E Tanta Paura
Genre: Giallo
Année: 1976
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Paolo Cavara
Casting:
Michele Placido, Eli Wallach, Corinne Clery, John Steiner, Tom Skeritt, Jaques Herlin, Edoardo Faieta...
Aka: Too Much Fear / Plot of Fear
 

Avec E Tanta Paura, Paolo Cavara signe Presque le négatif de sa Tarentule au ventre noir.
Autant ce dernier tourné l'année précédente s'empêtrait lourdement dans les codes du giallo sous influences Dario Argento, distillant de l'art pompier à tout va, autant celui-ci étonne très souvent par sa légèreté et la liberté dans lesquelles semble baigner le réalisateur, qui offre un spectacle constamment surprenant, recelant beaucoup d'humour, qui dépasse allègrement les codes giallesque (mais est-ce vraiment un giallo ? En fait, on s'en fiche), pour livrer finalement une sorte d'investigation assortie de pamphlet politique somme toute très proche dans ses préoccupations d'un Francesco Rosi et plus encore d'un Elio Pietri.

 

 

C'est assez décontracté que le film commence. Un notable se paye une pute de luxe afin d'assouvir ses déviances masochistes. Celle-ci l'étrangle comme voulu, le générique se fait entendre, la partition de Daniele Patucchi est étonnante comme à peu près tout se qui suivra. La prostituée se fait tuer méchamment peu après, dès lors l'histoire est lancée, l'inspecteur Gaspare Lomenzo (Michele Placido) mène l'enquête. C'est un être moyen, impatient et colérique. Légèrement immature, celui-ci se laisse souvent dépasser par ses impulsions. D'autres meurtres ont alors lieu. Chaque fois l'on retrouve sur les lieux du crime une illustration de livre d'enfant. Dès lors plusieurs personnes sont suspectées dont, en premier lieu, une association des amis de la nature, ayant une conception dirons-nous peu naturelle de la dite nature. Ceux-ci sont plus proches d'un groupe de bourgeois désœuvrés dont le kif suprême semble être de s'amuser aux dépens des basses classes, dans un mépris non feint en général pour le prolétariat. Bref, très vite, durant son enquête, le commissaire Lomenzo tombera sur Pietro Riccio (Eli Wallach), d'abord suspecté, ce dernier lui sera d'une utilité insoupçonnée. Et si finalement le vers était dans la pomme ?

Le scénario de E Tanta Paura est brillant. Basé sur une histoire de Bernardino Zapponi (Les Frissons de l'Angoisse, "Vertiges") et co-scénarisé avec Enrico Oldoini ("La Fille", "Tais-toi quand tu parles") et par Paolo Cavara, ceux-ci semblent s'être bien amusés à surfer sur plusieurs genres, jouant sur leurs propres codes pour les mixer en les prenant même parfois à revers puis accoucher d'une fable politique des plus corrosives. Soit, mettre en exergue les notables et les institutions judiciaires, surtout au sein du cinéma transalpin n'est pas nouveau, ça tiendrait même d'une certaine tradition, sauf qu'ici l'équilibre se fait, sinon parfaitement, avec élégance et malice. Les leurres et autres pièges de script ne semblent pas posés ici juste pour tenter de perdre le spectateur dans de multiples fausses pistes, mais aussi pour se gausser quelque peu des genres, sans pour autant jamais les prendre de haut. D'un côté le giallo annoncé au départ se pare d'un humour assez rare, presque British, un poil démystificateur, voire provocateur. De l'autre côté, on a presque l'impression de voir un poliziotteschi "de gauche", ce qui ressemblerait également à de la provocation. Le fait est que ce pari casse-gueule - après tout, à trop vouloir manger varié, ç'aurait pu être indigeste - reste constamment léger et empli d'une certaine grâce.

 

 

Parlons un peu des acteurs tout de même, ils sont très bons. Placido en tête qui campe un policier complètement dépassé et par l'enquête et par ses propres limites de chien fou. Ailleurs le top du film peut-être attribué à Eli Wallach, d'une truculence ironique retenue (alors que l'acteur peut, on le sait, facilement tomber dans le cabotinage, et là plus que jamais, le rôle est enclin à cela), il deviendra en quelque sorte détective, campant un personnage proche d'un Hercule Poirot sous ecstasy. Toujours optimiste.
Et puis pour le reste, on a un portrait de groupe assez gratiné (et dans lequel tout le monde est égratigné) et si Corinne Clery reste les pieds à peu près sur terre, malgré le fait qu'elle semble cacher bien des choses - en passant, elle est ici éclatante, bien plus que dans Le Miel du diable de Fulci dont j'ai vanté toute la laideur ailleurs - ailleurs Edoardo Faieta semble complètement allumé, limite gros cochon pédophile, Jacques Herlin porte ici la saloperie sur la gueule comme pas un et John Steiner campe un personnage absolument détestable (et encore pas le pire), un dandy tellement vaniteux de sa condition, qu'il prendra longtemps tout ceci à la légère, se croyant protégé par son statut, il le payera très cher.
La mise en scène de toute cette intrigue politique tragi-comique est quant à elle, brillante et décomplexée. Elle parvient à renouveler sans cesse l'intérêt et malgré sa complexité reste constamment limpide. Les coups de théâtre s'enchaînent sans jamais paraître ridicules ou tirés par les cheveux et contribuent à l'aspect ludique de l'ensemble. On y trouve même quelques clins d'œil, comme ces illustrations qu'on trouve auprès des victimes, dont l'auteur existe bel et bien et se nomme Hoffmann, tout comme la villa du film, qui emprunte bien sur le nom de son propriétaire, en l'occurrence l'un des principaux suspect. Bref, pas mal de pieds de nez, dans ce E Tanta Paura, œuvre légèrement supérieure (mais pas bégueule ou hautaine comme pouvait l'être La Tarentule au ventre noir), à la fois, cocasse, tragique, policière, politique, giallesque, coquine par endroit et qui n'oublie pas, de nous asséner quelques beaux moments de violence brute, comme cette prostituée qui se fait brûler vive. Dans un registre plus humoristique mais non moins efficace, un homme se prend une balle en pleine tête durant un débat télévisé.

 

 

Bon, vous l'aurez compris, j'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ce spectacle (malin comme un singe à qui on ne fait pas la grimace) et ce, même si j'ai omis de vous parler de la présence anecdotique de Tom Skeritt, d'une espèce de fumetti "débilo-scato", que regarde hilare le groupe de notables, ou bien plus volontairement encore de cette double fin complètement barrée, absurde ou tout devient possible, où il n'y aurait finalement qu'à ouvrir la porte d'à côté (voire celle du dessus...). C'est un petit trip complet que ce film et surtout une très bonne découverte me concernant.

 

Mallox
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