Femme bourreau, La
Genre: Polar , Thriller , Drame
Année: 1968
Pays d'origine: France
Réalisateur: Jean-Denis Bonan
Casting:
Solange Pradel, Claude Merlin, Catherine Deville, Myriam Mézières, Jackie Raynal, Serge Moati...
 

1966 - Hélène Picard est condamnée à mort pour l'assassinat de plusieurs femmes, prostituées comme elle. La meurtrière est exécutée deux ans plus tard ; c'est Louis Guilbeau, fonctionnaire du Ministère de la Justice, qui fait office de bourreau.
Mais voilà qu'en avril 1968 l'on retrouve le corps déchiqueté d'une jeune femme près d'une voie ferrée. Le 1er mai, une autre victime est identifiée dans les bois de Boulogne ; elle a été étranglée. Et quelques jours plus tard, c'est au tour d'une certaine Angèle de connaître un sort identique. Son cadavre, laissé dans une décharge publique, a subi les derniers outrages par l'intermédiaire d'un manche à balai dans un endroit que la morale réprouve. Point commun de ces trois femmes : elles étaient toutes des prostituées.
Affirmant être l'objet de menaces, Louis Guilbeau va se confier à Solange Lebas, l'adjointe du commissaire chargé de l'enquête. Avec cette nouvelle série de meurtres, Solange commence à croire qu'une innocente est passée à la guillotine. Guilbeau, qui n'est pas insensible à la beauté de la policière, propose d'assister Solange dans son enquête. Elle accepte, et bientôt une mystérieuse brune est suspectée d'être l'auteur des crimes. Une traque commence alors dans le quartier de Pigalle et celui de Belleville, ce dernier en pleine phase de démolition. Une traque dans un Paris nocturne, où la mort semble être en mesure de frapper à chaque coin de rue...

 

 

Quarante-sept - C'est le nombre d'années qui se sont écoulées entre le moment où Jean-Denis Bonan a tourné La Femme bourreau et celui où un large public peut enfin voir le film. Quarante-sept années... comment cela a-t-il pu être possible ?
Remontons le temps. Nous sommes en avril 1968, le réalisateur et son équipe sont en pleine préparation de La Femme bourreau. En parallèle, ils sont sur le front et filment le mouvement étudiant, la révolte qui gronde et atteindra son paroxysme le mois suivant. Gérard de Battista, le directeur de la photographie, filme La Femme bourreau le jour et les émeutes la nuit. Jean-Denis Bonan a choisi comme cadre principal le quartier de Belleville, transformé en champ de ruines pour cause de rénovation urbaine. Ce décor post-apocalyptique va servir de fil rouge à l'intrigue.
Après tout, Belleville n'est-il pas un cadre mythique du cinéma français ? C'est là que furent tournés entre autres "Casque d'Or" et "Jules et Jim" puis, peu après La Femme bourreau, "Dernier domicile connu".

 

 

Lorsque le tournage s'achève, l'oeuvre peine à trouver un producteur mais Anatole Dauman (qui a produit dans le passé plusieurs longs métrages d'Alain Resnais et Chris Marker) accepte de le financer, séduit par la qualité et l'originalité de La Femme bourreau, où s'entrechoquent l'expressionnisme allemand, l'ombre de Luis Buñuel et l'esprit de la Nouvelle Vague. Mais plus qu'une "vague", La Femme bourreau est une déferlante, tellement brutale que les distributeurs n'y étaient pas préparés. Les distributeurs refusent le film en bloc car il est "inclassable". La Femme bourreau est un film à multiples facettes, un polar adoptant le ton du reportage, dans lequel le spectateur croise un tueur en série, écoute un narrateur dont le verbiage rappelle les journaux spécialisés dans les faits divers comme Détective et voit quelques jeunes femmes dénudées absolument ravissantes. En résumé, on ne peut pas mettre d'étiquette sur ce film et, c'est bien connu, tout ce qui sort de la norme fait peur. Qui plus est, le fait qu'il n'y ait pas de vedette au sein du casting enfonce un peu plus le clou.
Le verdict est donc sans appel, La Femme bourreau ne sort dans aucune salle. Il meurt avant d'avoir existé, ou plutôt, comme le dit joliment Jean-Denis Bonan, il va s'endormir pendant de longues années.

 

 

Jusqu'au jour où... En 2010, Jean-Pierre Bastid, autre trublion du cinéma français à qui l'on doit également des films "inclassables" (parmi lesquels "Massacre pour une orgie" et "Hallucinations sadiques") présente à la Cinémathèque Française "La femme bourreau" ainsi que l'un des courts métrages de Jean-Denis Bonan, "Tristesse des anthropophages" (réalisé en 1966, il avait été purement interdit à tout public en France comme à l'exportation, par le Comité de Censure). C'est donc le 23 avril 2010 qu'une poignée de spectateurs est en mesure de voir La Femme bourreau... dans une version non définitive. En effet, Mireille Abramovici (scripte et monteuse de La Femme bourreau, mais aussi réalisatrice et écrivain) et Jean-Denis Bonan terminent le montage du film en 2014, car il était considéré comme inachevé par son auteur. Une fois la postproduction terminée, l'oeuvre est montrée pour la première fois dans sa version définitive lors du festival du LUFF (Lausanne Underground Film & Music Festival), du 15 au 19 octobre 2014.
Le film est bien accueilli. Le travail du réalisateur est enfin révélé au grand jour, si bien qu'un éditeur (Luna Park Films) décide de sortir La Femme bourreau (format dvd) en cette fin d'année 2015, en compagnie d'autres travaux de Jean-Denis Bonan.

 

 

Lorsqu'on a vu La Femme bourreau, on a du mal à comprendre pourquoi le film n'a pas trouvé de distributeur à l'époque. Enfin... si, on comprend très bien la frilosité de ces gens qui font la pluie et le beau temps, décident de ce qui est bon ou mauvais, et agissent en fonction de ce que cela peut leur rapporter.
Jean-Denis Bonan ne rentrait pas dans les cases (ce qui est pourtant une qualité à mon sens), il a de ce fait rejoint le clan des réalisateurs français méprisés (comme son ami Jean-Pierre Bastid d'ailleurs, ou José Bénazéraf), subissant un sort parallèle au clan des auteurs moqués (où figuraient Jean Rollin et Mario Mercier, par exemple).
Qu'importe, La Femme bourreau est un film qui surprend, et cela fait du bien à une époque où tout est calibré, formaté et politiquement correct. Alors oui, effectivement, les sources d'inspiration du réalisateur sont bien réelles (l'expressionnisme allemand, la Nouvelle Vague, Luis Buñuel...), mais pas seulement. Le cinéma de Jean-Denis Bonan possède plusieurs facettes, d'où se détachent un penchant pour l'absurde, un désir de briser les conventions, s'élever contre le système. On y trouve également une touche de provocation et de surréalisme, et lorsque l'on découvre les courts-métrages de l'auteur, on se rend compte qu'il y a avec La Femme bourreau une forme de continuité dans le cinéma de Jean-Denis Bonan, qui le rapproche également de cinéastes comme Fernando Arrabal et Alejandro Jodorowsky.

 

 

Mais Jean-Denis Bonan, à travers son oeuvre, fait avant tout du Jean-Denis Bonan. C'est une forte personnalité qui explique, dans le bonus "En marge", que l'un de ses thèmes récurrents a été la fuite, l'évasion. Quelle fuite ? Celle de la société, absurde et anxiogène. Qui emprisonne l'individu dans un carcan alors qu'elle devrait lui permettre de s'épanouir, par le libre arbitre, l'amitié, et surtout... l'amour. Le cinéma de Jean-Denis Bonan découle, si l'on peut dire, d'une "logique irrationnelle" mais légitime dans la mesure où elle s'érige contre les diktats de la société. Enfin, le réalisateur aime dire que le cinéma est avant tout muet. La Femme bourreau alterne ainsi les dialogues entre les personnages, la voix-off du narrateur et des plages de silence durant lesquelles les acteurs font parler leur corps et les expressions de leur visage. Il en résulte des scènes d'une sensualité inouïe avec Solange Pradel, allongée sur un lit, ou d'une étrange beauté quand Claude Merlin revêt ses habits de femme puis se maquille.

 

 

Le film n'est pas à proprement parler une intrigue policière, du moins dans le sens classique du terme. Le but ici n'est pas de révéler l'identité du tueur à la dernière minute car on devine assez vite de qui il s'agit. Ce qui importe, c'est de faire plonger le spectateur dans la psyché de ce personnage tourmenté, de le suivre dans sa folie culminant avec une longue course-poursuite et un moment particulièrement fort où le tueur, qui se travestit en femme avant de commettre un meurtre, perd dans sa fuite éperdue une moitié de sa perruque. La caméra s'attarde sur son visage, et toute la dualité de ce personnage apparaît alors comme une évidence. On ne m'a pas permis d'être un homme, dira-t-il avant de rendre son dernier souffle. Une phrase qui en dit plus long que de longs discours.

A propos du casting, s'il ne comporte effectivement pas de "pointures" (selon le critère de nos fameux distributeurs), il n'en est pas moins de qualité. On relève plusieurs noms qui figuraient au générique du premier long métrage de Jean Rollin : "Le viol du vampire". Ce qui n'est pas étonnant, dans la mesure où Jean-Denis Bonan fit ses premiers pas dans le cinéma avec "Les pays loin", court-métrage de Rollin, en 1965 en tant qu'assistant. Une expérience qui lui donnera l'envie de poursuivre dans le 7ème Art.
Si Jean-Denis Bonan a voulu rendre hommage à la beauté avec les actrices présentes dans La Femme bourreau, il y est parvenu haut la main. Toutes illuminent l'écran de leur présence, leur beauté et leur talent. Nommons-les car elles le méritent : Velly Beguard ("Morgane et ses nymphes"), Catherine Deville ("Le viol du vampire" mais aussi trois films de Claude Chabrol dont "Madame Bovary"), Jackie Raynal ("La collectionneuse"), Myriam Mézières ("J'irai comme un cheval fou", "Change pas de main", "Jonas qui aura 25 ans en l'an 2000") dont c'était la première apparition au cinéma et bien sûr Solange Pradel (Sans sommation, Le monde sur le fil), rayonnante autant sous la douche qu'avec un revolver dans les ruines de Belleville.

 

 

Enfin, Claude Merlin campe un Louis Guilbeau étonnant, doté d'un magnétisme qui le rapprocherait d'acteurs comme Laurent Terzieff ou Pierre Clementi. Un premier rôle au cinéma remarquable, mais hélas on ne lui proposera guère de rôles aussi marquants par la suite, et on peut le regretter au regard de son potentiel et de sa prestation dans La Femme bourreau.
Un mot sur la musique, pour terminer, qui alterne morceaux instrumentaux de free-jazz composés par Bernard Vitet et chansons interprétées par l'acteur Daniel Laloux. Des textes décalés qui ne sont pas sans rappeler ceux de Brigitte Fontaine et Areski Belkacem de la même époque. Un mélange surprenant qui nous conforte dans l'idée que La Femme bourreau est décidément une oeuvre atypique qui méritait bel et bien une seconde naissance.


Flint



En rapport avec le film :

# La fiche dvd Luna Park Films de La Femme bourreau

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