Happy End
Genre: Comédie , Expérimental
Année: 1966
Pays d'origine: Tchécoslovaquie
Réalisateur: Oldřich Lipský
Casting:
Vladimír Menšík, Jaroslava Obermaierová, Josef Abrhám, Bohuš Záhorský, Stella Zázvorková, Helena Růžičková, Josef Hlinomaz...
Aka: Stastny konec
 

Les histoires d'amour finissent mal en général, nous apprend la sagesse populaire. Enfin... disons qu'elles commencent mieux qu'elles ne se terminent. Tel n'est pas le cas de celle de Bedřich Frydrych, qui elle commence par sa naissance, en homme fait et donc déjà adulte au pied d'une guillotine. Un esprit bassement logique, pour ne pas dire cartésien, vous dirait que cette naissance est en fait l'exécution pour double meurtre de Frydrych et que l'histoire qui s'en suit n'est que sa vie racontée à l'envers, mais ce n'est point l'avis du narrateur, Bedřich lui même. Une fois né, donc, et après avoir reçu les conseils d'un prêtre sur le sens à donner à sa vie, Bedřich poursuit ses humanités dans un pensionnat très fermé et très select avec d'autres condisciples en tenues rayées. Ses études achevées, et une fois réussi son examen au tribunal, Bedřich est reconduit avec beaucoup de sollicitude à son futur appartement ou l'attend une épouse en kit dans une valise. Bien que n'ayant pas trouvé la notice de montage Bedřich ne se démonte pas (ah - ah), et à l'aide de divers tranchoirs, couteaux-scies et autres instruments à lames, il remet sa toute nouvelle femme en un seul morceau. Hélas, au même moment, sans crier gare, jaillit dans ses bras, en passant à travers la fenêtre du septième étage, un gêneur...

 

 

Vous l'aurez deviné à la lecture des lignes précédentes, Happy End (son titre original en Tchécoslovaquie à sa sortie) n'est pas un film comme les autres, c'est même un film unique en son genre. Happy End raconte en effet une histoire en débutant par la fin et pour ce faire, c'est (presque) tout le film qui est monté à l'envers. Presque, car les dialogues sont, eux, la plupart du temps montés "à l'endroit" (sinon ils seraient incompréhensibles), mais dans un ordre "ante chronologique", c'est-à-dire que les répliques se succèdent dans l'ordre inverse de celui qui aurait été les leurs dans un film normal.
Je me rends compte que je ne suis peut-être pas très clair, donc je vais prendre un exemple. Lors de son mariage (qui est donc son divorce, si vous avez bien suivi, selon la logique inversée du film), le prêtre demande à Bedřich : " – Voulez-vous prendre Julia pour épouse ?" ; Bedřich "– Non. " ; Le prêtre "– vous n'êtes pas trop ému ? " (Je précise que cet exemple n'a pas été choisi pour la finesse de son humour mais parce qu'il est aisément compréhensible).

 

 

Vous l'aurez aussi deviné, Happy End est une comédie. Une comédie drôle (non, ce n'est pas un pléonasme, les comédies drôles étant l'exception, la règle étant la comédie consternante - en tout cas en ce 21ème siècle sur les écrans de cinéma) et enlevée à l'humour noir et surréaliste. Une comédie (oui, j'ai fait un pari sur le nombre de fois où j'arriverais à répéter ce mot dans cette notule) reposant sur un principe simple : l'inversion, mais très complexe à mettre en œuvre (sinon, le premier tâcheron venu s'y serait essayé). Il s'agit donc d'un véritable tour de force de la part du metteur en scène Oldřich Lipský, mais aussi, et peut-être surtout, de la part du scénariste Miloš Macourek.

 

 

Les effets comiques nés de cette inversion peuvent être divisés en trois catégories : d'abord, des gags visuels produits par les images inversées elles mêmes (un repas à l'envers c'est rigolo, si, si, un peu "degueu" mais rigolo). C'est l'effet le plus facile et donc le plus éculé, qui peut devenir rapidement lassant, mais ici ces gags sont habilement distillés. Deuxièmement, un "humour verbal" dû à l'inversion de l'ordre des répliques dans les dialogues (voir plus haut), ces derniers créant un effet comique surréaliste à l'envers (donc à l'endroit) tout en restant crédible quand on les remet dans le bon sens (c'est-à-dire à l'envers), ce qui n'est pas aussi facile que l'on pourrait croire de prime abord. Enfin, un effet en quelque sorte intermédiaire à la fois visuel et verbal, celui créé par le décalage entre le commentaire du narrateur et les images, un commentaire qui doit aussi coller parfaitement avec ce que l'on voit à l'écran quand on applique la logique inversée absurde qui le gouverne.
Ce film est donc un parfait exercice de style totalement artificiel mais complètement réussi, Happy End arrivant à rester cohérent et à tenir la route, sans lasser le spectateur, une fois passée la surprise de la découverte.

 

 

Comme je l'ai écrit plus haut, cette réussite on peut l'attribuer à Oldřich Lipský et Miloš Macourek, mais aussi à l'acteur principal et narrateur Vladimír Menšík.
Je ne reviendrai pas sur la carrière du génial Oldřich Lipský, le pape de la comédie tchèque, à côté duquel les Menzel et autre Forman ne sont que de vulgaires nabots dans l'ombre d'un géant. Je ne reviendrai pas plus sur celle du tout aussi génial Macourek, scénariste attitré du non moins talentueux Vorlicek, qui entamait avec ce film là une presque aussi fructueuse collaboration avec Lipský. Mais je me permettrai, avant d'achever cette modeste critique, de dire deux mots sur Vladimír Menšík. Brun et rondouillard avec une bouille sympathique et une incontestable vis comica, très populaire auprès du public, il fut l'indispensable second rôle de toutes les bonnes comédies tchécoslovaques. Ce film sera une des rares fois où il accéda à la tête d'affiche, avant son décès prématuré dans les années 80.

 

 

Sigtuna

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