Armaguedon - 1977

[Bigbonn]

En 1977, Alain Delon producteur produisait un film d'Alain Jessua avec Alain Delon acteur (en fait, une co-production franco-italienne). Loin de ses rôles de flics ou de dur-à-cuire un peu trop récurrents, il jouait, bien sûr, un personnage de premier plan mais finalement assez secondaire par rapport à celui incarné par un autre acteur, Jean Yanne.

Solitaire travaillant pour une société de dépannage de TV, Louis Carier (Jean Yanne), un habitant d'une cité du Nord de la France brillant par ses terrils, ses HLM et ses corons, ne fréquente qu'une personne, un pauvre diable ramasseur de papiers gras, qu'il appelle Einstein.
Venant d'hériter d'une forte somme d'argent grâce à l'assurance-vie de son frère décédé dans un accident de voiture, Carier décide de faire parler de lui et de menacer le monde, sous le pseudo d'Armaguedon.

Excellente idée de départ: alors qu'il projette de flinguer le premier ministre lors d'un salon quelconque, dans une bousculade, Carier se retrouve à lui serrer la main, dans un geste immortalisé par la presse contredisant ses intentions premières. Du coup, au lieu de tuer ses cibles potentielles, il se fait prendre en photo dans la même position avec d'autres élites (économiques, politiques, médiatiques), envoyant à la police des enregistrements de menaces en plusieurs langues et en laissant planer le doute sur ses intentions réelles et criminelles.
La force du film, réalisé en 77, vient aussi de cette exploitation toute neuve, par Carier, des mass-médias (presse écrite, puis télés et radios) et par ce profond désir de reconnaissance qui le pousse à s'enfoncer dans une surenchère sans issue. Il est un peu la copie ou, plutôt, la prophétie de tous ces types paumés, isolés, aigris et refoulés qui pensent accéder à une forme de notoriété en provoquant des drames spectaculaires à visée médiatique (cf le type qui avait déboulé en plein conseil municipal pour dégommer des élus et dont le but, finalement, n'était pas tant de tirer sur des politiques que de faire, pour une fois, parler de lui, même négativement).

En fait, Carier s'est lui-même enfermé dans son isolement, peu aidé par une jeunesse forcément difficile, mais n'ayant finalement même pas conscience qu'il n'est pas si seul que cela puisqu'il a Einstein, aussi fidèle que faible d'esprit, prêt à le suivre et finalement trahi.
Bref, il n'a pas de vie sociale, pas de vie amoureuse ni sexuelle, mais il ne fait rien non plus pour cela et s'enferme dans un délire mégalomane, avec une certaine efficacité il faut bien le dire.

Delon, dans tout ça, joue le rôle d'un psy sollicité par la police pour les aider à vaincre ce mystérieux Armaguédon, sans grand succès dans un premier temps, son discours volontairement provocateur sur la faiblesse de Carier poussant celui-ci à commettre un crime atroce...

A l'époque de sa sortie (16 mars 1977), le film fut presqu'unanimement éreinté par la critique alors même qu'incontestablement il porte en lui une vision très précise et presque prophétique de ce que seront parfois les dérives de notre société contemporaine, les comportements déviants de certains influençant et étant influencés par la sphère médiatique en général et la télévision en particulier. A l'époque pourtant, il n'y avait que trois chaines hertziennes et, pour changer de chaine, fallait lever son cul!

Tiré d'un roman de David Lippincott, ce film peu connu d'Alain Jessua avec Alain Delon, Jean Yanne mais aussi Michel Duchaussoy et Renato Salvatori, même s'il n'est pas exceptionnel, mériterait probablement d'être revu à la hausse.