Cisco Pike
Genre: Polar , Comédie , Drame
Année: 1972
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Bill L. Norton
Casting:
Kris Kristofferson, Karen Black, Gene Hackman, Harry Dean Stanton, Viva, Joy Bang, Roscoe Lee Browne, Antonio Fargas , Chuy Franco, Severn Darden, Doug Sahm...
 

Cisco Pike (Kris Kristofferson), un ancien musicien condamné pour trafic de drogue, sort de prison. Il n'a qu'une idée en tête : se reprendre, et retrouver sa vie d'avant. Revoir son amie Sue (Karen Black), à qui il a promis de ne plus dealer, puis tenter de reprendre sa carrière où il l'a laissée, celle-ci ayant évidemment sombré après avoir fait le con ; bref, repartir enfin de bon pied, et peut-être même percer au sein de l'industrie musicale. Hélas, tout n'est pas si simple. D'abord, toutes ses anciennes liaisons du monde de la musique se montrent plus intéressées par le fait de lui acheter de la dope que d'écouter ses démos ; et puis surtout le boulet de la justice semble ne pas le lâcher en la personne du sergent Leo Holland (Gene Hackman), un flic corrompu. Ce dernier, qui travaille aux services des narcotiques, a entre les mains cent kilos d'herbe confisquée qu'il aimerait bien écouler. Pour se faire, il prend vite contact avec Cisco, le fait chanter, et lui donne deux jours pour s'exécuter. Cisco à n'en pas douter est coincé. Il s'en suivra donc un week-end "frénétique", au cours duquel il sera obligé de retourner vers de vieux amis dont Jesse (Harry Dean Stanton), son partenaire musical de son âge d'or, devenu lui-même toxicomane, et incapable de faire face à son récent divorce...

 

 

"Cisco Pike", dont le tournage a débuté à la fin de l'année 1970, est un tout petit film aux allures décalées voire boiteuses tourné pour la modique somme de 750 000 $. Le tournage fut rapide (30 jours), et c'est au très inexpérimenté Bill L. Norton qu'on le doit. Celui-ci sortait tout juste de deux années d'études cinématographiques mais avait surtout de nombreux contacts et amis dans le monde la musique (ce qui explique en passant que l'un des seuls projets qu'on lui confia ensuite fut "More American graffiti", la suite du succès de Georges Lucas. "Easy Rider" était sorti l'année précédente et les grands studios ne semblaient plus savoir à quel sein se vouer pour ramener le public dans les salles. Bill L. Norton propose donc son projet qui lui tient à cœur, lequel se voit immédiatement accepté. A l'époque, produire des films était aussi bon marché que la marijuana et Hollywood complètement pris à revers disait alors oui à tout, d'autant qu'avoir les cheveux jusque là aidait énormément, avance aujourd'hui Bill L. Norton pour expliquer comment un tel projet a pu voir le jour.
Pourtant, tout ne fut pas si simple que cela puisque le casting, composé de junkies notoires, posa même quelques soucis durant le tournage. Un tournage durant lequel (et toujours selon les dires de son auteur), certaines scènes furent tournées à l'arrache vu l'état d'une partie des acteurs convoqués alors, qui, lorsqu'ils n'étaient pas chargés jusqu'aux yeux, étaient souvent bourrés comme des coings et de ce fait particulièrement difficiles à diriger. Ainsi, nombreuses furent les scènes qui durent être improvisées selon la forme et la disposition de chacun. De plus, si l'acteur initialement pressenti était un ébéniste baba cool du nom de Harrison Ford, Norton jugea vite que ce dernier n'avait aucun avenir en tant qu'acteur, et après avoir écarté également l'hypothèse Seymour Cassel pour cause de contrat ailleurs, c'est tout naturellement qu'il se tourna vers Kristofferson, qui perçait tout juste alors avec un premier disque de country existentiel d'excellente qualité. Un remplacement de dernière minute soit dit en passant. A cela s'ajouta l'une des seules contraintes faite par la Columbia, celle de prendre l'égérie incontournable du moment, Karen Black, actrice dont tous les films marchaient alors. La situation fut des plus tendues entre Norton et l'actrice, le réalisateur avouant encore aujourd'hui s'être comporté alors comme un goujat avec elle pour la simple raison qu'ayant écrit le rôle pour un tout autre style de femme, il ne sut comment la diriger...

 

 

Reste à se poser la question de ce qui transparaît à ce jour de cette étrange addition d'anecdotes, et surtout de ce qu'il se dégage du film même. Et bien une flopée d'impressions et de sentiments parfois contradictoires !
En premier lieu, une histoire a priori très classique qui, sur le papier, ne surprend guère mais dont le traitement distancié et empreint d'un certain humour noir à tendance nonchalante trouverait sa résonance à ce jour chez les frères Coen et leur "Big Lebowski", dont même le personnage ici pourrait être le père.
C'est une plongée en apnée dans les tréfonds de la contre-culture pop et hippie, même si étonnamment on ne retrouve pas dans le film le même discours politique explicite que dans d'autres œuvres de la même époque, notamment la guerre du Vietnam. A ce titre néanmoins, on a tout de même droit à une étude de caractère concernant le personnage de Cisco qui semble emblématique de cette même génération hippie. L'obstination de Pike à vouloir retrouver sa gloire d'antan n'est pas fortuite. Elle illustre d'ailleurs à merveille une volonté après la désillusion que furent les années 60, une période d'échec politique et social donc, dont tentent de se remettre certains perdants en essayant, en quelque sorte, de donner une nouvelle vie, voire un nouveau sens à leurs rêves, même les plus fous.


 

Les acteurs sont non seulement épatants, mais souvent surprenants, et parfois même quasiment à contre-emploi. Soit, le personnage de Karen Black paraît en effet un peu en retrait sinon fade, mais ailleurs, c'est un petit régal. Bien entendu, il y a Kris Kristofferson, qui sans rien faire de particulier, crève l'écran. C'est son premier grand rôle à l'écran (après une présence anecdotique aux côtés d'une galerie de stars dans le très bon, très méconnu et très sous-estimé "The last movie" de Dennis Hopper), et il n'est pas étonnant qu'autant Sam Peckinpah que Martin Scorcese le remarquèrent ici pour lui confier juste après un premier rôle dans leur film, "Pat Garrett et Billy le Kid" pour l'un, et "Alice n'est plus ici" pour l'autre (et à titre personnel, deux des meilleures prestations de toute sa carrière). Pas de doute, "Cisco Pike" fut non seulement un très bon rôle semblant coller à son personnage de la vie réelle, mais un tremplin pour de bien belles rencontres cinématographiques à venir.
Gene Hackman, de son côté, même si on l'avait déjà vu dans "Bonnie and Clyde" ou juste avant dans l'étonnant "Les charognards", n'a pas encore explosé avec "French Connection". Quoiqu'il en soit, il livre ici une prestation laconique qui serait presque l'envers des "héros" qu'il pourra parfois camper ensuite. L'acteur ne manque pas d'humour et n'a pas peur de délirer, notamment dans une scène où il se met à courir sur place dans la maison de Pike, ce après avoir déboulé chez lui et pour "lutter contre la tachycardie" !
Harry Dean Stanton, dans un second rôle, est époustouflant en junkie le plus souvent vêtu de chemises très flashy, (le top du top "branchouille" de la sape hollywoodienne de l'époque), et qui a bien du mal à quitter sa baignoire. A la fois drôle et pathétique, il effectue une prestation hors pair, d'une subtilité rare.

 

 

Puisque j'évoquais les seconds plans, la liste à citer ne manque pas, tant les noms que leurs apparitions le plus souvent cocasses. Mention spéciale à Viva (alias Janet Hoffmann), la "superstar" de Andy Warhol qui fait une apparition hilarante, mais n'en disons pas trop, le film méritant à mon avis d'être découvert. Et puis, pour tenter de n'en oublier aucun (ou presque), en vrac, on a également droit à un Antonio Fargas alors encore un pied dans l'underground ("Pound", "Putney Swope"), en passe de devenir l'un des piliers de la blaxploitation ("Shaft, "Cleopatra Jones", "Across 110th Street", "Foxy Brown"...), Allan Arbus (le frère de la célèbre photographe Diane), Doug Sahm, le célèbre musicien texan qui, dans un studio d'enregistrement, lance un ironique : J'ai juste un diplôme de musique de ploucs ! , sans oublier la présence de pas mal de membres du San Francisco Mime Troupe (une bande de comédiens pratiquant la satire politique très acide, avec une forte tendance pour l'anticonformisme et l'expérimental)... Bref, "Cisco Pike" est une véritable plongée au sein de tout un univers et une culture semble t-il perdue. Un film où, paraît-t-il, les acteurs étaient le plus souvent pétés (sic Norton donc qui dit même Nous étions la plupart du temps tous pétés !), ce qui explique peut-être pourquoi il en émane encore à ce jour une véritable fraîcheur. Fraîcheur d'autant plus étonnante vu que tout semblait réuni pour contribuer à le dater. Ce ne sont donc pas ses défauts, car oui il y en a bien : les chutes de rythmes y sont assez nombreuses, mais là encore (et on ne sait trop par quel miracle) parviennent à aller dans le sens de la ballade country ici mise en scène. Une mise en scène parfois un peu trop nerveuse, voire approximative; enfin toujours est-il que sans être une grande leçon de cinéma, cette curieuse et très agréable bobine mérite amplement d'être vue avec un peu plus de reconnaissance à l'appui, ce qu'elle ne semble pas avoir à ce jour. Et ce n'est pas l'excellente bande son en grande partie due à son acteur principal qui en ôtera les charmes, bien au contraire.

 

 

Mallox


En rapport avec le film :

# Le film a été tourné uniquement dans Hollywood et ses environs, y compris une scène de concert au club Troubador.


# En plus des chansons de Kris Kristofferson provenant de son second album tout juste sorti en 1971 ("The Silver Tongued Devil and I"), on y entend une chanson de Doug Sahm, ainsi que "Hootin' and Hollerin'" de Sonny and Terry Mc Ghee.

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