soupçonne d'être un espion. Comme l'emblème de la communauté accuse une forte ressemblance (et de manière certainement peu fortuite) avec La faucille et le marteau (серп и молот Paisley), l'amalgame est certes, encore plus tentant à faire. Ulmer n'a pas le temps de faire dans le détail, aussi, si certaines affiliations paraissent grossières, le discours en filigrane est plus subtile qu'il ne semble l'être et renvoie les deux blocs à ses propres responsabilités.


Je comprends pas bien ce passage: le film a une forte tonalité anti-communiste primaire mais participe à l'effort de détente entre les deux blocs?
au premier degré, c'est très anti-rouge mais au second pas du tout, c'est ça?
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mallox
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MessagePosté le: Mer Aoû 03, 2011 1:21 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Bah disons qu'il en possède de prime abord les caractéristiques mais qu'au fur et à mesure que le film se déroule, il s'avère que le propos est plus finaud que cela.
(Mais le doute subsiste ! )
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MessagePosté le: Ven Nov 18, 2011 8:49 am    Sujet du message: Répondre en citant

Quote; "au premier degré, c'est très anti-rouge mais au second pas du tout, c'est ça?"

Je suis pas du tout anti-rouge, mais un coup de blanc de temps en temps ça fait aussi du bien par où que ça passe. ico_mrgreen
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