Interview de Paul Vecchiali
Écrit par The Hard / Flint   

 

Interview réalisée le 10 janvier 2010.

 

Bonjour Mr Vecchiali. Tout d'abord : comment allez-vous ?

Comme un vieux qui ne veut pas vieillir.

Quels sont les films qui vous ont marqué dans votre jeunesse, au point de vouloir faire du cinéma ?

Ma villa s'appelle Mayerling. Vous avez la réponse. J'avais six ans et j'ai étonné ma mère en lui disant : "Plus tard, je ferai du cinéma".

Votre premier long métrage, "Les petits drames", a-t-il été vraiment perdu, ou détruit ? De quoi parlait-il ?

Oui mais grâce à l'INA et à un reportage que j'avais fait à l'époque, je vais retrouver des extraits du film, j'en suis heureux. C'était un mélo où une infirmière aimait deux hommes à la fois : un flic et un assassin. Original, non ? L'essentiel était ailleurs. Nicole Courcel et Michel Piccoli qui étaient venus m'épauler avaient fait le film gratuitement et j'ai pu voir travailler deux grands professionnels entourés par une équipe d'amateurs (j'allais dire de "bras cassés"), mais nous étions si motivés... Du reste, je fais encore du cinéma exactement comme pour ce film).

Pouvez-vous nous expliquer votre "intrusion" dans le film pornographique ? Il me semble qu'à la base, Noël Simsolo (co-écrivain du scénario de "Change pas de Main") et vous aviez eu l'idée d'une comédie musicale intitulée "Pornographia"...

Exact. Ce n'aurait pas été PPP (Porno/Policier/Politique, ndlr), mais CMP parce que c'était un musical. En fait, Jean-François Davy, qui avait adoré "FEMMES FEMMES", pensait que je ne travaillais pas assez et il m'a offert l'opportunité de faire un film de plus. Mais ça n'a pas été un film de plus.
Plutôt une merveilleuse et redoutable aventure.

"Change pas de main" marque la rencontre de deux familles au niveau du casting : celle de Paul Vecchiali, et celle de Jean-François Davy. Au vu de la réussite de cette fusion, aviez-vous envisagé, après le film, de faire ensemble un autre long métrage ?

Non, mais Jean-François a eu la générosité de mettre (deux fois !!!) mes films en cassettes, puis en DVD un coffret de mes trois films gays.

Quel souvenir conservez-vous de personnes tel que Howard Vernon ou encore Claudine Beccarie, et du tournage en général ?

Howard était un acteur adoré par Jean-Claude Biette et, comme il était mon assistant et aussi un peu dialoguiste, nous avons pensé à Howard, acteur au millimètre, drôle et affectueux.
Quant à Beccarie, je l'ai à peine vue, même si c'était "beaucoup"... Pas d'opinion là...

Au temps où vous réalisiez "Change pas de main", vous avez dit que le porno n'avait que pour seule et unique fonction de pervertir les autres genres, ne pouvant en être un à lui tout seul. Plus tard, avec un certain recul, vous avez aussi dit que le cinéma pornographique était bien un genre ; tout comme vous avez revendiqué "Change pas de main" comme un vrai film. Et donc maintenant, alors que le porno est – disons - mort et enterré depuis longtemps, pouvez-vous nous dire ce que fut, pour vous, le cinéma porno ?

Je reviens à ma première proposition et je pense que la suite m'a donné raison. "BASIC INSTINCT", "NEUF SEMAINES ET DEMI", etc... en sont la preuve. Je ne parle pas de mes films qui ont aussi bien marché mais j'espère avoir, avec plus d'audace et de subtilité, servi cette "cause".
J'ai fait un film qui s'intitule "BAREBACK", un autre, "+ SI @FF." et, quand on me demande si ce sont des pornos, je réponds : ce sont des films assez romantiques où il y a des actes sexuels précis.

La loi X étant tombée quelques trois semaines après la sortie de "Change pas de main", comment l'avez-vous accueilli et vécu ?

Non, la semaine suivant la sortie du film ! On est passé de 44.000 entrées à 9.000... Mais ce n'était pas un problème. Je n'ai jamais cherché à faire des scores. Jean-Claude Guiguet et moi, intrigués de voir le film durer plus d'un an à Marseille, avons décidé d'y aller et nous avons payé nos places. La salle était muette et la caissière à qui je me suis présenté m'a dit "Ce ne sont pas mes clients habituels, ils n'ont pas d'attaché-case !!!" Nous avions beaucoup ri...

La bande-originale du film, signée Roland Vincent, est une petite merveille. Quelle est l'importance, pour vous, de la musique dans un film ?

Capitale. Et vous devez savoir que je fais écrire la musique avant le tournage pour que le musicien laisse aller son inspiration. Il ne lit même pas le scénario, nous "parlons" de tout et de rien. Cette liberté me paraît essentielle. D'ordinaire, on demande au musicien de film d'être le "docteur"... Je déteste cette idée.

 

Paul Vecchiali dans A vot' bon coeur.

"Change pas de main" montre ce qu'aurait pu être le vrai film pour adultes si la loi X n'était pas tombée. Pensez-vous avoir atteint une sorte de "recette idéale" avec ce film?

J'espère bien que non ! Une recette ? Ça alors, j'en serais mortifié ! Nous avons réussi à faire un film qui sortait de tous les cadres... Le distributeur, après avoir visionné le film, m'a dit cette phrase sublime : "Mais... C'est un vrai film !" Reproche ou admiration ? Jamais su...

Pour en terminer avec le hard, y-a-t-il des films, ou des réalisateurs, qui vous ont marqué, qui ont retenu votre attention ?

Jean Grémillon et Max Ophuls, Mizoguchi, Bresson, Lubitsch, Keaton, Fuller, Godard, Demy, Duvivier mais ne cherchez pas d'influence. Ce sont mes phares.

Est-il vrai que c'est après avoir vu "Femmes, femmes" que Pasolini décida d'enrôler Hélène Surgère et Sonia Saviange dans "Salo ou les 120 journées de Sodome" ?

Pire ! Surgère a remplacé Moreau et PPP (!!!) a écrit un rôle pour Sonia. Celui de la pianiste muette qui se suicide. Il ne voulait pas prendre l'une sans l'autre. Nous devions faire un Giles de Rais en coréalisation. Mais je ne l'ai vu que quatre fois dans ma vie. Son discours à Venise à la suite de la projection du film a généré ma carrière.

Avez-vous rencontré Pasolini à cette époque, et que pensez-vous de "Salo" ?

Difficile d'avoir un point de vue sur un film qui vous rend hommage. J'ai toujours dit à Pier-Paolo que poser une caméra sur le sol, c'était prendre un risque donc un acte politique. Lui filmait sous tous les angles, à plusieurs focales, comme Truffaut, et le monteur faisait le reste... C'est en entendant ça qu'il m'a proposé de faire un film en coréalisation.

Vous êtes un cinéaste engagé, et à travers vos œuvres traitant du SIDA et de l'homosexualité, vous combattez l'intolérance. Pensez-vous que le 7ème Art soit une arme efficace pour faire évoluer les mentalités ?

Je me considère en effet comme un cinéaste engagé mais pas militant. Je préfère le doute aux certitudes. Et je hais les armes !

"Rosa la Rose, fille publique" a été le premier film, pour le cinéma, dans lequel on ne retrouvait pas vos acteurs attitrés. Pourquoi ?

Parce que les temps changent, les mentalités aussi et ma rencontre avec Marianne Basler a influencé le reste du casting. J'ai tout de suite pensé à Sorel puis à Cosso parce qu'il y avait une filiation entre eux. Mais il y a tout de même Simsolo, Jean-Louis Rolland...

Dans "A vot'bon cœur", vous réglez vos comptes avec la CNC, qui ne vous a guère aidé durant toute votre carrière. Etre engagé, indépendant, représente-t-il un handicap aussi important en 2010 que dans les années 60 ?

Non, je ne règle pas mes comptes avec le CNC : j'ai essayé de faire un film drôle pour enrayer ma rage ! Pour vous donner une idée, l'avance sur recettes m'a été refusée pour "FEMMES FEMMES" sur film terminé avec, comme argumentaire, qu'il y avait des participations... Pas eu non plus "CORPS À CŒUR" : 40 festivals, nombreux prix dont celui du scénario. Et le plus fort, c'est "ONCE MORE", rejeté, qui a obtenu ensuite le Grand Prix de la SACD décerné par un jury dont le président était Claude Sautet !!! Alors, on finit par se poser des questions ! Ce film était fait aussi pour que eux se posent des questions, pas seulement par rapport à moi ! Est-il admissible qu'un réalisateur travaille des mois sur un projet et que les membres de la Commission répondent simplement par oui ou par non ? Ils sont payés pour ce travail, ils devraient rendre compte de leurs opinions. Ce qui pourrait aider le scénariste d'ailleurs !

En dehors des acteurs avec lesquels vous avez régulièrement travaillé, vous avez aussi dirigé des personnes comme Jean-Claude Drouot, Jacques Perrin et Michel Duchaussoy. En gardez-vous un bon souvenir ?

Vous oubliez Danielle Darrieux et Madeleine Robinson, entre autres... Les plus grands sont les plus humbles. Robinson m'a dit : "Je suis pleine de tics, je compte sur toi." Darrieux : "Je ne veux pas d'un fan mais d'un directeur". Perrin était absolument DANS LE FILM, "à la disposition de la mise en scène" (phrase itérative de Nicolas Silberg, un des plus grands acteurs qui soient). J'ai eu aussi Girardot dans un téléfilm avec Darrieux et, à la fin, elle m'a dit : "Je te signe 40 films !" Voilà le genre de rapports avec les grands : ils ne demandent qu'à être guidés. Le plus gros travail d'un réalisateur, aussi bien pour les techniciens que pour les comédiens, est de trouver l'équilibre entre le respect et la conduite des autres.

Vous êtes également écrivain. Le monde de l'écriture est-il aussi impitoyable que celui du cinéma ? Ou, au contraire, la plume est-elle pour vous une bouffée d'air pur ?

Impitoyable ? Je ne trouve pas ni dans l'un ni dans l'autre. Réservé, oui, et prudent. Je travaille beaucoup plus sur un roman que je réécris sans cesse alors que pour un film, non. Le scénario, selon moi, n'est qu'un pré-texte. Le vrai texte, c'est le film et là, j'y vais d'instinct. Vous savez, j'ai toujours pensé, après les quelques succès commerciaux que j'ai eus, que le métier craignait de me voir prendre le pouvoir comme l'a fait quelqu'un comme Karmitz. Moi, le pouvoir, je m'en fiche. Ce qui m'intéressait, c'était la solidarité. "Diagonale" en est un exemple. Lorsque j'ai fait remarquer à Sautet que, quand il tournait 25 semaines, il y avait 50 jours où le matériel payé n'était pas utilisé. Il n'avait jamais pensé à ça. Nous, on prêtait tout à de jeunes cinéastes pour les aider à réaliser une partie de leurs rêves. Certes, j'ai dû déchanter ensuite en ce qui concerne la solidarité. La menace vient encore davantage des "concurrents" que des producteurs.

Aujourd'hui, encore, une bonne partie de vos œuvres demeure inédite en DVD. Pensez-vous que l'on puisse voir un jour sur ce support "Les ruses du diable", "L'étrangleur" ou "Femmes, femmes", par exemple ?

"FEMMES FEMMES" sort en DVD le 3 mars. Si ça fonctionne, on devrait faire "PAUL ART VECCHIALI" avec "LA MACHINE", "L'ÉTRANGLEUR" et "WONDERBOY", film saboté à sa sortie et dont je suis très fier. J'aimerais aussi coupler "LES RUSES DU DIABLE" et "C'EST LA VIE", et, de même, "À VOT'BON CŒUR" avec "TROUS DE MÉMOIRE". Mais vous savez comme moi que le DVD est en chute libre... Alors ?

Dans un monde où le maître mot est "profit", le cinéma indépendant a-t-il encore de belles années devant lui ?

Oui, s'il consent à refuser l'apparat, c'est-à-dire à fuir le 35 mm et à travailler en DV. Je travaille comme ça depuis bientôt dix ans et j'ai réalisé six films. On les verra où ? Je ne m'en préoccupe pas. Sans doute sur "Club" et en DVD comme l'ont été "BAREBACK" et "+ SI @FF". Je me moque de savoir s'ils sortiront en salles. Ce n'est plus rentable.

A l'aube de cette nouvelle décennie, quels sont vos futurs projets ?

Depuis quatre ans, je m'attelle à une saga autour de ma villa Mayerling : à chaque fin de film, la villa, décor principal, est vendu aux protagonistes de l'histoire suivante, c'est très amusant et productif. Je viens de terminer "LES GENS D'EN BAS". Il me reste à faire "RETOUR AU CRÉPUSCULE". Dans ces films, j'ai une partition de comédien dont le personnage n'a qu'une idée en tête : acheter la villa Mayerling. Vous voyez que je pense encore à m'amuser. Mais les films sont très sérieux, eux !!!

Dernière petite question qui fâche : vous considérez-vous comme un produit culturel ?

Ce ne serait pas à moi de trancher mais je répondrais facilement : "QUELLE HORREUR !"
Je ne suis qu'un témoin.


Merci Monsieur Vecchiali pour votre gentillesse et disponibilité hors-norme !

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Photo fournie par les soins de Monsieur Vecchiali (à droite), figurant aux côtés de Roland Munter dans "Les gens d'en bas," son nouveau film.

 

Quelques films en affiches :