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Manga - 1ère partie : Les Origines
Écrit par Le Cimmérien   

 

 

Le manga.

 

1ère Partie : Les origines.

 

Introduction :

 

Nous devons être quelques uns à être atteints de cette étrange maladie que l'on pourrait nommer nostalgie. Trentenaires ou presque trentenaires, on se rappelle de nos mercredi après midi passés avec Olive et Tom, Ken le Survivant, Les chevaliers du Zodiaque, Ulysse, Juliette Je t'aime et les chaussettes rouges et jaunes à petits pois de Dorothée... C'était il y a une vingtaine d’années et dans les cours de récréé on commençait à peine à prononcer les mots : "manga", " japanimation" etc.

 

Nos parents regardaient ça avec un air suspicieux et s'offusquaient d'une telle violence. Ken fut alors supprimé de nos grilles TV et Les Chevaliers du Zodiaque censurés... Dragon Ball commençait à faire un tabac.

 

Vingt ans plus tard qu'en est-il? Et bien Ken est toujours là, St Seya s'est développé et l'on parle aujourd'hui de manga, de japanimation dans les médias, les salons, les conventions se multiplient et l'art de la BD japonaise a même son espace dédié au plus grand festival de BD en France : Angoulême! Notons tout de même que l'espace manga dans cette manifestation ne date que de 2008!!

Notons d'ailleurs aussi une très intéressante enquête réalisée par Mathieu Pinon (un des auteurs du livre "Guide des Mangas" publié par Bordas) qui a interrogé les "jeunes" visiteurs venus assister à l'avant première de Death Note à Angoulême. La plupart n'avait pas remarqué et ne connaissait pas Kamimura, passaient à côté de certaines lithographies de Nana sans les remarquer et ont même pris l'expo sur Dofus pour des plaquettes publicitaires, c’est dire... Quelles conclusions en tirer ? Un, que le manga est encore relayé à un "truc" qui n'est pas de la BD, comme la fantasy n'est pas de la littérature et deux que si le manga se vend et marche, c'est malheureusement toujours les même titres qui fonctionnent et qui attirent les foules (cf Animeland N°139).

 

Pourtant, la péninsule nipponne est le second exportateur de biens culturels au monde derrière les États Unis et on estime qu'il se publie 1,5 milliards d'exemplaires de manga chaque année! Le phénomène n'a été que grandissant et en France on le doit d'ailleurs beaucoup à Akira... J'y reviendrais.

 

Pour l'heure, nous autres trentenaires ou proches trentenaires comme moi, on regarde les nouveaux arrivés avec un drôle de regard : Naruto, Bleach, les nouveaux DBGT!! Non mais attend jeunot, je te parle d'un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître !

C'est en partie vrai et en partie faux. Car le manga ne s'est pas crée il y a trente ans, ni même hier avec Naruto... Non, l'histoire de la BD Japonaise est bien plus complexe et les titres les plus vendus ne sont que la partie immergée d'un immense iceberg qui épouse l'histoire du Japon, de ses arts et de sa culture populaire.

 

Loin de moi l'idée d'écrire le dossier le plus complexe, le plus analytique ou le plus universitaire qui soit, mais juste peut être d'essayer à ma façon de vous faire pénétrer cet art des images japonaises, de peut-être vous y intéresser (car je crois que ça vaut le coup) et partager avec vous ma passion. Je crois que ce dossier s'adresse en priorité à ceux qui n'y connaissent pas grand chose ou à ceux qui voudrait s'y intéresser plus en détail. Loin de moi la prétention de tout connaitre et si vous voyez des inexactitudes ou des choses pas très précises n'hésitez pas à gentiment me le signaler.

Je citerai bien sûr mes sources (internet, revues et livres) et vous donnerai par la suite une biographie et des liens pour vous y retrouver. Je ne parlerai que des mangas et pas de l'animation qui est un sujet encore plus vaste et qui n'aurait pas sa place sur notre site.

 

Prêt à plonger dans l'univers manga ? Alors suivez-moi...

 

1/ Le manga avant le manga :

 

Tout pourrait bien commencer au VIIIème siècle période Nara (710-794). Cette époque est très importante pour le Japon qui prend peu à peu ses distances avec la Chine, notamment en matière d'écriture, d'administration, de religion et d'art bien sûr. C'est aussi à cette période qu'apparaissent les plus anciens rouleaux peints que l'on connaisse: Emakimono (Emaki voulant dire rouleau peint).

 

 

 

Les Emakimono sont issus d'une tradition de narration chinoise mettant en place un système de narration horizontal ou le dessin prime sur le texte sans que ce dernier ne soit absent. L'un des plus célèbres Emaki japonais est le "Dit de Genji" (Genji Monogatari emaki) et il date du XIIème siècle. Au fur et à mesure ou l'on déroule le "parchemin" on découvre l'histoire sans jamais pouvoir savoir à l'avance ce qu'il va bien pouvoir se passer...

 

 

C'est véritablement au XIIème siècle que le Japon développe véritablement ses propres Emakimono et ce détachement total du système Chinois et le fameux Dit de Genji qui est d'une telle beauté pourrait à lui seul résumer toutes ces œuvres ! La principale différence avec le modèle Chinois, c’est que les Japonais accordent une plus grande importance à l'image.

 

Il apparait donc bien à cette période une tradition de raconter des histoires en images et en texte. Comme dans le manga, ce qui fait dire à beaucoup de spécialistes que le manga puise ses origines dans les Emakimono. Le japonais a une telle confiance en l'image (quand on regarde son système d'écriture, on comprend qu'il veuille privilégier l'image) que cette dernière va finir par assurer quasiment à elle seule la narration...

 

Ce système de narration perdure jusqu'à l'époque Edo (1603-1867) soit pendant dix siècles! Alors pour beaucoup, bien sûr, si l'on parle de l'art visuel au Japon, on voit estampe... Mais attention l'Art du rouleau peint est quelque peu différent et c'est l'occasion de raconter des histoires populaires, très populaires même : histoire de pets, spectres mangeurs d'excréments mais aussi monstres grouillants, Yokai infectes et pervers... Je pense sans doute que comme en Occident en certaines périodes tout le monde ne savait pas lire au Japon, c'était donc là l'occasion de raconter des histoires accessibles pour tous. S'il existe au Japon une culture de cour, raffinée, qui colle au cliché que beaucoup d'entre nous avons (cérémonie du thé, zen et raffinement), il y a aussi une culture exubérante, voir choquante, vulgaire et même carrément gore... Le manga est en partie le résultat de tout cela.

Bien sûr, il y a aussi les estampes et là encore on peut y voir un lointain cousin du manga. Rappelons que les estampes sont avant tout là pour illustrer des livres, surtout pendant la période Edo. Il y avait au Japon les livres à lire mais il y avait aussi les livres à voir ! Les mangaka sont donc consciemment ou inconsciemment influencés par ce terreau culturel. Par la suite les Estampes se détacheront complètement de cet aspect livre.

 

C'est un grand maitre des estampes, Hokusai qui donna son nom à la BD japonaise : manga voulant dire dessins grotesques ou images dérisoires. C'est ainsi qu'il nomma ses caricatures.

 

 

 

Hokusai fait partie des peintres dits indépendants qui inventèrent l'Ukyo e, autre vague cousin du manga.

L'Ukyo-e, ou images du monde flottant, avait pour particularité (sans rentrer dans les détails) de raconter des scènes du quotidien, donc loin de la cour et des riches (à nuancer malgré tout...) le tout en un seul dessin et sans texte.

Hokusai est l'un des principaux représentants de l'Ukyo e avec Utamaro. Si vous regardez certaines gravures et que vous les comparez à certains mangas, vous comprendrez en quoi ils sont liés, surtout sur la manière d'appréhender les personnages... Je vous laisse comparer.

 

 

 

 

Comme vous pouvez déjà le constater, si le manga est enfin de compte quelque chose de moderne, de contemporain, il reste attaché à une culture japonaise quasi ancestrale!

 

Cette culture dite populaire explose véritablement pendant l'ère Edo (1603-1867). C'est aussi pendant cette période que se développe le Kabuki. Si le manga a hérité avec l'estampe de dessins aux visages presque dépourvus de traits (regardez la bouche, les yeux) il doit au kabuki sont côté longue série, voire un côté burlesque, qui s'étire sur de longs épisodes et qui va parfois chercher dans sa mythologie. Regardez par exemple l'apparition des Shinigami dans Bleach! Regardez Naruto!! On n’est pas loin d'une sorte de théâtre grand guignol, avec, attention, rien de péjoratif dans le terme!

Mais il est autre chose qui inspire et prépare le manga, moins connu peut-être des occidentaux, se sont les Kibiyoshi, ou tout simplement romans populaires. Souvent illustrés, ces ouvrages racontent des histoires d'amour, de sexe, de fantastique et ils sont reconnaissables à leurs couvertures jaunes. Ce sont près de 3 000 titres publiés entre 1775 et 1868. Des histoires qui pourraient très bien devenir des mangas...

 

 

Ce rapide aperçu du manga avant le manga se poursuit à l'air Meiji (1868-1912). Meiji signifie en japonais "éclairé" car cette ère est celle d'un Japon qui rompt avec son isolationnisme volontaire (sakoku) pour se tourner vers le monde avec une volonté de modernisation. C'est pour les artistes japonais l'occasion de découvrir de nouvelles choses et entres autres : le dessin satyrique, les techniques modernes d'impression permettant de vrais tirages massifs (technique offset), la création des premiers magazines, les cartoons et l'apparition de petites BD dans les suppléments du dimanche! Le manga n'est plus très loin.

 

Ce premier supplément porte le nom de Jiji Manga (avant nommé Jiji Shinpo) et il est crée par le grand réformateur de la presse : FukuzawaYukichi. Le tout se veut bien sûr très satyrique!

Notons que Fukuzawa est un personnage très important au Japon. S'il a créé le premier "manga", il est aussi le fondateur de l'université Keio basée sur le système d'éducation occidental. Un écrivain voyageur et son portrait orne aujourd'hui les billets de 10 000 yens! C'est vous dire l'importance du monsieur!

A cette période la presse japonaise se transforme donc, prenant modèle sur la presse anglo-saxonne. Certains créateurs d'Ukyo-e n'hésitent pas à publier dans des revues qui portent le nom de Jiji manga ou bien E Shinbun Nipponchi...

 

 

Des occidentaux font le voyage jusqu'au Japon et enseignent de nouvelles techniques aux artistes nippons. Tout cela aura bien sûr une grande influence sur le manga.

Ainsi, en 1902 est créé le premier Manga par Kitazawa Rakuten. Ce dernier a été initié par un artiste australien à la caricature et en 1902 il publie son histoire de l'arroseur arrosé dans le supplément de Jiji Manga. Le proto manga est né ! Étrangement, il est au croisement à la fois d'une culture typiquement japonaise (surtout dans le dessin) et en même temps d'une culture toute occidentale. Kitazawa sera tout au long de sa vie inspiré par l'occident, il exposera en France et recevra la légion d'honneur en 1929. Alors bien sûr, nous sommes encore loin du manga tel que nous le connaissons, mais tout cela nous montre bien le long processus qui a permis l'apparition de la BD Japonaise. Car bientôt d'autres magazines de mangas suivent, souvent caricaturaux, engagés et loin, très loin d'être destinés aux enfants! Même si bien évidemment un système de censure est mis en place (surtout que les mangaka n'hésitent pas à attaquer ouvertement le pouvoir), il se créer pourtant une Ligue des dessinateurs prolétaires!!

 

Le manga est donc crée et l'on prendra comme date symbolique 1902 mais pour en arriver la où nous en sommes, la route est encore longue... Clairement on est loin du club Dorothée !

 

Après l'ère Meiji, le Japon historique rentre dans une nouvelle air : Taisho ( 1912-1926) qui verra donc le japon entrer dans l'ère Hirohito, fils de l'empereur Taisho, et qui est la dernière grande ligne droite de la création du manga tel qu'on le connait!

 

En cette période un dessinateur, Okatomoto Ippei, introduit au japon les comics, au départ des histoires de cow boy et d'indiens, des histoires de tarzan et le début des super héros. La technique de dessin japonaise évolue encore sous cette influence et le texte commence à disparaitre totalement au profit de la bulle. Nous sommes en 1923...

La plupart des mangas de cette époque sont très inspirés des Bds américaines, où les cow-boy sont remplacés par des samouraïs et les mangas ne sont plus simplement des caricatures ou des oeuvres engagées (même si cet engagement continue malgré tout à faire frémir la censure et le pouvoir...).

Mais, il est un nom encore plus important qu'il nous faut retenir à mon sens, c'est Kodansha, éditeur toujours numéro un de nos jours au Japon et qui lance en 1912, donc avant tout le monde, un magazine nommé : Shonen Club. Et oui cet éditeur donne le nom de ces parutions réservé essentiellement au jeunes garçons, qui aujourd'hui s'appellent toujours des Shonen !

Kodensha publie donc une revue de plus de 200 pages remplie entre autres de mangas où des samouraïs s'affrontent, très inspirés toujours par le modèle américain, c'est-à-dire Comics et Walt Disney.

Nous ne sommes pas loin des magazines de prépublication et commence donc à apparaitre le terme Shonen. Je reviendrais par la suite sur tous ces termes que sont seinen, shojo et shonen et je vous montrerai qu'il s'agit parfois juste d'une bataille d'éditeur... Notons qu'à cette époque ce créer le Shojo Club aussi. Je vous en reparle...

 

Voilà, tout semble en place pour que naisse enfin le manga tel que nous le connaissons actuellement.

Des magazines féminins s'emparent de cette mode et décline les BDs sur les histoires d'amour, une ligue de dessinateurs de manga se crée (nihon manga kai et Tokyo manga kai entre autre) et les premières critiques apparaissent (manga Kisha). Le gouvernement ne sait plus ou mener de la tête face à ces petites bulles souvent irrévérencieuses et rebelles, même pendant la guerre sino-japonaise.

 

Mais c'est une autre guerre qui accéléra la naissance du manga et surtout les désastres d'Hiroshima et Nagasaki...

De tout cela, de toute cette longue tradition, il faut aussi retenir le plus important, un certain art du dessin, bien sûr issu de tout ce que je viens de citer. Rappelons aussi que de part leur système d'écriture, les Japonais ont un rapport très direct avec le dessin. Qui s'est un jour lancé dans l'apprentissage des Kanji et autres comprendra ! On trouve alors souvent dans les mangas un trait brut, direct et très épuré. Comme dessiné à la va vite, ce qui ne veut pas dire mal fait!!

Par la suite bien sûr ce sont les Etats-Unis qui ont plus inspiré encore les mangakas : effets de vitesse, cadrages cinématographiques etc.

Mais il est donc maintenant temps pour nous de nous intéresser au manga tel qu'on le connaît aujourd'hui, ou presque.

 

Voilà, je vous promet la suite très, très bientôt... J'espère que ça vous à plu.