Désirable et le Sublime, Le
Genre: Expérimental
Année: 1969
Pays d'origine: France
Réalisateur: José Benazeraf
Casting:
Henri Piégay, Lara Lane, Robert Audran, Maria Pia Luzi, Ludia Lorenz...
 

Un médecin et sa femme vivent retirés dans un manoir aux allures de forteresse situé sur l'île anglo-normande de Chausey, au large de la baie du Mont Saint-Michel. Le couple a invité un homme à dîner, apparemment en vue de rompre la monotonie ambiante qui règne en ces lieux, et ce malgré la présence d'un poste de télévision presque toujours allumé dans l'une des pièces de la demeure. Le trio s'installe dans le salon, près d'un feu de cheminée, tandis qu'à la télévision Gaston Deferre est en train de discourir, en vue des prochaines élections présidentielles de 1969. La femme, archétype de la bourgeoise aussi belle que froide, participe peu à la discussion des deux hommes et qui prend parfois l'apparence d'une joute oratoire. Cette conversation fortement axée sur le contexte politico-social permet très vite de se rendre compte que le médecin et son hôte ne se retrouvent pas dans la tendance actuelle. Peu à peu, les propos des deux hommes sont parasités par des images, rêves ou cauchemars oniriques, dans lesquels l'érotisme et la violence ont une place importante.

 

 

Le 28 avril 1969, Le Général De Gaulle, alors Président de la République, démissionne à la suite d'un referendum ayant tourné en sa défaveur. Alain Poher assure l'intérim en attendant des élections présidentielles anticipées. Au soir du premier tour, le 1er juin, Georges Pompidou (gaulliste) et Alain Poher (centriste) se retrouvent en tête. Deux semaines plus tard, Pompidou l'emportera avec plus de 58% des suffrages.
De Gaulle est une mystification... La droite est "invertébrée"... peut-on entendre dans "Le Désirable et le Sublime". Au travers des deux personnages masculins de l'histoire, c'est la voix de Benazeraf qui se fait entendre, et qui n'hésite pas à évoquer tout ce qui le navre dans cette France abordant les années 70 : l'inefficacité des syndicats, la tyrannie de la censure, la gravité, voire l'absurdité de la politique en général, ainsi que de la société. Mais aussi invertébrée que soit la droite, elle sortira grand vainqueur de ces élections présidentielles, avec deux représentants au second tour (même si Poher devancera le communiste Jacques Duclos de très peu lors du premier tour). Ces élections témoigneront aussi d'un parti socialiste (alors représenté par Michel Rocard) en pleine déconfiture, avec à peine 3,60% des voix.

 

 

De quoi décourager José Benazeraf, qui ouvre d'ailleurs le film par un avant-propos (comme il l'avait fait auparavant pour plusieurs de ses films). Il s'agit là d'une sorte d'avertissement, une manière de signifier au spectateur que "Le Désirable et le Sublime" n'est pas qu'un film (est-ce un film, d'ailleurs ?), mais plutôt un "Eloge de la Folie". Le cinéaste, plus que jamais en marge de cette société contemporaine qu'il déteste, de ce monde qu'il refuse parce qu'il aliène les esprits, a décidé de mettre sa caméra au service de la télévision, ou plutôt du téléviseur, cet objet s'insinuant progressivement dans les foyers, et qu'il considère comme une soupape de sécurité, "une fenêtre vers l'irréel".
Irréel, ce film en possède effectivement le cachet. Loin des schémas classiques du cinéma, l'auteur nous entraîne (nous plonge… nous noie !) dans une expérience unique partant d'un huis-clos où le temps réel (concrétisé par les dialogues, le repas, une action réduite à une seule nuit) vient se mélanger au temps irréel, symbolisé par les visions oniriques (filmées avec des filtres de couleurs diverses), le plus souvent reflets déformés des anecdotes racontées par l'invité. Ces visions sont le contrepoids évident de la censure évoquée et condamnée par le réalisateur, mettant au premier plan tout ce que les censeurs condamnaient à l'époque dans le 7ème Art : la violence, l'érotisme, et tous leurs dérivés : torture mentale et physique, voyeurisme, exhibitionnisme, saphisme, etc...

 

 

"Le Désirable et le Sublime" est donc une oeuvre où le fantasme s'infiltre dans la banalité du quotidien, et si le fond du sujet paraît parfois nébuleux, la forme l'est tout autant, avec des acteurs quasi-amateurs (on pense parfois à Rollin, la poésie en moins) déclamant leurs tirades avec un manque de naturel évident. On a aussi le sentiment d'assister à la représentation d'une pièce de théâtre ratée, avec ce personnage de l'invité en tant que messager du monde réel (les deux autres n'étant au courant des événements que par le biais du téléviseur). Un invité/étranger/intrus, dont la litanie récurrente (ceci est triste, ceci est grave) résonne comme le refrain d'un long poème déclamé avec une emphase ouvertement agaçante.
Le style de cette oeuvre est sans aucun doute hermétique, pour peu que l'on ignore en partie les références faites tout au long du métrage à Goethe, Marx, Nietzsche, Trotski, Hegel ; sans oublier Shakespeare, Baudelaire et Albert Camus, que Benazeraf, non sans ironie, cite tous les trois comme co-auteurs à la fin du film. Encore plus que ses films précédents, "Le Désirable et le Sublime" apparaît comme l'oeuvre en mesure de susciter l'adoration de ses fans ou la haine de ses détracteurs. L'impression finale qui s'en dégage est loin d'être positive. Devant la relative incohérence du propos, la confusion qui règne dans la structure narrative, difficile de ne pas rester perplexe face au discours amphigourique de son auteur.

 

 

Pourtant, la possibilité de voir enfin "Le Désirable et le Sublime" est proche de l'événement. Après sa sortie à l'époque dans les salles françaises (en avril 1970), le film est devenu quasiment invisible. A se demander presque s'il avait réellement existé. Et pourtant oui, l'oeuvre n'était point un mythe puisque Jean-François Rauger et Henri Gigoux (à la réalisation) en montrèrent quelques extraits dans "Un siècle de plaisir, voyage à travers l'histoire du cinéma hard", qui fut diffusé sur Canal + en 1996 (une anthologie du cinéma X fort intéressante au demeurant).
Quatre décennies plus tard, "Le Désirable et le Sublime" apparaît toujours comme une oeuvre obscure, souvent rébarbative, avec un casting réduit dont les interprètes (à l'exception de Maria Pia Luzi, vue notamment dans "Le Monstre aux yeux verts", de Romano Ferrara) retomberont très vite dans l'anonymat. oeuvre schizophrène, psychanalytique et métaphysique, oeuvre brute d'un auteur controversé, on a le sentiment que Benazeraf a cherché à projeter en vrac ses idées et ses sentiments sur pellicule, tout comme le faisait Jackson Pollock sur une toile. Une méthode représentative de la crise existentielle de l'homme moderne, une démarche qui s'applique à tous points de vue au réalisateur.

 

Flint

 

En rapport avec le film :

 

# La fiche du dvd K-Films du film "Le désirable et le sublime"

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