[M] [Critique] Balada triste de trompeta

[Morgane Caussarieu]

Balada Triste de Trompeta



Genre : horreur, historique, drame

Année: 2011

Pays d'origine: Espagne

Réalisateur : Alex De la Iglesia

Casting: Santiago Segura, Antonio de la Torre, Javier Botet, Fernando Guillén Cuervo, Carolina Bang, Fran Perea.


En pleine Guerre Civile espagnole, un clown se retrouve au milieu d’un bain de sang, après avoir été recruté par les Républicains pour défaire l’armée franquiste. En 1973, deux ans avant la mort de Franco, le fils de ce clown, Javier, intègre un cirque en tant que clown triste. Il tombe alors sous le charme de la belle acrobate Natalia. Mais celle-ci, masochiste, est déjà la propriété du violent et sanguin Sergio, l’Auguste, le clown joyeux. S’ensuivra un combat sans merci entre les deux artistes, qui finiront par se défigurer et s’entretuer pour l’amour de la belle.



Bouleversant et jubilatoire, Balada triste est une œuvre baroque où le grotesque côtoie le sublime, une ode à l’Espagne, une réflexion détournée sur le Franquisme comme le cinéma hispanique n’en avait pas livré depuis le sensible Cria Cuervos, de Carlos Saura en 1976. Mais nous sommes chez le provocant Alex de la Iglesia, et le message ne sera pas transmis dans la retenue et le non-dit, mais plutôt dans l’exagération, avec les armes du bis, de l’humour noir : le malaise d’un pays entier se retranscrira dans le microcosme du cirque, s’inscrivant douloureusement dans la chair même de ses protagonistes. Car Balada Triste est un film viscéral, qui touche au corps et à son altération, à l’organique ainsi qu’aux pulsions (sexuelles et sadiques).



La déchéance de l’Espagne franquiste catholique se reflète sur le visage de ces deux clowns échappés de l’Enfer, l’un brûlé à la chaux et au fer à repasser sous sa grandiloquente coiffe d’évêque, et l’autre ravagé, ne tenant encore en place qu’à l’aide de points de suture grossiers. Quelle meilleure représentation pour un peuple qui souffre que le personnage de Javier, qui ne peut devenir que le clown blanc, celui qui est triste, car la guerre civile l’a traumatisé, lui enlevant son père et son sens de l’humour au passage ? Face à lui, un Sergio dictatoriale, qui fait régner la terreur sur son cirque, jusqu’à ce que son visage de monstre soit révélé au grand jour, suturé et difforme. S’effondre alors la fragile cohérence de ce monde du spectacle, qui peut tenter de renaitre autrement, libéré de son tyran.
La mélancolique chanson Balada triste de Trompeta qui a inspiré le scénario à De la Iglesia (et qui risque de vous rester dans la tête), renforce cette idée d’une nostalgie d’antebellum, d’une époque bénie sans dictature, où les enfants riaient en toute innocence devant les pitreries de clowns pas encore dégénérés et armés de machettes :
« balade triste d'une trompette pour un passé qui n'est plus, et qui gémit et qui pleure comme moi... » chante Raphael en 1964. Cette balade triste est donc celle de Javier, à qui la guerre a volé son enfance et qui décide de se venger plutôt que de se lamenter, de sombrer dans la démence pour fuir le monde dans lequel il évolue.



Mais Iglesia ne s’arrête pas qu’à sa critique du régime Franco. Le réalisateur le plus barré du cinéma espagnol nous gratifie au passage d’un formidable moment de cinéma de genre, hommage aux films de monstres des années 30, intégré dans un générique grandiose qui donne tout de suite le ton de ce qui va suivre. Les thèmes du cirque, de la mutilation, de la difformité et de la belle trapéziste inaccessible, ramènent au cinéma de Browning et plus particulièrement, à L’Inconnue et à Freaks. Le clown, figure sympathique censée amuser la jeunesse, se transformera en croque-mitaine cauchemardesque, aussi effrayant (si ce n’est plus) que la créature de Frankenstein ou le loup-garou : lubrique, moche, ultra-violent, adepte des blagues de mauvais gout, se produisant dans des catacombes, il vole les barbapapas aux enfants, manque de les faire tomber, ou pire, les menace d’une arme. Iglesia s’inscrit dans la lignée d’une tradition de clowns tueurs, on se souvient du glaçant Ça de Stephen King qui en a traumatisé plus d’un, du clown démoniaque de Spawn, des Killers-Clown from outer space et j’en passe…
Balada Triste n’hésite pas sur les maquillages de clowns bien crados, le fard n’étant plus là que pour dissimuler les cicatrices en dessous, recouvrant les visages autrefois avenants de Santiago Segura et Antonio de la Torre . Autant dire que le Captain Spaulding de Rob Zombie peut aller se remaquiller s’il veut retrouver sa place sur le podium des clowns les plus gores de l’histoire du cinéma !



Avec sa photographie léchées aux images surréalistes, ses costumes flamboyants et son ambiance seventies magnifiquement rendue, ses dialogues cinglants, ses images à l’érotisme vulgaire, ses personnages de forains abracadabrant et l’interprétation parfaite de son trio d’acteurs principaux, Balada Triste pourrait bien être le chef d’œuvre d’Alex de la Iglesia...

10/10

[tubbytoast]

Elu meilleur film du récent (Avril) festival HalluCo. de Lyon par le jury
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http://www.letubbyblog.blogspot.com/

[mallox]

Oh bah alors je dis pas ce que j'ai pensé du film. Je serais parano, j'imaginerai un coup monté !

En tout cas, tu le défends bien !
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[flint]

A titre indicatif, Morgane, le [C] placé devant [Critique] ne doit être mis qu'après relecture de la chronique par un modérateur.
Cela nous permet aussi de nous y retrouver pour les mises en ligne.
Ceci étant, c'est vrai que tu ne fais pas de fautes (ou si peu).

[Valor]

Et il vaut mieux faire des captures-maison plutôt que de récupérer des photos sur le net ... surtout en hotlinking !

En voilà quelques-unes faites à partir de la B.A. :




A part ça, encore un grand bravo et merci, Morgane !

[Morgane Caussarieu]

[flint]

[Morgane Caussarieu]

ah ouais, c'est quand meme une image web, puisque tu passes par un hébergeur^^

je suis vraiment très très nulle en informatique, je sais pas si je vais arriver à faire tout ça

[flint]

Il n'y a pas de raison, je suis également très nul en informatique, mais j'arrive quand même à m'en sortir.

[Valor]

[sigtuna]

[Morgane Caussarieu]

désolé pour cet oubli !

quand à trop bien écrit, je pense pas, j'ai lu sur ce site des critiques bien mieux écrites que les miennes !

[sigtuna]

[Morgane Caussarieu]

oki, bien reçu.
Pour l'enthousiasme excessif, c'est que je n'ai critiqué pour l'instant que des putains de bons films !
t'en fais pas je serai plus mesuré si je critique des moins bons^^

[mallox]

Pas pour faire mon chieur mais juste une petite précision pour Morgane : Sur psychovision, on privilégie des films plutôt confidentiels *. ça ne veut pas dire que "Balade triste" n'a pas sa place sur un site dédié au cinéma de genre, car c'en est un. Mais un brin mainstream pour ici (ce qui m'empêchera pas, bien sûr, de mettre ta critique en ligne, même si comme le sous-entend Sigtunox, je me méfie des sur-enthousiasmes à chaud).

La preuve : il fait la couv' de magazines, d'un paquet de sites (même de l'ultra-libéral Tortillafilms : http://tortillafilms.tortillapolis.org/ ).

Voilà, donc en général, on évite, sans que ce soit pour autant une règle absolue. (Non, nous ne sommes pas tous des vieux réacs comme Flint ! Mais il me semble que si l'on avait eu le choix, il n'y aurait même pas sur le site de critique de "28 jours plus tard", de "Amityville, le remake", de "Constantine" ou de "Saw". Après, forcément, on respecte les envies de chacun - même si ça fait chmire).

Quant au film, perso, c'est une question d'équilibre qui à mon sens ne fonctionne pas vraiment. Finalement pour ma part, j'ai évolué, en voyant le film, dans un No Man's Land sans véritable émotion. Je n'ai pas accroché aux personnages, je n'ai pas ri, je n'ai pas été touché, malgré que les intentions y soient. J'ai trouvé ça intéressant, riche mais que la sauce -question sensibilité ou d'humeur du moment sans doute- ne prenait pas vraiment.
Par contre, il y a une chose qui ne cesse de m'étonner. Dans la flopée de références citée à droite à gauche dans la presse, de Browning à Bunuel, personne ne cite Fellini auquel selon moi le film emprunte énormément sinon même tente de pratiquer le même mélange onirique. Même l'histoire et la critique du fascisme comme dans "Amacord", même l'attirance pour les freaks ("tous les Fellini"), le contexte (le cirque -"les clowns" et j'en passe), etc. (enfin, sans même voir le film, y a juste à lire les qualificatifs que "Balade triste" récolte pour que le lien paraisse évident. Après vision, ça me paraît criant même si je respecte les références de chacun).
Bref, autant l'accueil du film ne me surprend guère, autant l'absence de citation du sieur Federico en référence ne cesse de m'étonner.


* Un petit topo ici :
http://psychovision.net/forum/viewtopic.php?t=1546
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