Punishment Park
Genre: Anticipation , Document , Drame
Année: 1971
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Peter Watkins
Casting:
Mark Keats, Kent Foreman, Carmen Argenziano...
 

Peter Watkins est un saint homme. Un type comme il en existe peu. Un visionnaire constamment en colère voué à la marginalisation tant il dérange. Un pamphlétaire achevé, offrant un regard alternatif indispensable pour que nous, spectateurs, ne soyons plus de simples mange-disques recrachant tel quel ce que l'on nous rentre dans le crâne. Bref, un indispensable empêcheur de tourner en rond, doté d'une acuité et d'une force qui n'a que peu d'égal encore aujourd'hui ; (entre parenthèses je conseille de regarder un film d'Oliver Stone après une oeuvre de Watkins afin de voir comment l'un est pertinent et l'autre un gros cochon risible).
Bref, venons-en à ce "Punishment Park", film puissant, imparable, grande oeuvre contestataire qui trente-cinq ans plus tard n'a quasi pas pris une ride tant le monde autour n'a finalement que peu évolué face à son propos intrinsèque. Du reste il y a quarante ans comme aujourd'hui, Watkins dérange au point d'être censuré ou sournoisement marginalisé. Son deuxième film, "The War Game" (La Bombe, 1966), produit par la chaîne nationale anglaise, et qui mettait en scène les conséquences d'une attaque thermonucléaire sur le Royaume, fut déjà frappé d'une interdiction mondiale à la télévision,ce, pendant vingt ans, sous la pression du cabinet du Premier Ministre britannique de l'époque, Harold Wilson. Iidem pour sa "Commune" tournée en 1999 qui n'a été diffusée qu'une seule et unique fois par la chaîne ARTE qui l'a pourtant produite, ce qui plus est, à une heure de préférence tardive défiant l'audimat. Logique puisque cette "Commune" était coproduite par 13 Productions, société appartenant au groupe Lagardère et qu'un marchand de canons accepte de financer le projet d'un des plus virulents pourfendeurs de la course aux armements ne peut laisser que songeur sur un sort au préalable plus que prévisible ...
Peter Watkins poursuit donc sa série de films d'anticipation politique avec ce "Punishment Park" qui comme ses autres films subira la censure, interdit de diffusion aux Etats-unis encore à ce jour (le film s'est vu retiré des salles après quatre jours d'exploitation !), mais demeure néanmoins à voir absolument et même pourquoi pas, à revoir.

 

 

Rappelons rapidement de quoi il s'agit : Alors que le conflit Vietnamien s'enlise provocant rébellions estudiantines à tout va, Nixon, alors au pouvoir met en application une loi de 1950, le McCarran Act, qui autorise le gouvernement fédéral à placer en détention toute personne susceptible de mettre en péril la sécurité intérieure. Une équipe de télévision filme dans une zone désertique Sud Californienne, un groupe d'étudiants dissidents jugés coupables de trahison et qui n'auront comme seule alternative afin d'éviter une peine de prison pouvant aller de sept à vint et un ans (autant dire que la sanction est disproportionnée face à ce qui leur est reproché), d'accepter un périple de quatre jours au milieu d'un nul part désertique avec comme but d'atteindre un drapeau Américain situé à 85 km, symbole de leur acceptation, voir de leur rédemption aux yeux du pouvoir et de l'armée, ce sous une canicule accablante.

Evidemment, le groupe acculé accepte le défi et se lance lâché comme un troupeau de boeufs, dans un désert aride, sans nourriture ni eau, traqué dans un même temps par des policiers-prédateurs qu'ils devra éviter afin d'arriver à son but (le drapeau !), pour obtenir enfin  une éventuelle libération. Très vite le groupe se divisera en trois. Certains pacifistes préféreront attendre, fidèles à leurs idées, complètement désabusés et fatalistes devant cette chasse à l'homme ayant pour but de casser leur personnalité, d'autres prendronta la décision d'affronter les forces de l'ordre, tandis que le reste du groupe tentera d'atteindre l'étendard à tout prix.

Alors, si de prime abord certains trouveront le film daté de par son contexte ("Pro-engagement guerre du Vietnam vs peace and love"), il n'en est rien. Peter Watkins affirme même ici son talent visionnaire, puisqu'à ce jour il existe bel et bien aux states des camps de redressement comparables pour jeunes délinquants voulant éviter la prison. Point de réinsertion ! Il est question que d'apprivoisement et de pur "dressage". Lle débat d'idée ne doit pas exister, il n'y a qu'une façon de penser qu'on se doit de respecter A LA LETTRE. Sans concession, "Punishment Park" tire à boulets rouges sur une pensée unique que de tout temps on tentera de nous imposer. Le film trouve d'ailleurs un étrange écho par rapport à la mondialisation mise en chantier depuis belle lurette, écartant par la plus primaire dissuasion, voire la force, leurs opposants, ou au mieux en les marginalisant comme des pestiférés capables de propager un virus qui serait néfaste à l'asservissement par une pensée dominante.
Autant dire que Peter Watkins n'y va pas avec le dos de la bannière et offre le "pseudo-docu" le plus frontal qui soit et ce sont des gens mus par la même volonté de justice, d'égalité et de paix qui sont ici jugés.  Ceux-ci représentent un danger bien trop important, mettant en avant les paradoxes d'une société qui prône en apparence les même valeurs que les "contestataires" tout en agissant à l'opposé. Il convient donc de les brider, de les dompter auquel cas, s'ils ne venaient à ne pas céder, ils pourraient même se voir purement et simplement éliminés .

 

 

Le procès qui précède la chasse à l'homme au sein du désert ne sera d'ailleurs que pure mascarade... procès que l'on croirait tout droit sorti des temps médiévaux avec ses hérétiques, et dans lequel les jeux sont faits dès le départ. Chaque accusé sera jugé coupable avant même de s'exprimer. Cette libre expression ne gêne et ne gênera de tout temps, que trop. Watkins met en scène son discours d'une manière épurée, nerveuse, tendue, révoltée et radicale. La justice se retranchera systématiquement derrière une pseudo morale, n'ayant pour seul but d'éradiquer les minorités, noires, communistes, anarchistes, féministes, défenseurs des droits de l'homme... Tout cela nous ramène finalement au bon vieux temps des procès de l'inquisition qui selon Watkins n'a jamais cessé et ne cessera jamais d'exister. Finalement seule la forme variera et celui-ci  nous lance en pleine gueule un propos des plus pessimiste qui soit.
Quant à la course dans le désert, elle est filmée avec une virtuosité stupéfiante, caméra à l'épaule, jonglant brillamment et puissamment avec toutes les techniques de reportage et annonce même une société ancrée dans le "reality-show" qui se rapproche à grands pas.
Pour nos protagonistes, il n'y a de toute façon aucune échappatoire possible et chacun des trois groupes échouera à sa manière et quand bien même il nous semblera que la lutte armée soit la meilleure alternatie possible aux yeux de Watkins. Jouer le jeu ne se révèlera que naïveté. Ceux qui choisiront cette voie, pensant encore pouvoir garder leur identité et agir plus tard, seront de toute manière broyés, cassés, vidés de leur substance.
Pour conclure, si je souhaitais mettre en avant ce qui me semble être une sorte de chef d'oeuvre, c'est que "Punishment Park" me semble encore aujourd'hui riche en métaphores ainsi qu'en résonances sociopolitiques. Ill n'y aurait somme toute qu'à déplacer le postulat du film dans n'importe quel pays du monde pour constater pour quelles raisons le film reste dangereux pour les autorités gouvernantes de toutes parts. D'ailleurs, sans illusion, et à cause de la marginalisation de plus en plus marquée de ses travaux de cinéaste et de ses critiques à l'encontre des Mass-médias, Watkins s'est retiré du cinéma et de la télévision pour s'installer à Vilnius en Lituanie en 1994 où il se sert désormais d'internet et du site qu'il a crée (http://www.mnsi.net/~pwatkins/index.htm) afin de pouvoir exprimer librement sa vision d'une société, de laquelle il s'est vu condamné et de tout temps systématiquement banni.

 

 

Certains diront que Peter Watkins enfonce des portes déjà ouvertes, et qu'il n'a jamais convaincu que les déjà convaincus... méfions nous de propos et de ces gens qui ne se manifestent jamais autant ailleurs, et avec qui, nous n'aurions finalement aucune alternative de pensée... Ce film est un grand film intemporel, incisif, libertaire, sans concession. Que viva el Che Watkins !

 

Note : 9/10

 

Mallox
 
A propos du film :
 
# Un coffret passionnant édité chez Doriane Films est disponible un peu partout à la vente et regroupe quatre films de Peter Watkins : "La Bombe", "Punishment Park", "Culloden", et "La Commune".
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