Eve, la première mère, la première femme. Eve jugée, trahie, bafouée, honnie, première pécheresse de l'humanité aux yeux des hommes. Pour et par la faute d'Eve, des millions de femmes ont été soumises, humiliées, asservies, brimées, souillées ou violentées de tous temps et dans tous pays. Les mœurs ont évoluées mais à l'heure actuelle, à certains endroits de notre planète, on empêche encore les femmes de naître ou on les mutile, on leur refuse l'accès au savoir et à la scolarité.
Huit auteurs entrainées par Corinne Guitteaud ont donc choisis d'écrire sur la femme primordiale, huit nouvelles aux tons parfaitement différents portant un regard aussi bien sur le passé que sur le futur, nous parlant d'Eve et de ses descendants avec tendresse, lucidité ou bien cruauté.
Huit auteurs qui ont pris la plume et accepté de reverser tous leurs droits à une association d'aide aux petites filles en Inde, pour qu'elles aient elle aussi accès à la scolarisation. Huit textes pour ne pas oublier que la femme n'est pas qu'un utérus, pas qu'un matériel de procréation. Pour ne pas oublier qu'Eve na pas fauté seule, Adam n'était pas bien loin dans l'histoire, ne l'oublions pas... Une magnifique anthologie sur la femme, féministe certes mais pas que, et aussi un beau rappel en faveur de l'égalité des sexes. Des textes de qualité assez inégale mais pourtant tous parfaitement complémentaires pour une anthologie qu'il vous faut absolument lire, au nom de la femme, des femmes...
"Le monde selon Eve" s'ouvre sur une nouvelle d'Hans Delrue habilement nommée "Genèse". Ce texte nous raconte via différents point de vue le retour d'un vaisseau d'exploration sur Terre, à bord duquel toutes les femmes sont décédées, ne laissant plus qu'une seule femme en âge de procréer. Sauf que pendant leur voyage, un cataclysme s'est abattu sur terre. Les habitants de la station sont donc les derniers êtres humains… Quelles décisions devront-ils prendre au nom de cette nouvelle humanité à recréer ? J'ai beaucoup aimé ce texte malgré son discours peut-être un peu facile, je trouve qu'il est une excellente introduction à cette anthologie. Il fait bigrement réfléchir et, mine de rien, la question posée est loin de trouver rapidement une réponse tout faite... On enchaine ensuite avec "333" de Sara Doke et les bonnes surprises s'accumulent. "333", trois femmes de trois générations répétant un étrange et antique rituel païen, neuf femmes (ou plutôt dix), dix destins, dix existences, dix façons d'appréhender le monde et la vie mais pourtant un seul désir commun. Magnifique ! Cette nouvelle est une vraie réussite, pleine d'émotion, de poésie et de vérité. C'est beau, c'est fort, c'est intelligent. Pour le moment "le Monde selon Eve" nous parle de féminisme sans sombrer dans la facilité ou les raccourcis, l'expérience vaut le détour ! Et croyez-moi, cela va aller de même avec les textes suivants. Je dois vous prévenir d'emblée, c'est la première partie de cette anthologie, ses deux premiers-tiers disons, que j'ai le plus aimé. Elle se termine à mon sens un petit peu moins bien qu'elle n'a commencé mais la qualité des premières nouvelles justifie rien pour leur lecture l'achat de cette anthologie !
Mais revenons-en à "Mater Noster" de Nicholas Eustache. Un double récit profondément tragique encore, une bien belle vision de Lilith, Adam et Eve, l'histoire et le genèse revisitée d'une bien belle et très intelligente façon. Je ne vous en dis pas plus mais la conclusion est d'une grande beauté, poétique et émouvante. Une réussite! On en arrive ensuite à mon premier bémol, et pour moi le seul pour l'instant: "Elle(s)" de Nathalie Legendre. Autant toutes les nouvelles jusque là parvenaient à sensibiliser sur la condition de la femme sans jamais s'appesantir ou faire un catalogue des misères du monde, autant le texte de Nathalie Legendre accumule les clichés et nous entraîne dans une accumulation de portraits de femme, de ses misères à ses plus grandes forces, sans nous offrir à côté d'histoire cohérente. L'auteur interpelle, certes, mais nous avons ici plus un brûlot féministe, un catalogue des exactions envers la femme et l'annonce un peu lourde des grandes qualités du dit "sexe faible", qu'une véritable nouvelle faisant réfléchir sur le sujet. Trop à vif, trop à fleur de peau que ce beau texte pourtant qui souffre malheureusement de la comparaison sur le même sujet ou presque avec le magnifique "333" de Sara Doke. Dommage...
C'est ensuite au tour de Julien Morgan de nous entraîner vers sa vision d'Eve et il nous offre ici à mes yeux l'un des meilleurs, si ce n'est le meilleur, texte de cette belle anthologie. Un questionnement sur l'identité, une science-fiction originale portant sur la question du gender, une intelligence artificielle qui se cherche mêlée à la réflexion jungienne sur l'anima. Je ne vous en dis pas plus, lisez l'histoire de Diego ! Seule la fin m'a un tout petit peu déçue, mais cette nouvelle est vraiment de grande qualité. Il est donc assez difficile pour "Louve" de Léa Silva de passer après "Anima" de Julien Morgan et je dois dire que je ne suis malheureusement pas vraiment rentrée dans cette histoire post-apocalyptique: un groupe de survivants d'une épidémie qui a décimé les humains et qui n'a laissé que quelques élus, des enfants, qui vont être éduqués par un "guide". Finalement assez maladroite cette nouvelle, pas la meilleure de l'ouvrage et loin de là ... Et j'avoue avoir aussi eu un peu de mal avec "La maladie du ver à soie" de Ketty Steward. L'idée de la neutralité des sexes et la question posée de savoir si une société serait viable à travers un principe de neutralité et d'absence de sexualité est fort intéressant, mais le traitement ne m'a pas convaincu de même que celui des citations de Colette, un peu utilisées hors-contextes et de manière détournée à mes yeux (mais je peux me tromper). Beaucoup de bonnes idées mais sans plus.
Et l'anthologie se clôt sur "Charmants enfants" de Bernard Weiss qui, en dépit d'un titre assez mauvais et de quelques grosses incohérences, se révèle très bon. Bon, j'avoue avoir du mal avec un passage mais je ne peux pas spoiler et je bloque sur ce qui est à mes yeux une incohérence majeure. Mais à côté de cela, cette Eve d'Afrique noire qui voyage à travers le temps est à la fois léger et tragique et j'ai adoré la première partie de la nouvelle, très forte. Une bonne manière de conclure cette anthologie en se posant la question de la descendance d'Eve et du regard que la première mère peut porter sur ses enfants...
Au final, ressortez vos vieux tubes des années 80, mettez à fond la caisse "Eve lève-toi" de Julie Pietri (bah oui, c'est vieux, je sais, mais j'aime bien...) et savourez cet ouvrage que l'on peut considérablement rapprocher de la très belle anthologie "L" de CDS éditions qui œuvrait elle aussi pour les droits de la femme. Quel regard Eve peut porter sur ses enfants ? trahie ou honorée, Eve doit-elle pleurer d'avoir enfanté ? "Le monde selon Eve" est une très très belle anthologie, de celle que l'on se doit de lire et d'acheter car sa cause est belle et ses textes sont forts, certains marquent les esprits pour longtemps. A noter aussi que les auteurs sont huit, quatre hommes et quatre femmes pour réaliser ici cette égalité tant désirée. Quatre regards d'hommes et quatre regards de femmes sur un monde vu au travers du prisme d'Eve, assez loin de l'idée du christianisme. J'aime ces anthologie qui nous font réfléchir, qui nous marquent au fer rouge et qui s'engagent, s'investissent pour une cause noble et juste. Alors merci aux éditions Voy'[el] et à ses huit auteurs et au final, qu'importe que j'ai plus ou moins aimé certains textes, il reste au final une vision globale de cette anthologie et celle-ci est excellente !
Note : 8/10
Chaperon Rouge
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A propos de ce livre :
- Les bénéfices sur la vente de ce livre seront reversés à une association d'aide à la scolarisation des petites filles en Inde.
- Site de l'éditeur : http://editions-voyel.fr/