Drums of Fu Manchu
Genre: Serial , Aventures
Année: 1940
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: William Witney & John English
Casting:
Henry Brandon, William Royle, Robert Kellard, Gloria Franklin...
 

"Imaginez-vous donc un individu long, maigre, félin, les épaules hautes; donnez-lui le front de Shakespeare et le visage de Satan, un crâne soigneusement rasé et des yeux verts - verts comme ceux des chats. Mettez à sa disposition toute la cruauté d'un vaste peuple de l'Asie, concentrée en un esprit géant, toutes les ressources de la science du passé et du présent et peut-être bien toute la fortune d'un riche gouvernement - même si celui-ci nie complètement l'existence de cet individu. Cet être effroyable, le voyez-vous en esprit? Eh bien, je vous présente le Dr Fu Manchu, le Péril Jaune incarné en un seul individu."(1)
C'est par ces mots que Sax Rohmer, un écrivain Britannique né en 1883 et mort en 1959, décrivait le personnage qui allait lui procurer la célébrité
et devenir mythique sous les traits d'acteurs aussi divers que Boris Karloff, Christopher Lee ou, dans le serial qui nous intéresse, Henry Brandon.
En fait, Rohmer n'esquissait pas l'infâme figure du sinistre asiatique directement mais plaçait ses mots dans la bouche de son héros sans peur et sans reproche, Sir Nayland Smith, s'adressant à son fidèle ami, le docteur Petrie, afin de le mettre en garde du monstre qui, tapi dans l'ombre et drapé de sa chinoise cruauté, préparait ses forfaits quand il ne les commettait pas.
Le Dr Petrie lui-même, après avoir pu rencontrer le sinistre mandchou (oups, excusez la coquille, je voulais dire le sinistre Manchu), en donna un portrait tout aussi nuancé: "Ce visage était celui d'un archange du mal, et ces yeux (...) étaient étroits et longs, très légérement obliques, et d'un vert étincelant. Mais surtout (...) ils étaient, chose horrible, recouverts d'une sorte de film qui me fit songer à la membrana nictitans de certains oiseaux. (...) Je me souviens d'avoir été comme paralysé sur place, incapable de faire un pas de plus"... (2)

 

 

Eh oui, outre le fait qu'il était Chinois, notre brave Fu Manchu était presque animal et satanique. Ce qui peut faire beaucoup pour un seul homme mais finalement juste assez pour un méchant de serial. Car il s'agit bien ici d'un serial, tourné en 1940 par un spécialiste du genre, William Witney (1915-2002) qui "dirigera, de 1937 à 1942, la quasi-totalité de la production Republic: 22 serials... sur 23, la plupart avec son acolyte John English!"(2)
Et qu'est-ce que c'est qu'un serial, finalement? Si l'on en croit Roland Lacourbe (et on n'a aucune raison de ne pas le croire), un serial est "un film à suivre (...) où chaque épisode complète le précédent : l'histoire dans son ensemble nécessite donc la totalité des épisodes pour être racontée" (2).
Effectivement, si l'on s'en tient à cette première définition, Drums of Fu Manchu est bien un serial, les épisodes s'enquillent les uns après les autres avec une régularité métronomique et une durée constante, chaque nouvel opus redémarre sur les dernières minutes du précédent et nous propose un nouvel enjeu qui opposera, comme toujours, les bons aux méchants, dans un manichéisme de bon aloi (ou décomplexé, comme on dit aujourd'hui), le tout après un bref résumé de la situation de chacun des personnages.
En effet, c'est l'une des caractéristiques de ces courts épisodes: les bons sont bons, les méchants sont méchants. Point final. Le premier degré est de mise et la nuance interdite : les chausse-trapes et les pièges les plus cruels sont toujours le fait des félons et les braves défenseurs du monde libre s'obstinent à tomber systématiquement dedans. Avant de s'en sortir in extremis au prochain épisode et souvent grâce à une pirouette à la crédibilité médiocre.

 

 

Ces deux trains qui foncent et finissent par se fracasser l'un contre l'autre, cette pieuvre qui entoure de ses tentacules ce pauvre Allan Parker (véritable héros du serial, plus présent à l'écran que Nayland Smith, il est l'homme d'action toujours prêt à faire le coup de poing avec les hommes de main de Fu Manchu, ses Dacoïts, provoquant par là même quelques Dacoïtus interruptus), cette maison qui va exploser alors que le même Parker est ligoté sur sa chaise, ce pendule inspiré de Poe qui ne va pas tarder à couper en deux Parker encore (décidément, dès qu'il y a un piège à cons, il faut qu'il y tombe !), cette voiture qui fonce dans le vide (avec Parker bien sûr! mais aussi Nayland Smith), les exemples sont multiples de ces montées en puissance de la tension qui s'interrompent toujours par le générique de fin pour reprendre après celui du début de l'épisode suivant.
Eh bien tout cela porte évidemment un nom car c'est codé, stéréotypé, caractérisé, identifié: ce sont des cliffhangers.
Reprenons notre petit Lacourbe du serial illustré et rendons-nous à la définition de ce cliffhanger: "Un mot composé particulièrement évocateur qui vient de "Cliff", "Falaise", et du verbe "To Hang", "accrocher, suspendre"... Autrement dit, la situation de celui qui est suspendu au bord du précipice et dont les doigts glissent inexorablement" (2).

 

 

Le même précise plus loin que ce stratagème pour capter l'attention des foules et les faire revenir pour la suite tenait plus dans l'interrogation "comment le héros s'y prendra-t-il pour échapper à la mort ?" qu'à celle de savoir s'il allait survivre, ce qui ne faisait guère de doute.
On l'a vu, les cliffhangers sont bien là dans Drums of Fu Manchu, variés, alambiqués et assez proches d'un certain esprit BD. Assez similaires aussi à ce que l'on retrouvera dans moult films de série B, de série A, de série Z et même de série N (si elle existe). Un terme d'ailleurs repris au pied de la lettre (mais en haut de la falaise) par Sylvester Stallone pour le film... Cliffhanger!
Lacourbe parle de deux autres caractéristiques du serial : le Mac Guffin d'abord, dont Hitchcock parla abondamment, et "qui désigne le fondement de l'intrigue, l'élément fondamental pour lequel s'affronteront les Bons et les Méchants de l'histoire" (2). Dans ces Drums of Fu Manchu, il s'agit ni plus ni moins de récupérer le sceptre sacré de Gengis Khan qui permettra de réunir les tribus d'Asie sous la domination d'un seul homme, Fu Manchu bien sûr.
Mais il parle aussi du Whodunit, c'est-à-dire de l'interrogation qui persistait, dans nombre de serials, sur l'identité du méchant masqué, voire parfois du justicier déguisé. Ici, point de Whodunit, Fu Manchu avance à visage découvert, sa veulerie et sa cruauté en bandoulière.

 

 

Qu'est-ce que ça vaut, au fait, un serial qui a plus de 70 ans d'âge ? Eh bien, ça vaut ce que ça vaut, c'est-à-dire pas grand-chose finalement, mais pas rien non plus. Disons que ça se déguste à petite dose, d'un épisode à la fois, car l'indigestion menace vite tant les événements s'enchainent sans jamais laisser place à la réflexion et dans un souci de réalisme quasiment nul.
C'est plus agréable une fois le rythme pris, quand les codes ont été intégrés (ce qui va très vite), et quand l'épisode est plutôt bon. Il faut, pour cela, accepter des décors cheap, des personnages sans nuances, des déplacements incessants (ils marchent, courent, nagent, roulent en voiture, volent en avion, se déplacent en train, ... à croire que l'immobilisme leur fait peur!), des coups de Jarnac qui foirent systématiquement, des méchants qui ne font pas vraiment peur, des bagarres plus bondissantes que fracassantes, des coups de feu, de couteau, de canon qui blessent ou tuent sans faire saigner, des dialogues au premier degré, etc, etc.
En fait, ce n'est pas si mal et on sent régner là un esprit feuilletonnesque assez sympathique. Mais finalement, tout comme les romans de Sax Rohmer (ou comme Fantomas de Souvestre et Allain, pour reprendre un exemple français), si on peut y prendre du plaisir, on s'en lasse aussi assez vite.
Jean-Pierre Jackson, dans son livre La suite au prochain épisode, disait que "visionner la totalité d'un serial suppose une fidélité à toute épreuve (à un rythme hebdomadaire, pendant 3 à 4 mois) envers une même salle de cinéma", ce qui était quasi impossible, ce qui fait que "le serial est le seul type de film que presque personne ne voit dans sa continuité narrative originale. Dans les faits, les spectateurs voient peut-être un ou deux épisodes d'un serial, puis trois d'un autre et deux d'un troisième; ils en assimilent aisément les codes (...) et finissent sans doute par tout mélanger un peu" (3).

 

 

Ce qui, finalement, n'est pas si grave et est peut-être encore le meilleur moyen d'y prendre du plaisir, chaque épisode en soi, même en n'étant qu'une pièce du puzzle, pouvant se voir indépendamment du reste de par sa seule énergie et ses rebondissements multiples.
Les plus accros s'en feront des shoots intégraux. Je dois avouer que je ne suis pas de ceux-là, préférant rester un consommateur épisodique (ça tombe bien). Et puis comme ça, j'arrête quand je veux!


Bigbonn



(1) : Sax Rohmer, Le mystérieux Docteur Fu Manchu, paru au Livre de Poche.
(2) : Roland Lacourbe, Un monde fou, fou, fou, fou ou l'étrange univers du serial (1929-1956), paru initialement en avril et mai 1978 dans la revue Ecran et réédité en bonus au DVD Bach Films de Drums of Fu Manchu (excellente initiative d'ailleurs).
(3) : Jean-Pierre Jackson, citation tirée de son livre consacré au serial : La suite au prochain épisode, et reprise dans le livret bonus de Bach Films.

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