mallox Super héros Toxic


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Posté le: Sam Mai 12, 2007 2:27 pm Sujet du message: [M] [Critique] Colorado |
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Titre: Colorado (La resa dei conti/ The big Gundown)
Réalisateur: Sergio Sollima
Année: 1966
Pays: Italie
Genre: Western
Scénario: Sergio Donati, Sergio Sollima
Musique: Ennio Morricone
Acteurs: Lee Van Cleef, Tomas Milian, Luisa Rivelli, Fernando Sancho, Nieves Navarro, Roberto Camardiel, Walter Barnes,…

Jonathan Corbett est connu pour avoir éliminé presque tous les bandits du Texas. C’est bien pour cela qu’on lui propose sa candidature au sénat des Etats-Unis et que l’on compte bien se servir de lui pour soutenir la construction ferroviaire d’un riche propriétaire. Pour que ce projet soit mené à bien, on lui demandera en premier lieu d’éliminer le Mexicain gênant Cuchillo, accusé à tort d’avoir violé et tué une fille de 12 ans. Corbett se met alors comme convenu à le poursuivre, sauf que dans sa longue traque, celui-ci verra ses convictions petit à petit contrariées puis contredites…

C’est simple, cette « Resa dei conti » n’a pas besoin de compagnie, car prise seule, non seulement elle existe, mais elle est tout bonnement l’une des meilleures et jouissives pellicules du genre. L'histoire déjà est à la fois très bien développée (Dans sa version intégrale – celle de 105 ou 107min), mais également, empreinte d’une certaine profondeur humaine avec pas mal d’introspection en sus. Le personnage de Corbett campé par Van Cleef possède déjà un caractère bien plus complexe qu’à l’ordinaire, et sa transformation désabusée, humaine, qui tend vers le respect est un fait même assez inédit dans le spaghetti. On saura à jamais gré à Sergio Sollima d’avoir su apporter cette dimension humaine, et ce, sans pour autant ni tomber dans un humanisme béat, un moralisme chiant, ou encore une complicité pataude entre les deux héros qui resterait réservée aux enfants dans son côté justement trop bon enfant. Non, Sollima prend le temps de peindre finement ses personnages, ce qui ne l’empêche pas de le faire avec grâce et pas mal d’humour, notamment lors de la première rencontre entre Corbett et Cuchillo, ce dernier étant en plein rasage, substituera le barbier à lui-même, laissant, disons le tout net, ‘Lee Van Corbett’ comme un con, et ce ne sera que la première d'une petite série! il est vrai, hormis l’hypothèse où l’on serait renégat soit même, voire riche propriétaire terrien, qu'il est impossible de détester ce personnage de Cuchillo, car tout agaçant qu’il puisse être, il n’en est pas moins attachant.

Si attachant du reste, que Van Cleef, pourtant abusé à plusieurs reprise par cet étrange sauvageon des plus bavards, à la limite même du soûlant, révise petit à petit son jugement sur le personnage autant qu’il remet en question pas à pas, son sens de la justice que son éducation lui a donné. Peu à peu, il découvre qu’il y a davantage d’équité et de cette justice chez le pourchassé anarchiste que chez le chasseur légal qui l’emploie. C’est là du reste où réside la plupart de l’engagement à gauche toute de Sergio Sollima, en inversant les rôles et livrant ainsi sa propre conception de la justice, et de la légitimité à se servir de la légalité pour la détourner. A ce titre (mais je ne vois que des Van Cleef ces derniers temps), la qualité de son interprétation est à nouveau remarquable. Celui-ci tout juste sorti du « Bon, la brute et le truand » assure avec un brio et un charisme incomparable son avenir au sein d’un genre qu’il ne cessera ensuite de tirer vers le haut.

De l’autre côté, se situe son miroir sinon son révélateur, à savoir Cuchillo. Cet homme-là, constamment en fuite, à travers les plaines, déserts et les champs de maïs, saura pourtant s’arrêter quand il faut afin de profiter des plaisirs de la vie. Injustement accusé, et quand bien même ce ne serait pas un ange, celui-ci refuse la violence injustifiée, et le couteau dont il préfère se servir en tant qu’arme (et l’on ne s’en plaindra pas !) semble symboliser sa marginalisation au sein d’un système où il ne se retrouve pas. Ce qui est amusant, c’est qu’à contrario des autres westerns mettant en place comme celui-ci un jeu subtil de chat et de souris (« Le grand duel »), c’est le jeune qui entraîne ici le vieux dans la réflexion et l’initiation. Ceci va bien sûr dans le sens anti-réactionnaire et militant de son metteur en scène, et c’est malgré les apparences beaucoup plus fin qu’on ne pourrait le croire. A ce titre, Tomas Milian livre une prestation assez hallucinante, entre cabotinage et retenue, spontanéité et réflexion lasse, si bien qu’il ne serait pas étonnant que ce rôle-là ai déteint par la suite sur sa carrière, le faisant parfois frôler le surplus de cabotinage, pour ma part légèrement agaçant (« Le clan des pourris ») à force de redondance, et je dis ça en toute objectivité (personnelle ) puisqu’il s’agit d’un acteur que j’adore. Quoiqu’il en soit, Cuchillo reste à ce jour, l’un de ses rôles les plus marquants que j’ai pu voir. De plus l’association qu’il forme avec Lee Van Cleef, est non seulement malicieusement parfaite, mais Sollima leur donne une épaisseur assez rare pour être signalée, d’autant qu’il fait rentrer une notion de respect mutuel aussi subtile qu’imparable dans sa petite étude de mœurs.

Il ne faudrait tout de même laisser de côté le foisonnant spectacle auquel on a droit avant tout. La première scène (absente dans la version US – 80’ !!- où le film perd tout son sens en plus de caricaturer les protagonistes) avec ces chasseurs de primes éradiqués vite fait bien fait par Corbett est épatante. Le personnage est sans concession, il ne tirera que si l’on y oblige, mais il tirera pour tuer. Pareil en somme que Cuchillo avec son couteau et c’est bien leur notion personnelle de justice qui les fera se rejoindre enfin. En parlant de coutelas, la fin marquera son homme, et à ce propos il est difficile une fois de plus de ne pas citer l’immense partition (et non pas seulement son thème principal) du sieur Morricone, la scène où Cuchillo se retrouve à combattre un taureau restant ma préférée (le thème de « la corrida » du grand Ennio est formidable), une véritable célébration de tous les sens! De même pour ce saint Cuchillo pourchassé à travers les champs de maïs, défendant son épouse mise à mal, balançant d’un coup de pied des plus gracieux son fusil à son double Corbett afin qu’il puisse éliminer le danger, à savoir autant l’horrible homme d’affaire sans foi ni loi (Walter Barnes/"Halleluja for Django"), que ce policier mexicain (Fernando Sancho/"Sartana") que tout ceci arrange bien, détestant autant les révolutionnaires que les Américains. C’est dans un respect mutuel durement gagné et rempli de défis et de joutes narquoises entre les deux hommes, qu’ils se retrouveront pour porter haut et fort ce qui est juste et vaincront. Enfin, on l'espère pour eux...

Bref, si l’on ajoute à tout ceci, une sorte de nazi au monocle (Gérard Herter/"Poker d'as pour Django"), doté d’une tête pas possible, entre sadisme contenu et fair-play, et dont le sport préféré serait la chasse à l’homme (mais à chacun son truc, il faut rester tolérant !), semblant ainsi symboliser l’ancien temps et toutes les déviances des jeux de Rome qui vont de paire, en même temps qu’une suprématie aryenne en devenir, c’est cette avalanche de détails ajoutés aux richesses évoquées ci-dessus, qui font de « La resa dei conti » non seulement l’un des tous meilleurs films de son auteur, l’un des meilleurs spaghetti auquel on peut encore assister à ce jour, et somme toute, un grand western tout court.
Note : 9/10
Accroche : Cours Cuchillo, cours, et ne t’arrête surtout pas !
p.s: Pour faire le lien quand même, on reviendra bientôt sur "Saludos Hombre", tourné deux ans plus tard et qui est la suite des aventures de Cuchillo pour le coup retranché au Mexique, sachant qu'entre temps, Sergio Sollima a tourné un excellent "dernier face à face".

Petit à propos sortie de la chronique préalable (pour gregos, je sais qu'il le fais lui-même sinon lors de la mise en ligne) :
j’ai beaucoup d’estime pour Sergio Leone, lequel avec son cinéma popularisé est assez proche dans son propos mélancolique de Sam Peckinpah, que je trouve encore supérieur avec ses personnages entre deux mondes. Pourtant, tandis qu’on oppose encore et encore Leone à ses « deux bâtards de fils de pute » engendrés bien malgré lui (scusez, je prends le langage al dente ! Je veux parler bien sur de Corbucci et Sollima), il faudra bien qu’un jour cessent les comparaisons.
D’ailleurs je m’étais dit que ne citerai pas le nom de Leone dans cette chronique, tant je suis frappé de lire partout des articles (parfois très intéressants pourtant) sur les westerns de Sergio Sollima et de Sergio corbucci qui ne semblent pas pouvoir se faire sans se référer au troisième Sergio cité ci-dessus. C’en est quand même un comble quand on sait toute la personnalité de Sollima (puisque c’est lui qui nous préoccupe ici, et qu’on vient de tuer Leone), son apport au genre, et son savoir faire. Je m’étais dit exactement la même chose en parlant de « L’enfer des Zombis », ou chaque fois la comparaison avec Romero semblait inévitable, et pourtant tout cela me paraît tellement dispensable…. _________________

Dernière édition par mallox le Mer Aoû 04, 2010 8:48 am; édité 13 fois |
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