Ruby
Genre: Horreur , Possession
Année: 1977
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Curtis Harrington
Casting:
Piper Laurie, Stuart Whitman, Roger Davis, Janit Baldwin...
 

- 1935 : Ruby est la petite amie d'un gangster notoire, Jake Harvey. Ruby, qui a souvent été témoin des meurtres perpétués par Jake, assiste enceinte, à son assassinat. Tué à bout portant en plein visage, le malfrat est ensuite balancé dans le marécage. Le même jour, Ruby donne naissance à une petite fille.
- 1951 : Ruby a une fille sourde-muette âgée de 16 ans, le fruit de son amour pour le malfrat : Leslie. Celle-ci semble être élevée d'une façon étrange et destructive et en tout cas manifeste un comportement pour le moins troublant. Ruby décide d'envoyer Leslie loin des lieux. C'est alors qu'effrayée par son prochain départ, cette dernière semble dégager d'étranges forces surnaturelles en provenance du marécage jadis transformé en cimetière. Pas moins de six employés du cinéma en plein air où travaille Ruby, tous ancien membres du gang de Jake Harvey, les mêmes qui l'ont trahi puis froidement tué, sont attaqués puis tués à leur tour par une force obscure. Mais cela ne s'arrêtera pas là...

 

 

Curtis Harrington fut un réalisateur rare dont la carrière véritable ne dura que quelques années, s'arrêtant au beau milieu des années 80 après quelques menus travaux pour la télévision ("Drôles de dames", "Dynastie"), un ratage éhonté avec une adaptation de "Mata Hari" produite par Golan/Globus en 1985 et mettant en scène Sylvia Kristel. On ne le revit pas avant un retour timide en 2002 avec "Usher", un court-métrage remakant l'un de ses propres courts de fin d'études tourné en 1942. Harrington pâtit en son temps d'être assimilé à la fois au cinéma d'avant-garde (il travaille avec Kenneth Anger), fut un peu plus plus tard considéré comme l'un des précurseurs du New Queer Cinema, alternant films expérimentaux et projets plus ou moins personnels : ainsi pu-t'on découvrir récemment Marée nocturne, son premier film à la fois marqué par une grande sensibilité et une volonté d'indépendance. Celui-ci travaillera ensuite pour Roger Corman avec "Voyage sur la planète préhistorique" et Queen of Blood, deux détournements de S.F. russes (encore que, si l'on se fie aux propos du réalisateur lui-même, 90% de ces bobines furent tournées par ses bons soins), puis un thriller très notable avec "Le diable à trois" dans lequel on retrouvait Simone Signoret et James Caan. Au début des années 70, Harrington parvient à réaliser deux beaux thrillers mettant en scène Shelley Winters et surfant, en tout cas d'apparence, sur le succès de Baby Jane : "Mais qui a tué tante Roo ?" et " What's the Matter with Helen?", ce, avant d'enchaîner avec un troisième, plus onirique mais également marqué par le sceau de sa personnalité : The Killing Kind. Il tourne deux "agressions animales" pour la télévision avec "The Cat Creature" et "La Révolte des abeilles", une adaptation de Robert Bloch ("The Dead Don't Die") et le voici à la tête d'un projet initié par le producteur Steve Kranz...

 

 

De leur union, accouche donc dans la douleur Ruby, un film en partie renié par Harrington lui-même, celui-ci ayant toujours dénoncé l'ingérence à tous niveaux de Kranz, l'accusant d'avoir dénaturé son projet : force est de constater, à la vision de Ruby, que certaines concessions (de trop) sont faites uniquement pour surfer sur la vague à succès des films de possession, avec deux ou trois scènes, pourtant dispensables, issues quasiment de L'exorciste. Soulignons cependant qu'un cynique hasard veut que l'on retrouve la jeune Leslie en position d'araignée telle qu'on retrouvera Linda Blair dévalant ses escaliers dans la version intégrale de Friedkin sortie en 2001, du reste, elle-même trop signifiante. Ce n'est hélas pas tout puisque, ne renonçant devant rien pour trouver le succès en s'appropriant le film, Kranz se mêla du casting, exigea des coupes ainsi que de modifier la fin du film. Des scènes additionnelles, dont une autre fin, furent donc tournées, notamment pour les ventes du film aux chaînes de télévision, Piper Laurie et Curtis Harrington refusant d'y participer. Ainsi une version de 96 minutes, avec scènes additionnelles a priori hors-jeu ou hors-propos, circula longtemps avant que la version voulue par Harrington ne sorte en dvd chez VCI Entertainment... à quelques scènes manquantes et à quelques scènes contraintes prêtes, il convient de le préciser. En gros, pas vraiment un director's cut mais la version telle que sortie au cinéma.

 

 

En l'état, Ruby est un film très intéressant, prenant, d'où émerge, au-delà de ses influences et emprunts, notamment à "Carrie" et à L'exorciste ou encore La malédiction, une véritable personnalité en plus d'une volonté de fouiller les caractères de ses personnages. L'une des forces de Ruby est de soigner la direction d'acteurs qui parviennent à rendre crédible une histoire finalement assez peu originale si l'on excepte son contexte d'époque, les années 50.
Outre la composition mémorable de Piper Laurie au sortir de son rôle de Margaret White dans le succès de De Palma, la présence de Janit Baldwin (aperçue du reste dès son premier film, Prime Cut / Carnage, aux côtés de Sissy Spacek), muette mais néanmoins très expressive, fait forte impression. Elle fonctionne à double-sens, à savoir à la fois comme un être humain à part entière, dont les mystères profondément fouis nous interpellent, ainsi que comme une enveloppe corporelle, support de la vengeance par procuration du malfrat froidement abattu, Jake Harvey.
Les seconds plans restent également crédibles, ainsi Stuart Whitman, au sortir du "Le crocodile de la mort", offre en tant qu'amant un soutien indécrottable à Ruby ainsi qu'une interprétation plus vigoureuse qu'à l'accoutumée. Ailleurs, sorte d'alter-ego du père Lankester Merrin, Roger Davis ("La fiancée du vampire"), dans le rôle du Docteur Paul Keller, vient relancer puis épicer la seconde moitié du métrage, celle des révélations et de leurs répercutions catastrophiques, avec force et talent.
Bref, à ce niveau, il n'y aucun reproche à faire à Curtis Harrington qui soigne les caractères de ses personnages, lesquels ne sont pas pour rien dans la réussite de l'entreprise.

 

 

Au-delà de sa reconstitution léchée et plutôt réaliste (a contrario de la plupart de ce genre de films, les voitures n'y sont pas neuves, pimpantes et scintillantes), on pourrait pinailler sur quelques anachronismes dont le plus énorme est la projection dans un Drive-in de "L'attaque de la femme de 50 pieds" qui date de 1958 pour un métrage situant son action sept années avant ; idem pour les écrans larges présents dans ce même drive-in qui n'ont pas vu le jour avant 1953. Mais ce qui fait qu'Harrington remporte la partie c'est avant tout l'atmosphère trouble qu'il parvient à instiller, une ambiance où tout peut arriver, dans laquelle personne ne peut se targuer d'être à l'abri et au sein de laquelle les deux personnages principaux du film font forte impression : Piper Laurie compose un personnage attachant, suscitant l'empathie, tandis que les motivations de la jeune Janit Baldwin restent constamment inquiétantes en même temps que dégager une certaine mélancolie. Son regard, ses grands yeux, n'y sont pas étrangers, mais grâce à ce qui peut paraître tenir du détail, Ruby suscite une certaine fascination. D'ailleurs, cette femme-enfant se retrouve cadrée le temps d'un plan magnifique, de façon à ce que les plantes derrière elle ressemblent à des ailes d'ange en même temps que le symbole d'un épanouissement et déploiement destructeurs.

 

 

Tout compte fait, et malgré les scories ou ellipses dues à une production trop arbitraire et sans véritable vision, Ruby sait exploiter son décor naturel et favoriser l'ambiance afin de ménager ses effets, lesquels viennent s'insérer de manière évidente, davantage sur les bases Hitchcockiennes ou encore celles d'un Jacques Tourneur (cf la scène où Stuart Whitman se bat contre un tourbillon de vent) que reposant sur un surplus d'hémoglobine et d'effets chocs. Tour à tour mystérieux, atmosphérique, effrayant, hypnotique, cruel, puis carrément horrifique, il demeure encore à ce jour un beau film à redécouvrir.

Mallox

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