Bétan et Colson : auteurs de Zombies
Écrit par Le Cimmerien   

 

Interview réalisée le 23 avril 2009

 

 

Attention, attention. Ce message est de la plus haute importance : deux individus répondant au nom de Julien Bétan et Raphaël Colson ont été repérés. Ils seraient porteurs du virus Zombie. Ce virus Zombie se véhicule sous la forme d'un ouvrage publié sous le couvert et avec la complicité de la maison d'édition Les moutons électriques. Ces deux individus tenteraient par l'intermédiaire de cet ouvrage de se faire porteurs d'un message en faveur des zombies. Nous les avons repérés et pour le bien de tous, il était important que nous les interrogions sur leurs intentions. Le monde doit-il craindre une invasion zombie ? Est-on en danger ? Pour l'heure impossible de le dire. Une seule chose dont nous sommes sûrs avec cet ouvrage, c'est qu'il est bon de se laisser contaminer !

 

Rencontre entre zombies... Enfin pas tant que ça...

Bonjour à vous et tout d'abord merci d'avoir accepté de répondre aux questions de Psychovision car j'imagine que votre emploi du temps à tous les deux doit être bien chargé quand on voit tout ce que vous faites...
Alors Julien, nos lecteurs commencent à bien te connaître avec deux chroniques déjà publiées sur notre site, deux ouvrages passionnants et différents, l'un qui va nous intéresser aujourd'hui sur les zombies et un autre sur Jack L'éventreur... Alors comment on jongle entre ces deux univers différents et comment on en vient à écrire un essai sur les zombies après un livre sur Jack L'éventreur ? Peux-tu te présenter et présenter ton parcours ?

Julien : J'ai rejoint tardivement l 'équipe des Moutons, pour y retrouver deux vieux amis que le destin avait réunis: André-François Ruaud et Raphaël Colson. Ce qui n'était au départ qu'une collaboration ponctuelle (traductions et articles pour la revue Fiction) s'est rapidement transformé en travail collectif... qui a abouti à la création de la bibliothèque des miroirs.
Passer d'un sujet à l'autre est plutôt stimulant et je dois avouer qu'après plusieurs mois passé à travailler sur un thème, il est agréable de "changer d'air". Et le fait d'écrire permet paradoxalement de se vider la tête. Progressivement, le sujet disparaît pour devenir un livre : l'esprit se vide de toutes ces réflexions et informations encombrantes.
Nous avons la chance de pouvoir travailler dans le long terme et chaque ouvrage constitue un pas de plus dans notre inlassable exploration de l'imaginaire.

Mais Julien, tu n'es pas seul pour écrire ce livre. Avec toi Raphaël Colson, et c'est un honneur pour moi... Les lecteurs attentifs te connaissent bien, puisque tu es l'auteur déjà de deux essais : "Sciences Fiction une littérature du réel" et "Sciences Fiction les frontières de la modernité" en collaboration avec un autre grand monsieur, c'est-à-dire André François Ruaud. Et surtout tu es le gérant des Moutons Electriques ainsi que Directeur de publication de la revue "Fiction". Et cela j'ai envie de dire entre autres puisque tu collabores aussi avec le peuple de l'herbe ! Ca fait beaucoup alors d'abord merci et aussi comment fais-tu ? Comment es-tu arrivé sur ce projet et comment as-tu trouvé le temps ? Quel est ton parcours, je crois qu'à la base comme Julien tu es libraire ?

Raphaël : Effectivement, j'ai passé quelques années à hanter une boutique de bande dessinée dans un titanesque centre commercial situé au coeur de la capitale des Gaules. Je passais alors mes saintes journées à revendiquer mon statut de libraire et à alpaguer les clients pour leur conseiller de belles histoires illustrées. Le soir venu, une fois terminé mes tâches ménagères, je me réfugiais dans ma tour d'ivoire, en réalité un placard au fond du couloir. Alors, en rognant sur mes heures de sommeil, il m'était permis de rédiger quelques bouts de textes. Il va de soit qu'au cours d'un projet comme Science-fiction les frontières de la modernité, ou Zombies !, mon apparence physique évoluait imperceptiblement vers la dimension de la lividité cadavérique.
Bref, à la fin de l'année 2008, mon corps développa un contre-virus qui me poussa à quitter les espaces aseptisés du centre commercial, mon travail alimentaire de libraire ne pouvant plus s'accorder au noble travail d'éditeur - je sais, j'en fais un peu trop, mais cela fait du bien, je peux vous l'assurer. De fait, libéré provisoirement de mes obligations, j'ai maintenant le temps de me consacrer plus sérieusement à mes responsabilités éditoriales. Autrement, pour répondre à toutes les autres questions concernant mes collaborations, je me contenterai d'évoquer l'idée du hasard, qui permet bien souvent de faire des rencontres passionnantes, ou bien d'invoquer le plaisir d'écrire, notamment quand cela implique le principe de collaboration - une démarche essentielle au sein des Moutons électriques. À cet égard, Zombies ! illustre pleinement ces deux aspects : Julien Bétan était un ami, avant de devenir un partenaire suite à nos conversations, ce qui nous a conduit à rédiger ce livre, mais aussi à donner corps à la bibliothèque des miroirs, un projet qui nous tient particulièrement à coeur.

Bon, il y a aussi un troisième homme qui est crédité au générique de Zombies ! Je ne sais pas quel a été son rôle, peut-être pourrez-vous m'en dire un peu plus ? Moi c'est quelqu'un que je ne connais pas mais pour qui j'ai une certaine admiration, de part sa culture cinématographique et surtout pour son talent à nous dénicher des pépites hallucinantes que se soit en Asie ou en blaxploitation, c'est Julien Sévéon, auteur (il a travaillé sur Conan aussi) et journaliste au génialissime Mad Movie. Donc je suppose que quelqu'un comme ça à vos côtés ça aide non ? Quel a été son travail et son aide sur Zombies ?

Julien : Julien nous a fourni des articles de qualité sur deux de ses sujets de prédilection : l'Asie, et le cinéma de genre italien. Malheureusement, son emploi du temps surchargé ne lui a pas permis de s'impliquer davantage dans la rédaction (en plus de son travail à Mad Movie, il est également auteur et directeur de la collection Cinexploitation, chez Bazaar & Co.).
La bibliothèque des miroirs se veut vraiment un espace de réflexion et de création collectives et les prochains titres comme Space Opera ! (mai 2009) viendront confirmer ce parti-pris.

Déjà Voodoo...

Maintenant, si vous le voulez bien, entrons dans le vif du sujet, le livre qui nous intéresse : Zombies ! (Ah quand même !!). Clairement c'est une bible, une somme, un travail considérable... Maintenant, je suis surpris d'une chose et vous allez très certainement pouvoir nous éclairer : c'est la première vraie publication entièrement consacrée aux zombies en France ! C'est-à-dire que l'on a foison des livres sur les vampires par exemple, sur le ciné d'horreur ou la SF en général mais alors sur le zombie c'est vraiment la première je crois ? Alors pourquoi a-t-il fallut attendre si longtemps ? Est ce que le marché n'était pas prêt ? Est-ce que tout simplement que personne ne s'était intéressé au sujet ?

Julien : Je crois que si aucun livre n'avaient été jusque là consacré aux zombies en France, le sujet avait déjà fait couler beaucoup d'encre. Deux causes à ce vide éditorial : frilosité ou incompétence des éditeurs face à ce type de sujet ; difficulté à traiter le sujet de manière synthétique. La culture populaire n'est généralement pas considérée comme un sujet digne d'intérêt et est globalement associée à un simple divertissement, quelque chose qui tente de nous divertir de la "vraie" vie. Cette dimension est indéniable, mais nous constatons que cette culture de masse, produite industriellement, donne lieu à de nouvelles formes de culture. Si l'offre est souvent uniformisée, la réception est elle bien individuelle: chacun projette une part de lui même sur le livres qu'il lit, les films qu'il regarde ou les jeux auxquels il joue, mais il est également capable de les détourner, de se les approprier et de les transformer. C'est cet aspect de la culture populaire qui nous intéresse. Les zombies en particulier représentent un sujet difficile à traiter sans tomber dans la catégorisation (zombies vaudous, de l'espace, cannibales ou non, rapides ou lents, etc.). Nous avons contourné cet écueil en restant centré sur ce que l'on nomme, à des époques et dans des lieux différents, un zombie.

Alors la première partie de l'ouvrage, qui s'intitule "Incubation", s'intéresse peu au ciné et aux nouveaux médias, et pour cause, en ce temps là le ciné n'existait pas. Alors par contre elle fait la part belle à un personnage, ou du moins un personnage qui m'a marqué personnellement, c'est Seabrook et bien sûr l'île de Haïti et le culte du vaudou... Pour ma part je connaissais pas plus que ça le vaudou mis à part dans des fictions de Poppy Z Brite ou bien Nancy Collins mais il semblerait qu'effectivement le Vaudou soit la base ?

Julien : C'est une certitude. Avant de devenir une figure horrifique, le zombie est un mythe créé par des esclaves. Le vaudou résulte de la fusion de plusieurs cultes animistes africains, qui débarque dans les Caraïbes et aux Amériques en même temps que les premiers vaisseaux négriers. Le concept, sensationnel pour un occidental, vient s'inscrire, dès les années 1930, dans un discours de légitimation de la suprématie occidentale.

De plus, malgré le côté un peu fantasque et fou, du moins dans ce que j'en ai compris, de Seabrook c'est quand même quelqu'un qui a été là-bas et qui semble avoir vu des "choses" ? Est-ce que l'on peut dire que le zombie est presque réel ? D'ailleurs étrangement on a aussi cette même idée sur le vampire...

Julien : Le zombie est réel, comme les dieux et tous les autres amis imaginaires que l'homme a pu s'inventer pour personnifier ses angoisses ou ses espoirs, ou peupler sa solitude intérieure. L'imaginaire fait partie de notre monde, de notre quotidien. Plus qu'un "ailleurs", c'est un autre "ici", dont il reste indissociable. Je ne pense pas que Seabrook ait vu des morts travailler dans les champs de cannes, mais force est de constater que cette idée à séduit le public. Concernant le vampire, de nombreux éléments historiques et ouvrages sont aujourd'hui à notre disposition pour expliquer la construction de cette figure, ce qui n'était pas le cas pour le zombie.

Il y a aussi une constante dans votre ouvrage et c'est aussi à ce titre qu'il est exceptionnel, c'est que vous arrivez à nous faire découvrir de nouvelles choses, de nouvelles oeuvres quasiment à chaque page. Par exemple, dans cette première partie, vous nous parlez de livres et d'auteurs, je pense entre autres à Gustave Aimard ou Robert Talland, c'est tout bonnement hallucinant. Il vous a fallu combien de temps pour collecter ces oeuvres, les trouver ? J'imagine que votre travail de libraires vous a aidé ? En tout cas pour le lecteur c'est un vrai régal !

Julien : Personnellement, mon travail en librairie m'a surtout permis d' échanger mes services de presse contre les ouvrages qui nous étaient nécessaires. Le web permet de trouver relativement facilement des éditions anciennes ou rares, et heureusement pour nous, les auteurs qui nous intéressaient n'étaient pas particulièrement cotés. Ainsi, l'édition originale du Zombie de Miomandre (1935) coûte moins cher qu'un grand format d'aujourd'hui, port compris. Les collaborateurs des moutons électriques nous ont également grandement aidés, mettant leurs vastes bibliothèques à notre disposition.; nous avons pris un réel plaisir à (re)découvrir ces oeuvres oubliées.

L'autre "chose" fascinante dans le livre, c'est que ce n'est pas qu'un livre sur les zombies. C'est aussi un livre d'Histoire ! On commence avec la révolution à Haïti, on passe par l'air Reagan et on finit sous l'air Bush. C'est génial et en même temps ça dénote quelque chose... Le zombie dans l'air du temps ?

Raphaël : La question du contexte (politique, culturel, social) constitue l'un des axes essentiels de notre travail au sein des Moutons électriques, en particulier pour la bibliothèque des miroirs. Nous insistons en effet énormément sur le lien entre culture populaire et contexte, car aucun genre n'existe ex-nihilo, bien au contraire : par exemple, la peur du communisme dans les années 1950 conduisit la science-fiction à traiter cette menace par l'intermédiaire de l'invasion extraterrestre. À chaque décennie, ses fantasmes, ses envies et ses craintes. Et la fonction de la culture populaire, selon notre point de vue, consiste à mettre en scène les rêves et les cauchemars qui façonnent l'imaginaire collectif. L'histoire de la figure du zombie ne fait pas exception, car elle a toujours évolué au fil du temps en fonction de ces paramètres. On peut ainsi conclure en défendant l'idée que la culture populaire reflète l'état d'esprit d'une époque : il est donc nécessaire et indispensable d'évoquer le contexte pour expliquer la place tenue par les représentations culturelles qui s'en nourrissent.

Julien : J'irais même plus loin en affirmant que ces créations nourrissent en retour le monde "réel". Le système libéral, et c'est là une de ses forces les plus redoutables, absorbe en permanence tout ce qui le dépasse ou le remet en question : "la critique du spectacle fait partie du spectacle", affirmait Guy Debord. Lorsqu'on considère les excès graphiques des comics récents, force est de constater que tout est possible, du moment que ça se vend...

Alors toujours dans cette première partie "Incubation", il y a le film de zombie, le premier film, que personnellement j'adore c'est "White Zombie". Alors White Zombie on est d'accord, c'est pas encore Zack Snyder et son remake de Dawn of the dead, mais ça m'évoque une réflexion qui apparemment n'apparait pas dans votre livre, et très certainement à juste titre, mais j'aimerais quand même vous poser la question. Il y a dans White Zombie Bela Lugosi et qui dit Bela Lugosi dit vampire... N'y a-t-il pas une certaine "filiation" entre les deux créatures ? Comme pour le vampire, il y a chez le zombie le phénomène de non-mort ? Il y a aussi comme chez le vampire encore celui qui n'est pas enterré, qui n'a pas d'âme et aussi le tabou du cannibalisme quelque part ? Et si l'on regarde certains films ou livres, le vampirisme est aussi un virus comme dans de nombreux cas de zombification. Même dans leur aspect certains vampires sont proches de l'idée que l'on se fait du zombie ?

Julien : Il y a en effet de nombreux points communs entre ces deux figures, que les anglo-saxons classent dans la même catégorie: undead (les "non-morts"). Cependant, le vampire, qui était un monstre réellement effrayant jusqu'au XIXe siècle, est devenu un créature plutôt séduisante. Avec la perte d'influence de la religion, son caractère démoniaque, immoral, s'est effacé au profit de sa dimension surhumaine (immortalité, puissance physique et mentale, etc.) Le zombie a, en quelques sorte pris le relai en tant que monstre "repoussoir", marquant la limite entre ce qui est humain et ce qui ne l'est pas. Impossible de s'identifier à un zombie qui par définition, n'a pas d'identité !

Alors pour en finir avec ces zombies des premiers temps, il y a quelque chose qui m'a marqué et auquel on ne pense pas forcément, c'est que le zombie n'est pas qu'une figure de l'horreur mais il est aussi présent dans la SF. Vous parlez entre autres de Metropolis et des Quatermass (des films comme ça on n'en fait plus !!). Vous pouvez nous en dire un peu plus ?

Julien: Le zombie est vraiment à cheval entre les deux genres. Ni mort ni vraiment vivant, il est la définition même du fantastique, un être qui remet en question notre définition du réel, mais on a souvent donné à ce paradoxe (mort)vivant une explication science-fictive.

Raphaël : Rien n'est blanc ni noir, et tout est gris ! La figure du zombie n'appartient pas un genre précis, car elle évolue en fonction des époques, ce qui nous ramène à ce rapport entre culture et contexte. Le mort-vivant s'est par exemple intégré aux thématiques de la science-fiction dès les années 1930, par le biais de l'esclave sous contrôle ou du savant fou. Pour quelles raisons ? Tout simplement parce que la science-fiction partage avec le reste de la culture populaire les mêmes interrogations.

Le zombie est un être social ?

Alors forcément, parler des zombies en général revient à parler de Romero qui semble être le maître incontesté en la matière, bien que votre livre montre qu'il y a beaucoup d'autres choses encore !
En quoi Romero vient-il bousculer les choses ? Vous qui avez une vision globale, qu'est-ce qui vient de changer ? Le fait que le zombie n'est plus vaudou ? Le fait qu'il devient un phénomène de société?

Julien : Les deux apports le plus important de Romero, de ce point de vue, c'est qu'avec La Nuit des morts vivants, le zombie est libéré du contrôle d'un maître et devient cannibale. Ce qui n'aurait pu être qu'une nouvelle variation de la figure s'est durablement fixé, à la faveur du succès du film. Le fait qu'il trouve encore un large public prouve qu'en plus de cristalliser l'esprit de son temps, La Nuit des morts vivants, touche à une angoisse plus intemporelle : celle de voir l'homme finir par s'auto-détruire. Il suffit d'ailleurs d'ouvrir un journal ou sa radio pour s'en convaincre.

Raphaël : Avec La Nuit des morts vivants, Romero a réalisé un film typiquement refondateur, dont l'esthétique et les thématiques ont indéniablement modernisé l'image du zombie. Ce processus sera par la suite amplifié avec Zombie en 1978 : désormais, le mort-vivant sert de réceptacle symbolique et universel. Il peut, dans l'absolu, représenter tout et n'importe quoi.

J'ai l'impression que le phénomène Zombie est proche du phénomène "guerre des mondes", c'est-à-dire qu'il réapparaît quand tout va mal, ou semble aller mal, et que d'un seul coup il faut un exutoire, un bouc émissaire. Et en même temps le zombie la plupart du temps, c'est engagé... Chez Romero mais chez d'autres aussi. Et ça dès le début quasiment... Je pense par exemple à cette scène dans White Zombie où les morts vivants sont des êtres enchaînés au travail. Et encore une fois les exemples sont multiples dans votre livre avec des films que l'on ne sait même pas ou vous les avez trouvé...

Raphaël : Les années 2000 sont à plus d'un titre catastrophique, entre crise économique et écologique. Les sociétés humaines s'interrogent sur leur destinée et chez les nord-américains, notamment, la peur de l'effondrement de la civilisation est particulièrement prégnant, comme l'illustre la fin cinéma de la troisième adaptation cinématographique de Je suis une légende. Les épidémies sont pour leur part intensifiés. Il n'est donc pas surprenant que la culture populaire se fasse l'écho de ces peurs, c'est l'une de ses fonctions : c'est sans doute pour cette raison que le zombie soit aujourd'hui tendance, sous la forme de l'infecté répandant une épidémie mortelle balayant la civilisation humaine.

Alors il y a un autre réalisateur très connu dont vous parlez dans votre livre, un réalisateur parmi tant d'autres car votre livre c'est une mine d'or, mais celui-ci me tient beaucoup à coeur et donc j'aurais plaisir à m'entretenir à son sujet avec vous, c'est Lucio Fulci (et le cinéma transalpin en général qui est très important !). Alors Fulci pour moi c'est presque l'inverse de Romero et le ciné Italien en général d'ailleurs, il n'y a qu'a voir le montage de Dario Argento sur le film de Romero, c'est un ciné baroque et c'est un ciné esthétisant... C'est ce que l'on retrouve dans les films de Zombies de Fulci, qui ramènent le Zombie à ce qu'il est, c'est-à-dire à la putréfaction, la mort à l'oeuvre et c'est à grand renfort de gros plans notamment. Quelque chose de Lovecraft... J'aimerai votre vision sur le sujet et sur ce genre de Zombies.

Julien : Je ne sais pas si Fulci est vraiment l'antithèse de Romero, ils ont aussi beaucoup des choses en commun, notamment un certain fatalisme vis-à-vis de la nature humaine. Mais esthétiquement parlant, tu as tout à fait raison, ils représentent deux visions très différentes de l'horreur.

Raphaël : Je m'abstiendrais de faire un commentaire sur Fulci, ce n'est pas vraiment mon domaine. En revanche, je peux répondre à cette question d'une différenciation entre cinéma américain et italien : d'une part, le montage de Zombie de Romero annonce clairement la grande mode humoristique des années 1980, d'autre part, le remontage beaucoup plus sombre et gore effectué par Argento s'inscrit pleinement dans l'ambiance politique des années de plomb en Italie. L'Amérique et l'Europe ne vivent pas tout à fait le même contexte, il est en conséquence logique que leurs productions culturelles respectives divergent formellement et thématiquement.

Il y a aussi une réflexion qui me vient en parlant de Fulci, Lovecraft et aussi par rapport à ce que l'on disait tout à l'heure sur les vampires. C'est le côté sacrilège, sacrilège ultime même, qui existe avec le vampire. La mort sans au-delà, la mort loin des concepts judéo-chrétien... Je pense aussi au film "Re-animator" ou les délires Gores de Jackson ou bien encore la phrase dans "Zombie" de Romero : "quand il n'y a plus de place en enfer les morts reviennent sur terre..." Est-ce que le monstre Zombie n'est pas l'ultime sacrilège, l'anti-moralité par excellence (il est souvent cannibale aussi, sans âmes et sans état d'âme...) ?

Julien : En ignorant les lois de la nature, le zombie est déjà une figure de la transgression, c'est pour ainsi dire dans sa nature. Qu'il soit contrôlé par un tiers, assimilé à un robot ou à une bête sauvage, le zombie est l'inhumain, ou plutôt ce qui nous effraie en nous-même et chez les autres. Nous sommes tous des zombies à temps partiels : dans un ascenseur ou dans les transports en commun, au boulot ou devant la télé, nous passons une part variable de notre existence à fonctionner plutôt qu'à vivre. C'est une attitude typique induite par le modèle occidental: un détachement du corps physique (souvent considéré comme un objet encombrant) associé à un détachement vis à vis de la réalité, qui permet au système de perdurer. Nous accomplissons tous un certain nombres d'actes quotidiens que nous refuserions si nous étions confrontés directement à leurs conséquences.

Le zombie aujourd'hui...

Il est dur, très dur de faire le tour de la question, de même qu'il est dur très dur de faire le tour de votre livre tant il est dense... Pourtant notre interview touche à sa fin et de nombreuses questions me brûlent encore les lèvres. La première est celle qui m'est tout de suite venue à l'esprit après avoir refermé le livre... Ce qui est stupéfiant c'est que le zombie est partout, vous avez réussi a trouver des films venus du monde entier avec entre autres un grand chapitre consacré à l'Asie. Qu'est ce qui fait du zombie un mythe tellement planétaire, universel, commun à tant de cultures ?

Raphaël : Nous vivons aujourd'hui dans une société planétaire et globalisée, et ce qui vaut pour l'économie, vaut aussi pour l'industrie culturelle. De l'entertainment au cross média, tous les supports d'expression sont mis à contribution pour promouvoir une thématique, une esthétique, ou une figure, comme le zombie. En ces années 2000, le "mort-vivant" représente à l'évidence la peur de l'infection, comme nous l'avons esquissé en fin d'ouvrage. Durant la guerre froide, la fin de la civilisation avait bien souvent pour cause l'apocalypse atomique. Aujourd'hui, c'est très vraisemblablement l'épidémie zombiesque qui illustre le mieux cette peur de l'effondrement : il suffit de faire le parallèle entre l'essor actuel des productions cultures cataclysmiques et le nombre de catastrophes de toutes sortes qui ponctuent les années 2000, pour s'en rendre compte.

Julien : Nous avons également essayé de montré que le zombie s'adapte, partout et toujours. Comme il n'est pas issu d'une tradition littéraire mais orale, sa forme n'est pas figée. Progressivement le zombie est devenu un infecté, et sa cause, le virus (ou la mutation génétique) n'a pas besoin d'être expliquée. La maladie est un thème universel qui lui a permis de conquérir des aires géographiques qui lui étaient jusque là fermées.

Et pourquoi avoir consacré une place si importante à l'Asie dans l'ouvrage ? Est-ce du au fait qu'il y a plus de zombie par là-bas ou est ce dû à un phénomène de mode ?

Raphaël : L'arrivée tardive du zombie dans la culture populaire asiatique est dû à des différences de croyances, comme le souligne Sévéon. Mais cette "mode" du zombie, du Japon aux Philippines, est aussi une conséquence de la globalisation qui affecte les sociétés.


Julien : De plus, il nous semblait aussi important d'expliquer l'absence de zombies en Asie que leur rapide développement à partir de la fin des années 1990, d'où l'importance de cette partie.

A la fin de l'ouvrage, on voit bien clairement que le mort vivant est loin d'être mort ! Et surtout il semble être bien vivant dans les Comics, non ? Tous les médias semblent s'être emparés du "phénomène". Pensez-vous que le zombie pourrait arriver au même "statut" que le Vampire qui est très à la mode ces dernier temps, surtout depuis la sortie de Twilight ? Car son actualité prochainement risque d'être bien chargée, jeux vidéo, prochain Romero entre autres...

Raphaël : Je dirais que chaque figure mène sa vie au sein de l'imaginaire collectif. Le vampire fascine depuis de nombreuses années : je dirais même qu'il connaît à chaque décennie une révolution esthétique. Le zombie évolue pareillement, sans être nécessairement en retrait, comme l'attestent les années 2000 : il faut dire que le vampire au teint blanchâtre est tout de même sacrément plus sexy qu'un mort-vivant enragé et à moitié bouffé.

Julien : Effectivement, le zombie et le vampire ne sont pas vraiment concurrents pour la simple raison qu'il n'est pas très gratifiant de s'identifier à un zombie... Et puis, les peurs de notre époque concernent davantage les masses qu'un individu isolé.

La contamination semble bien avancée et il y a longtemps que ça dure (films, manga, musique etc...). Pourtant, à la lecture de Zombies, je me suis fait une remarque... Le genre littéraire semble être celui qui a été le moins contaminé. Bien sur vous parlez de Russo et de sa novellisation du jour des morts vivants (d'ailleurs vous n'êtes pas toujours très tendre avec lui...) d'Andrevon et de son Horizon de cendres, il y a aussi la novellisation de Resident Evil par Thomas Day mais la littérature est peu présente enfin de compte. Comment expliquez-vous cela ?

Julien : La littérature est souvent, dans le cas du zombie, une sorte de produit dérivé, une façon de prolonger le plaisir. Dans la plupart des cas, l'aspect littéraire reste marginal au profit d'une écriture très descriptive, proche de la novellisation justement. C'est cependant un phénomène en voie d'expansion, qui commence à gagner ses lettres de noblesses avec des romans comme World War Z de Max Brooks. Une petite structure d'édition américaine (Press) s'est même spécialisée dans le zombie.

Raphaël : Le zombie existe en littérature, et ce depuis au moins les années 1930. Néanmoins, elle demeure un parent pauvre : jusqu'aux années 2000, des romans et des anthologies ont existés, mais en nombre restreint. De fait, nous n'avons jamais pu trouver de périodes quantitativement productrices de textes consacrés aux zombies ; à la différence des comics book par exemple, avec les années 1950, le début des années 1970, et l'explosion des années 2000. L'emploi ponctuel et secondaire de la fiction écrite tient sans doute à cette idée tenace que le zombie est avant tout une créature visuelle, une considération au passage terrassée par les qualités du roman de Brooks, World War Z.

Voilà cette fois-ci la fin est là... Je vous remercie vraiment d'avoir bien voulu répondre à cette interview, ce fut pour moi un réel plaisir !
Si j'ai oublié quelque chose et que vous voulez le rajoutez, n'hésitez pas...
Quels sont maintenant vos projets ? Un nouvel essai, des écrits en cours ? Je vous laisse le mot de la fin...

En tant que directeurs de collection, nous venons de boucler les deux volumes suivants de la Bibliothèque des Miroirs : Guerre des Mondes ! Invasions martiennes, de Wells à Spielberg, de Jean-Pierre Andrevon (paru le 17 avril 2009), et Space Opera ! L'imaginaire spatial avant 1977, d'André-François Ruaud et Vivian Amalric (mai 2009).

Comme auteurs, nous travaillons à nouveau ensemble sur un projet important qui s'articulera en deux volumes : Fins du Monde ! et Post-Apocalypse !, prévus pour 2010, qui seront traités dans le même esprit que Zombies ! : une analyse multi-support et internationale.

Raphaël travaille également à un ouvrage sur le cinéaste Hayao Miyazaki, en collaboration avec Gaël Régnier, et dont la sortie est programmé pour novembre 2009.

Mille mercis aux deux auteurs qui ont bien voulut prendre le temps de répondre à mes questions !

 

 

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