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Walter Paisley 99 % irradié


Inscrit le: 27 Nov 2004 Messages: 1332 Localisation: Place du Colonel Fabien
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Posté le: Sam Déc 16, 2006 11:01 am Sujet du message: [M] [Critique] The Intruder |
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The Intruder. 1962.
Origine : Etats-Unis
Genre : Drame
Réalisation : Roger Corman
Avec : William Shatner, Frank Maxwell, Beverly Lunsford, Robert Emhardt...
Après la promulgation de la loi permettant aux jeunes noirs d'intégrer les écoles jusqu'ici réservées aux blancs, un certain Adam Cramer (William Shatner) arrive dans la petite ville de Claxton, dans le sud historique des Etats-Unis, pour inciter la population locale à refuser cette situation. Très bien reçu par la grande majorité des citadins, Cramer perdra pourtant très vite le contrôle de ce qu'il a lui-même créé, et la colère populaire dépassera très vite le simple cadre des revendications pour tomber dans la haine et la violence physique et morale. Les étudiants noirs seront de plus en plus menacés, de même que les quelques blancs qui prennent position de leur côté...
Marquant une pause dans son cycle Poe, Roger Corman choisit de verser dans un sujet politique en adaptant un livre de 1958, signé Charles Beaumont (un scénariste de la Quatrième Dimension qui écrit aussi le scénario du film), et adapté d'une histoire vraie : celle d'un fasciste étant venu dans le Tennessee pour attiser une haine qui aura finalement nécessité l'intervention de la Garde Nationale. Et avec The Intruder, Corman livre aussi l'un de ses films dont il est le plus fier, et probablement le film qui lui a valu le plus de reconnaissance de la part de la critique, décrochant notamment un prix au festival de Venise, ainsi que des invitations au festival de Cannes et au festival international du film pour la Paix de Los Alamos. Pourtant, du propre aveux du réalisateur, de toute sa filmographie, The Intruder fut le film le plus difficile à mener à bien. Beaucoup de producteurs (dont l'American International Pictures, pourtant habituellement fidèle à Corman) reculèrent devant son sujet très sensible, si bien que Corman dut lui-même gérer tout le film, prenant au passage à ses côtés son frère Gene pour l'aider à gérer son budget de 80 000 dollars. Le tournage lui aussi fut extrêmement ardu, puisque les frères Corman choisirent de tourner directement dans le sud des Etats-Unis pour plus de réalisme au niveau des décors, mais aussi de l'accent des personnages secondaires, recrutés sur place via notamment un appel à la radio ! Oui mais voilà, le problème fut que toute cette population locale, incluant les acteurs aussi bien que les autorités du coin, se montra largement hostile au film ou y trouvèrent un moyen d'exprimer véritablement leur racisme. C'est ainsi que pendant l'une des scènes où le personnage de William Shatner harangue la foule en déballant ses sornettes anti-noirs, anti-juifs et anti-communistes (tous vu comme membre d'un gigantesque complot anti-américain ourdi secrètement par Moscou), la réaction des figurants ne fut absolument pas simulée, mais tout à fait réelle. De quoi mettre mal à l'aise sur le plateau. D'autant plus que vu le sujet du film, ouvertement libertaire et en faveur de l'égalité, les frères Corman se mirent à recevoir des coups de téléphones et des lettres de menaces. La librairie du coin fut également mise sous pression, les racistes du coin désirant vérifier d'eux mêmes le sujet de cet Intruder dont l'adaptation venait déranger la paisible vie de la ville. Le livre étant encore plus libertaire que le film, cela détoriora encore un peu plus le climat. Ajoutons enfin le manque de coopération des autorités, et notamment d'un shérif qui, guère impressioné par les autorisations de tournage, fit expulser les frères Corman après s'être adressé à eux en ces termes (cf l'autobiographie de Corman, "How I mad a Hundred movies in Hollywood and never lost a dime", DaCapo Press) "Vous êtes un tas de communistes et on sait tous ce que vous êtes venus faire : vous essayez de commencer une révolution. Je me fous de vos papiers. Dégagez ou allez en taule." Les ennuis continuèrent encore après le tournage, puisqu'au moment même où le film était projeté au festival de Cannes se déroula aux Etats-Unis la polémique autour du jeune James Meredith, un étudiant de couleur autorisé à intégrer l'université du Mississippi, ce qui provoqua une série d'émeutes. The Intruder fut retiré du festival de Cannes, et fut grandement handicapé pour sa distribution aux Etats-Unis. Le film fut le premier échec commercial de Roger Corman.
Pourtant, son film le plus politique est aussi assurément l'un de ses meilleurs films. Corman ne désigne aucun héros : dès le début nous suivons Adam Cramer, qui à priori semble un citoyen normal et honnête, mais qui très vite se montre être un raciste; calculateur certes mais très mauvais calculateur. Etant raciste, il ne désire rien d'autre que faire annuler la loi pour la déségrégation tout en préservant l'honneur de son mouvement, la Patrick Henry (!) Society. Il adopte pour cela une politique de défense, de non-agression, et il cherche à pièger les étudiants noirs en les faisant accuser à tort de crimes qu'ils n'ont pas commis, pour mieux pouvoir justifier son idéologie ainsi que les réactions de ses partisans. Mais la haine de ceux-ci, attisée par des speechs grossièrement propagandistes, sera incontrôlable, et les agressions racistes vont apparaître. Corman décortique ici les origines des dérives fascistes de son époque et met en avant le poids de mots incontrôlés face à une foule dont la colère n'attend que la moindre étincelle pour exploser. Dans son optique indépendante, il livre un film tout sauf démagogique, et "l'esprit sudiste" se voit réduit au rang de sauvagerie beauf, ignare, crédule et intolérante. Quand au personnage de William Shatner, si il est un peu plus malin que ceux qu'il tente de mobiliser par ses discours, il ne fait pas le poids face à la foule. Les dangers de la propagande sont tels qu'une idée déjà à la base malsaine peut très vite provoquer des dérives incontrôlables. Car la Patrick Henry Society représentée par Cramer (certainement la représentation à l'écran de la John Birch Society) ne maîtrise rien du tout, s'adressant à un peuple indépendant, et même pas contrôlé par une quelconque discipline de Parti. L'anarchie menace, et Cramer ne peut rien faire d'autre que de suivre le mouvement, même quand il voit que tout lui échappe et que même sa volonté de pouvoir ne peut être satisfaite. Il n'osera pas tenter de calmer la rage populaire (qui touche toute les classes sociales), et même dans ses histoires privées, il se montrera tordu et lâche. Un bien piètre specimen d'humain, qui n'osera s'opposer et menacer que les plus faibles.
Au milieu de toute cette folie, rares seront ceux qui s'opposeront. Corman n'en fait d'ailleurs pas des grands combattants idéologiques pour l'égalité. Prenant des personnages normaux, que rien ne séparent des autres et qui au départ pouvaient eux-mêmes être opposés à la loi sur la déségrégation, il les dote juste d'un bon sens né de l'observation de la folie de leurs concitoyens et qui les feront prendre part à la défense des droits civils. Ou du moins de ce qui s'en rapproche le plus, tant le film ne les montre que comme des gens raisonnables ne cherchant juste qu'à aider à faire appliquer une loi plus humaine, qu'elle fasse parti des droits civils ou non.
Corman ne donne pas véritablement de personnages centraux positifs à son film, et ceux qui apparaîtront comme tels seront vite mis hors circuit. Ce qui fera de The Intruder un film très dur, suscitant la révolte et le dégoût des spectateurs, et assurément l'un des films les plus antiraciste de son époque. Il faut également dire que Corman s'appuie sur une mise en scène qui n'est pas sans rappeler ses films fantastiques, avec des angles de caméras assez étranges et avec une musique qui ne dépareilleraient pas dans un de ses films d'horreur. La présence de Charles Beaumont, rappelons le également scénariste pour la Quatrième Dimension de Rod Serling, n'y est peut-être pas pour rien non plus. Le seul défaut notable à signaler pouvant lui aussi découler de cet aspect "Twilight Zone" : un final abrupte et changeant radicalement la tonalité qui avait précédé. Mais si ce n'est pour ceci, The Intruder frôle l'appelation de chef d'oeuvre. C'est en tout cas l'un des films les plus ambitieux de Corman, son plus politique, et le cinéaste y expose véritablement toute sa conception de la société dans un style cru qui anticipe quelques chef-d'oeuvres radicaux et très sombres des années 70.
9/10
Accroche : La politique de Corman
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PS : Vu que ce n'est pas un film de genre, ni même un film d'exploitation, si vous jugez que cette critique n'est pas publiable, c'est pas grave. |
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mallox Super héros Toxic


Inscrit le: 10 Sep 2006 Messages: 13982 Localisation: Vendée franco-française
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Posté le: Sam Déc 16, 2006 11:42 am Sujet du message: |
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ben non, elle est excellent et plus que publiable même !
enfin, je parle pour moi ...
En fait, ce qui m'amène ici, c'est que j'étais justement sur une page causant du film, je reviens sur psycho, et hop, je tombe sur ta critique ...
Pas la 1ere fois qu'on se croise dans les idées de films... (la longue nuit de l'exorcisme) ... on va croire qu'on habite ensemble à la fin  _________________
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Walter Paisley 99 % irradié


Inscrit le: 27 Nov 2004 Messages: 1332 Localisation: Place du Colonel Fabien
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Posté le: Sam Déc 16, 2006 12:03 pm Sujet du message: |
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C'est parce qu'on m'a chargé de t'espionner, donc je vois les mêmes films que toi via mon système de videosurveillance (résultat bientôt en vente chez Colombus sous le titre de Caniche Balls Holocaust). |
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Bigbonn Psycho-cop


Inscrit le: 13 Déc 2004 Messages: 4107
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Posté le: Sam Déc 16, 2006 2:58 pm Sujet du message: |
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Pour moi, pas de problème non plus; c'est un Corman, pourquoi le bouderait-on?
Qui plus est, la ségrégation raciale aux USA n'est pas si connue que ça dans le grand public et on a souvent du mal à imaginer cette ségrégation légale dans "la plus grande démocratie du monde" il n'y a encore pas si longtemps finalement.
"Whites only - Blacks only"... dingue quand même, quand on y pense... |
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mallox Super héros Toxic


Inscrit le: 10 Sep 2006 Messages: 13982 Localisation: Vendée franco-française
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Posté le: Ven Aoû 10, 2012 6:01 am Sujet du message: |
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Ce qui me fait repasser par ici c'est la lecture de "La bête qui sommeille" de Don Tracy. écrit en 1938, traduit en France en 1951, on retrouve, bien que le récit se passe sur la côte Est, les mêmes ingrédients (parfois certaines scènes de The Intruder, et même de "La poursuite impitoyable" de Penn, et surtout un état d'esprit similaire).
Bref, je voulais rester dans l'univers plouquesque fait de préjugés, de peur de l'étranger et dans lequel des "gourous" ou des politiques dressent les foules contre des pseudo complots Negro-Communisto-Juifs.
A titre de comparaison, je serais assez curieux de lire le livre de Charles Beaumont s'il a été traduit. Le bouquin de Don Tracy, surtout pour 1938, m'a semblé d'une violence frontale étonnante. (pour info, Don Tracy écrira plus tard pour la série "Peyton Place" sous un pseudo et finira comme "nègre" pour d'autres écrivains).
Du coup j'ai revu cet excellent "The Intruder" et ma foi j'ai le même bémol que Walter à ce propos :
Citation: | un final abrupte et changeant radicalement la tonalité qui avait précédé. |
SPOILER : Plus qu'un changement de tonalité, c'est carrément le changement de la foule qui pour le coup est gênant et absolument peu crédible. Une foule qui prend conscience ainsi, aussi rapidement, réfutant d'un seul coup d'un seul tout racisme, c'est dommage, ça le fait moyen. Du coup, on a l'impression que Corman nous dit "Méfiez-vous des gourous !" et que ça ne va pas plus loin alors qu'il y a 80 minutes de travail de sape avant. SPOILER :
Sinon la scène où Shatner défile avec des gens du KKK en caisse la nuit tombée, en pleine ville, avec des noirs en train de chiquer sur les bas-côtés, est géniale et possède une grande force.
Sans conteste l'un des tout meilleur Corman. Il faut voir ce film !
(Et il faut lire le livre de Don Tracy !) _________________
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Candyman 20 % irradié


Inscrit le: 13 Nov 2005 Messages: 122 Localisation: Partout où l'on ne m'oublie pas.
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Posté le: Sam Aoû 11, 2012 5:41 am Sujet du message: |
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mallox a écrit: |
SPOILER : Plus qu'un changement de tonalité, c'est carrément le changement de la foule qui pour le coup est gênant et absolument peu crédible. Une foule qui prend conscience ainsi, aussi rapidement, réfutant d'un seul coup d'un seul tout racisme, c'est dommage, ça le fait moyen. Du coup, on a l'impression que Corman nous dit "Méfiez-vous des gourous !" et que ça ne va pas plus loin alors qu'il y a 80 minutes de travail de sape avant. SPOILER : |
Le côté versatile de la foule qui transparaît à ce moment là n'est quand même guère plus rassurant. En fait, de la bêtise au racisme, il n'y a qu'un pas, et qu'encore une fois le nombre fait loi... _________________
Un site cinématographiquement bien |
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mallox Super héros Toxic


Inscrit le: 10 Sep 2006 Messages: 13982 Localisation: Vendée franco-française
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Posté le: Sam Aoû 11, 2012 6:04 am Sujet du message: |
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Candyman a écrit: | mallox a écrit: |
SPOILER : Plus qu'un changement de tonalité, c'est carrément le changement de la foule qui pour le coup est gênant et absolument peu crédible. Une foule qui prend conscience ainsi, aussi rapidement, réfutant d'un seul coup d'un seul tout racisme, c'est dommage, ça le fait moyen. Du coup, on a l'impression que Corman nous dit "Méfiez-vous des gourous !" et que ça ne va pas plus loin alors qu'il y a 80 minutes de travail de sape avant. SPOILER : |
Le côté versatile de la foule qui transparaît à ce moment là n'est quand même guère plus rassurant. En fait, de la bêtise au racisme, il n'y a qu'un pas, et qu'encore une fois le nombre fait loi... |
Je trouve qu'on a l'impression qu'ils prennent conscience. Du coup, ils se retournent d'un coup d'un seul contre tout propos ostraciste. J'ai peine à croire qu'une foule passe du salut Hitlérien au "salud" communiste. Ou même encore moins crédible, parvienne à museler une haine entretenue depuis belle lurette, par l'alcool, en plus du reste.
Il manque à ce The Intruder, la puissance nihiliste et rageuse d'un "The Chase" d'Arthur Penn où finalement tout finit comme cela est écrit et où les ambitions et carrières politiques sont assumées jusqu'au bout et priment. Ce n'est pas le cas de l'homme le plus influent de la ville (et son journal local) qui lui aussi passe du pire raciste anti-coco-négro au statut de juste, ce en 15 secondes. Le film aurait gagné en force à aller jusqu'au bout de sa démonstration sur un état d'esprit existant bel et bien et même enraciné à l'époque dans le Sud. _________________
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flint Super héros Toxic


Inscrit le: 13 Mar 2007 Messages: 7606 Localisation: cusset-plage
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Posté le: Jeu Juin 13, 2013 8:18 pm Sujet du message: |
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Superbe film, et un rôle en or pour Shatner. Concernant la fin, elle ne m'a pas choqué. J'ai l'impression que le gros type dont parle Mallox plus haut (le propriétaire du journal), prenant conscience de s'être fait avoir, carrément possédé par Cramer, ressent une honte non pas pour avoir poussé aussi loin sa propension au racisme mais pour s'être fait dupé (bien profond).
Le reste de la foule suit de même, une façon pour Corman d'identifier la population de la ville à celle de leur leader. La pensée unique, quoi de plus inquiétant et dangereux. |
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mallox Super héros Toxic


Inscrit le: 10 Sep 2006 Messages: 13982 Localisation: Vendée franco-française
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Posté le: Ven Juin 14, 2013 4:02 am Sujet du message: |
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C'est peut-être démonstratif mais aussi peu crédible. Qui a vu une foule changer en 15 seconde radicalement d'avis ? Passer de raciste à antiraciste ?
Non, je persiste. la conscience c'est au spectateur que Corman la sollicite. Cette prise de conscience abrupte d'un personnage intrinsèque, c'est de trop, elle annihile celle du spectateur puisque le spectacle et la réflexion lui sont mâchés et celui-ci peut partir rassuré à la fin du film. Un comble après tout ce à quoi on a assisté. Après, je sais pas, mais ça sent la fin arrangeante pour éviter peut-être les ennuis avec la censure. Enfin elle m'a toujours laissé cette d'impression. Il en dit quoi le père Corman ? Il n'a jamais parlé de ça, qcq part ? _________________
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