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sigtuna Super héros Toxic


Inscrit le: 08 Jan 2010 Messages: 3818
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Posté le: Lun Nov 07, 2011 10:34 pm Sujet du message: [M] [Critique] Au royaume des miroirs déformants |
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Au royaume des miroirs déformants (Королевство кривых зеркал)
Union Soviétique – 1963
Réalisation : Aleksandr Rou
Avec Olya Yukina, Tatiana Yukina, Anatoli Kubatsky, Andreï Fajt, Lidia Vertinskaya, Arkadi Tsinman, Tamara Nosova...
Genre : Fantasy
Accroche : Disney rouge
AKA : The Kingdom Of Crooked Mirrors (Korolevstvo krivykh zerkal)
URSS, au début des années 60 - la jeune écolière Olya, au lieu de rentrer chez elle après les cours, regarde en cachette, perchée sur un mur, un film interdit au moins de 16 ans. Mais 18 heures sonnent, et elle regagne en vitesse ses pénates (enfin… l'appartement de sa grand-mère) toute essoufflée, ses vêtements dans un triste état et en ayant égaré la clef des lieux. Sa grand-mère qui, habituée à ses frasques, ne prend plus la peine de la gronder, la laisse pour se rendre chez la concierge remplacer la clé perdue. Avant de partir, elle lui recommande de ne pas faire de bêtise, et surtout de ne pas manger de la confiture de cerise avant le dîner. Une fois seule, Olya se précipite sur le confiturier pour se goinfrer, mais en se querellant avec son perroquet (oui dit comme ça, ça fait bizarre, mais c’est l’ensemble du film qui est étrange), elle casse un pot. Le grand miroir de la pièce se met alors à luire et Olya, irrésistiblement attirée par son reflet, est projetée à l’intérieur…
Une fillette, "l’autre coté du miroir", comment ne pas penser à "Alice au pays des merveilles" ! Pourtant, les similitudes entre l’œuvre de Lewis Caroll et la nouvelle de Vitali Gubarev, dont ce métrage est l’adaptation, s’arrêtent là, à cet argument de départ, l’histoire étant tout autre. Dès son passage de l’autre côté, Olya rencontre son image identique "d’outre miroir " Yalo, faisant ainsi écho au vœu de sa grand mère excédée : "si tu pouvais te voir de l’extérieur". Les deux jumelles, devenues inséparables, s’en vont alors visiter ce royaume des miroirs déformants, où tout est vu à travers un prisme (les miroirs du titre), donnant une image fausse de la réalité. Allusion transparente, pour les enfants du bloc de l’est auxquels ce film était destiné, au monde capitaliste. Par une curieuse relativité des choses, que nous appelleront le postulat des valeurs inversées, le spectateur français (ou même belge, ne soyons pas sectaire) né avant 1989 aurait plutôt tendance à voir dans ce royaume de l’information mensongère une allégorie du bloc communiste (bien que d’autres indices font clairement pointer la boussole vers l’ouest).
Mais résumer ce film à son aspect propagandiste (somme toute assez subtil et peu appuyé, compte tenu de la fluidité de l’action) serait aussi mensonger que réducteur. Ce qui étonne et enchante le spectateur, quelque soit son âge, c’est la richesse des décors, la beauté des costumes, la qualité des effets spéciaux… bref, le "style" Aleksandr Rou. Néanmoins, cela reste un film pour enfants, un conte de fées visuellement superbe mais forcément naïf dans la forme, malgré son ambiguïté dans le propos, et assez répétitif. Reste que, si vous ne trouvez pas son duo d’héroïnes trop insupportable (leur laideur sympathique et le côté "étrange" de la gémellité devrait faire passer la pilule aux plus réfractaires à ce genre enfantin), vous vous plairez facilement dans ce royaume fantastique dominé par un quatuor d’animaux anthropomorphisés ; ce film étant le pendant soviétique des meilleurs Disney de l’époque du grand Walt.
Quasi inconnu en France, Rou est considéré en Russie comme, si ce n’est l’égal, au moins l’émule et le concurrent du grand Alexandr Ptushko. Issu comme ce dernier des "effets spéciaux" et, tout comme Ptushko, spécialisé dans le "fantastique familial", Aleksandr Rou, dont les films ont bercé deux générations de natifs de Leningrad et de Karl-Marx-Stadt, a malgré tout une filmographie plus mineure (dans tous les sens du terme) que son rival, car limitée à un jeune public, quand celle de Ptushko touche tous les âges. Rou doit son patronyme étrange à un père irlandais, ingénieur débarqué à l’époque où l’empire des tsars, jetant ses derniers feux, s’ouvrait massivement aux capitaux et entreprises étrangères pour améliorer ses infrastructures. Mais en 1914, cet indigne paternel fuira le pays en guerre, en abandonnant sa famille. Le petit Rou connut alors la plus noire des misères jusqu’aux années 20. Pur produit du système éducatif du nouveau régime, il intégrera à sa sortie de l’université la "Soyoudezfilm", en tant qu’assistant réalisateur chargé des effets spéciaux, et passera à la mise en scène en 1938. Il restera actif jusqu’à sa mort en 1972, la même année que Ptushko. Notons que le fait que Ptushko et Rou aient travaillé dans des registres identiques sans jamais se croiser professionnellement n’a rien de surprenant, les deux œuvrant pour des productions concurrentes, la prestigieuse Mosfil pour le premier, les studios Gorki pour Rou.
Je ne finirai pas cette modeste critique sans saluer la remarquable prestation des interprètes adultes, dans des rôles à maquillage forcément casse gueule. Ceux qui ont vu "Sadko" et son Phénix/harpie reconnaîtront facilement le regard hypnotique de Lidia Vertinskaya, qui joue la femme serpent. Née en Chine de parents géorgiens ayant fuit la révolution, épouse d’un des plus grands acteurs russes blacklistés sous Staline, actrice elle-même par nécessité, et mère de deux filles qui deviendront les reines du théâtre moscovite, sa vie fut un roman. Dans le rôle de son père, l’homme rapace, Andreï Fajt, qui débuta dans "Le cuirassé Potemkine", est tout aussi impressionnant. On notera aussi la présence de Georgi Milliar, l’acteur fétiche de Rou (vu aussi dans "Sampo"), et celle de Tamara Nosova qui joue la belette (un rôle non zoomorphe). Tamara Nosova, qui était l’épouse du scénariste Vitali Gubarev, auteur de la nouvelle d’origine, et qui fut dans les années 60 une des plus célèbres actrices soviétiques, mourut en 2007 dans le plus total dénuement, comme tant d’autres retraités floués par le changement de régime. Je ne sais ce que devinrent les jumelles, mais les mauvaises langues prétendent qu’il s’agissait en fait de jumeaux et qu’ils émigrèrent en Pologne où il firent une brillante carrière en politique.
Quoi qu’il en soit n’hésitez pas à franchir le miroir avec elles.
8/10

Dernière édition par sigtuna le Mar Nov 08, 2011 9:47 pm; édité 3 fois |
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sigtuna Super héros Toxic


Inscrit le: 08 Jan 2010 Messages: 3818
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Bigbonn Psycho-cop


Inscrit le: 13 Déc 2004 Messages: 4107
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Posté le: Mer Nov 16, 2011 8:32 am Sujet du message: Re: [Critique] Au Royaume des miroirs déformants |
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sigtuna a écrit: | le spectateur français (ou même belge ne soyons pas sectaire), né avant 1989, aurait plutôt tendance à voir dans ce royaume de l’information mensongère une allégorie du bloc communiste (bien que d’autres indices font clairement pointer la boussole vers l’ouest). |
bravo pour ton anti-sectarisme! mais que fais-tu des Suisses, des Québécois et de tous les autres francophones qui, de par le monde, fréquentent psychovision!?!
Citation: | Rou doit son patronyme étrange à un père irlandais |
eh oui, les Irlandais sont roux, c'est bien connu!
(c'est une blague, cette anecdote du père irlandais ou c'est sérieux??? parce que Rou, ça ne sonne pas tellement irlandais, je trouve.)
en tout cas, la critique comme les images donnent envie de voir ce film, naïf et enfantin, comme tu l'as dit, mais à l'univers visiblement original et à l'atmosphère plutôt inspirée. |
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sigtuna Super héros Toxic


Inscrit le: 08 Jan 2010 Messages: 3818
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Posté le: Mer Nov 16, 2011 8:49 am Sujet du message: Re: [Critique] Au Royaume des miroirs déformants |
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Bigbonn a écrit: |
Citation: | Rou doit son patronyme étrange à un père irlandais |
eh oui, les Irlandais sont roux, c'est bien connu!
(c'est une blague, cette anecdote du père irlandais ou c'est sérieux??? parce que Rou, ça ne sonne pas tellement irlandais, je trouve.) |
C'est "Rowe" qui par transcription en cyrillique donna Александр Роу et par retranscription en alphabet latin donna Aleksandr Rou (sinon j'ignore la couleur de la chevelure de son père mais Rou etait... chauve) |
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Bigbonn Psycho-cop


Inscrit le: 13 Déc 2004 Messages: 4107
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Posté le: Mer Nov 16, 2011 10:04 am Sujet du message: Re: [Critique] Au Royaume des miroirs déformants |
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sigtuna a écrit: | Bigbonn a écrit: |
Citation: | Rou doit son patronyme étrange à un père irlandais |
eh oui, les Irlandais sont roux, c'est bien connu!
(c'est une blague, cette anecdote du père irlandais ou c'est sérieux??? parce que Rou, ça ne sonne pas tellement irlandais, je trouve.) |
C'est "Rowe" qui par transcription en cyrillique donna Александр Роу et par retranscription en alphabet latin donna Aleksandr Rou (sinon j'ignore la couleur de la chevelure de son père mais Rou etait... chauve) |
bref, il n'y a pas que les miroirs qui sont déformants!  |
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fantomas 2 10% irradié

Inscrit le: 03 Mai 2006 Messages: 51 Localisation: Saint-Ouen
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Posté le: Ven Nov 18, 2011 8:32 am Sujet du message: Re: [Critique] Au Royaume des miroirs déformants |
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[quote="Bigbonn"] sigtuna a écrit: | le spectateur français (ou même belge ne soyons pas sectaire), né avant 1989, aurait plutôt tendance à voir dans ce royaume de l’information mensongère une allégorie du bloc communiste (bien que d’autres indices font clairement pointer la boussole vers l’ouest). |
bravo pour ton anti-sectarisme! mais que fais-tu des Suisses, des Québécois et de tous les autres francophones qui, de par le monde, fréquentent psychovision!?!
Sans parler des Bretons, comme moi, dont un certain nombre parlent le français?  |
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sigtuna Super héros Toxic


Inscrit le: 08 Jan 2010 Messages: 3818
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Posté le: Ven Nov 18, 2011 8:41 am Sujet du message: |
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Les bretons sont maoïstes c'est bien connu.  |
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Bigbonn Psycho-cop


Inscrit le: 13 Déc 2004 Messages: 4107
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Posté le: Ven Mar 30, 2012 8:16 pm Sujet du message: Re: [M] [Critique] Au royaume des miroirs déformants |
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sigtuna a écrit: | Ce qui étonne et enchante le spectateur, quelque soit son âge, c’est la richesse des décors, la beauté des costumes, la qualité des effets spéciaux… bref, le "style" Aleksandr Rou. |
oui, c'est clairement la qualité principale du film: cette profusion colorée et certains décors impressionnants, ainsi que le caractère exagéré des personnages, à l'image du crapaud verdâtre.
Citation: | Néanmoins, cela reste un film pour enfants, un conte de fées visuellement superbe mais forcément naïf dans la forme, malgré son ambiguïté dans le propos, et assez répétitif. |
oui, pour le coup, j'avoue que j'ai un peu perdu mon âme d'enfant et que j'ai très vite décroché de ce conte au pays des miroirs déformants...
Citation: | Reste que, si vous ne trouvez pas son duo d’héroïnes trop insupportable (leur laideur sympathique et le côté "étrange" de la gémellité devrait faire passer la pilule aux plus réfractaires à ce genre enfantin), vous vous plairez facilement dans ce royaume fantastique dominé par un quatuor d’animaux anthropomorphisés |
mouais, j'avoue que l'ensemble est vraiment trop gentillet et aussi très daté, et que les deux gamines m'ont assez vite gonflé...
et pourtant, l'arrivée de la veuve noire et de ses deux laiderons à marier toutes dents dehors m'avait bien plu après un début pas très convaincant mais après c'est assez vite retombé...
pas kou! |
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sigtuna Super héros Toxic


Inscrit le: 08 Jan 2010 Messages: 3818
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Posté le: Ven Mar 30, 2012 8:47 pm Sujet du message: |
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tu risque de ne pas aimer Morozko non plus  _________________
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Bigbonn Psycho-cop


Inscrit le: 13 Déc 2004 Messages: 4107
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Posté le: Sam Mar 31, 2012 6:28 am Sujet du message: |
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sigtuna a écrit: |
tu risque de ne pas aimer Morozko non plus  |
oui, mais j'ai trouvé kin-dza-dza excellent! (comme dit sur le topic, d'ailleurs), ça en fait déjà un sur les deux. Et je reconnais tout à fait des qualités à celui-ci mais c'est juste que je suis resté un peu fermé à cet univers trop sucré.
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sigtuna Super héros Toxic


Inscrit le: 08 Jan 2010 Messages: 3818
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Posté le: Sam Mar 31, 2012 9:08 am Sujet du message: |
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Je parlais du style de Rou plutôt que de leur origine sovietique.  _________________
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Bigbonn Psycho-cop


Inscrit le: 13 Déc 2004 Messages: 4107
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Posté le: Sam Mar 31, 2012 9:47 am Sujet du message: |
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arf! j'avais pas fait le lien avec Le père frimas, du rou en question, c'est pour ça.
bon, il y a quand même un traineau tiré par des porcs, un type ressemblant à un croisement entre un nain de jardin et je sais plus quoi, bref, quelques trucs qui peuvent me plaire!  |
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