La Trilogie Samouraï (ou Trilogie Miyamoto Musashi) |
Écrit par Sigtuna |
La légende de Musashi, Duel à Ichijôji et La voie de la lumière, tous trois regroupés dans un petit dossier critique ci-dessous...
La légende de Musashi (Miyamoto Musashi) - Japon, 1954
Duel à Ichijôji :
La voie de la lumière :
La légende de Musashi
Avant d'aller plus loin, un mot sur Miyamoto Musashi, le personnage historique. Samouraï aux origines obscures, d'autant plus obscures que les éléments biographiques présents dans ses propres écrits seraient assez fantaisistes (la date de naissance qu'il fournit le ferait venir au monde quatre ans après le décès de son géniteur putatif, ce qui ne l'empêche pas d'affirmer par ailleurs qu'il serait devenu orphelin de père à sept ans), il devînt de son vivant une légende du "bushi" (la voie du sabre) même s'il est impossible de démêler le vrai du faux dans les exploits qu'on lui prête et ceux qu'il s'attribua. Quoi qu'il en soit, au soir de sa vie il écrivit "Le traité des cinq roues", ouvrage "philosophico-escrimesque" qui le fit entrer définitivement dans le panthéon culturel nippon et dans les librairies spécialisées dans l'ésotérisme. Notre samouraï vivait donc (façon de parler) une postérité tranquille et poussiéreuse quand, en 1935, un feuilletoniste s'inspira de sa légende pour écrire un ouvrage au succès fulgurant dont la célébrité éclipsera ladite légende et s'y substituera (comme par exemple le Cyrano d'Edmond Rostand a supplanté dans l'inconscient collectif l'authentique auteur de "L'Histoire comique des Etats et Empires de la Lune").
Duel à Ichijôji
Venons-en à la série de films elle-même. Ce qu'il faut bien comprendre au départ, sous peine d'être déçu, c'est qu'il s'agit d'un récit initiatique en trois étapes, bien plus qu'un film de sabre ou qu'une fresque épique à grand spectacle. Parce que niveau grand spectacle, passées l'introduction et une bataille dont, comme les deux protagonistes du premier film, on ne verra pas grand-chose, ça laisse à désirer. Plus gênants, puisque le film est rythmé par les nombreux combats mettant aux prises notre héros à des adversaires très variables en nombres, valeurs et armements, les affrontements à l'arme blanche n'ont rien de particulièrement spectaculaires et sont même la plupart du temps très décevants. Alors relativisons, ces duels courts et apparemment réalistes (n'ayant pas expérimenté personnellement les combats à mort au katana je me garderai d'être trop affirmatif) sont beaucoup plus "sympathiques" que les ridicules ballets aériens, avec câbles effacés en post-traitement par images de synthèse, que l'on subit dans les "Kung Futeries" depuis la fin du 20ème siècle. Il faut bien voir que le film de sabre en était alors à ses balbutiements et les cascadeurs et autres "chorégraphes" de combats peu expérimentés. Néanmoins, le gimmick consistant en un coup mortel porté hors champ, ou caché, avec l'adversaire s'effondrant une dizaine de secondes plus tard après avoir repris une posture de combat, devient très vite lassant.
La voie de la lumière
Deux duels sortent quand même du lot : celui mettant un terme à la trilogie, entre Musahi et Kojiro, malgré (ou à cause de) son aspect outrageusement esthétisant, du fait des enjeux et de la tension qui l'accompagne ; et celui ouvrant le second épisode, du fait essentiellement de l'armement particulièrement original de l'adversaire de notre héros (une sorte de grappin et un espèce de piolet). Par contre, les combats opposant Musashi à plusieurs adversaires sont quant à eux pire que les duels, ses rivaux se contentant de l'entourer bien sagement ou en piaillant avant d'aller se faire étriper un par un, en évitant soigneusement toutes attaques multiples qui pourraient mettre notre héros en danger.
La légende de Musashi
Pour autant, cette trilogie est loin d’être une purge car l'essentiel n'est pas là. Ces films forment comme je l'ai écrit précédemment un récit initiatique en trois étapes qui fera passer le protagoniste principal de jeune rustre sauvage en homme civilisé ; puis en samouraï, tel que défini dans le Bushido, ayant compris que la violence n'est pas une solution mais un moyen ; et enfin en un véritable philosophe ayant compris l'inanité des rêves de gloire et du matérialisme. Néanmoins, malgré cette incontestable réussite pédagogique, on ne conseillera pas à nos jeunes lecteurs la "voie du sabre" pour parfaire leur éducation, celle-ci consistant pour l'essentiel à aller étriper ses contemporains en leur laissant une chance égale de faire de même avec soi.
Duel à Ichijôji
Dans l'ensemble, la mise en scène d'Hiroshi Inagaki m'a laissé une impression mitigée. Il nous livre de bien belles images mais, vous l'aurez compris, sa direction des scènes d'action est un peu stéréotypée et défaillante. Si l'histoire est des plus intéressantes, il faut reconnaître que là, ou plutôt les, love-story (totalement chastes) de notre héros sont assez datées, pour utiliser un euphémisme ; mais cela est compensé par le charme naturel des deux interprètes féminines principales. L'interprétation est d'ailleurs, tout compte fait, le point fort de la trilogie, même si les "petits rôles" et autre quasi-figurants surjouent grossièrement, comme souvent dans les films asiatiques.
La voie de la lumière
Toshiro Mifune, que l'on ne présente plus, est l'interprète idéal pour le rôle de Musashi. Il n'en est pas moins quasi éclipsé dans le troisième volet par Koji Tsuruta, dans le rôle il est vrai beaucoup plus ambigu et intéressant de Sasaki Kojiro. Les plus physionomistes d'entre vous auront reconnu, dans le rôle du chef de clan Yoshioka, la vedette des Kaiju Eiga de la Toho, non pas Godzilla mais Akihiko Hirata (le scientifique borgne et suicidaire qui vaincra Godzilla premier du nom). Notons que le rôle de Matahachi, l'ami d'enfance du héros, est tenu par deux acteurs différents selon les films sans qu'il y n'y ait d'autre explication qu'un problème financier ou de planning (Matahashi tient un rôle important dans le premier volet mais très secondaire dans le deuxième film, et n'apparaît pas dans le troisième). Côté féminin, le charme et la fraîcheur un peu naïve et surannée de Kaoru Yachigusa et Mariko Okada devraient ravir les spectateurs... tout comme cette trilogie, en fait.
Sigtuna, le 17 janvier 2014 |