Imago, les gentlemen de l'étrange 2

 

 

Auteur : Estelle Valls de Gomis

Editeur : Editions Sombres Rets

Illustration de couverture : Estelle Valls de Gomis

Date de sortie : octobre 2011

Nbre de pages : 132

 

 

À ce moment-là, un hululement strident retentit à travers le village désert. La campagne roumaine se rappelait à leur souvenir, les plongeant dans un folklore au moins aussi effrayant que celui que les Américains partageaient au coin du feu.

Comme s'ils s'étaient consultés par télépathie, ils reprirent leur avancée avant de faire halte devant ce qui semblait être une auberge.

Les trois hommes se regardèrent sans mot dire, puis Wolfgang posa délicatement la main sur la poignée de la porte et tourna prudemment, faisant signe aux deux autres de rester à couvert du mur. Un grincement évidemment sinistre les précéda à l'intérieur.

— Pouah ! s'écria Manfred. Quelle puanteur infecte !

— Effectivement, approuva Mespin avec une grimace de dégoût, plaquant aussitôt un mouchoir sur son nez.

Il faisait sombre, mais la lumière filtrait par les fenêtres sales et les planches disjointes de la porte et des rares volets décatis qui étaient encore clos.

— Il y a quelqu'un ? demanda Wolfgang machinalement.

— M'est avis que cela fait un moment qu'il n'y a per…

Manfred s'interrompit en apercevant deux silhouettes attablées au fond de la salle.

— N'approchez pas de là ! prévint Wolfgang avant de se diriger lui-même vers les hôtes muets de cette auberge fantôme.

Il y avait là deux hommes – ou ce qu'il en restait – assis devant des chopes poussiéreuses et des assiettes vides dans lesquelles quelques mouches et leurs larves se gorgeaient de restes de repas en état de putréfaction avancée, aidées de cafards aventureux et autres charognards du règne entomologique. Aucune bestiole ne se risquait toutefois à ramper sur les cadavres afin de s'en nourrir et pour cause, cela aurait été inutile : tout morts qu'ils étaient, ils n'étaient cependant pas décomposés, et Wolfgang eut tôt fait de les cataloguer comme des morts-vivants et d'annoncer cela à ses camarades.

— Ils puent ! Ce ne sont pas des vampires, si ? demanda Mespin.

— Argh, j'ai horreur des mouches ! ragea Manfred en considérant le spectacle d'un air répugné. Surtout ces infectes mouches à cadavres !

— Des diptères nécrophages… songea tout haut Wolfgang sans lever les yeux de la table sale où s'ébattaient les insectes. Il y a aussi des sarcophagiens… Ils ont dû être attirés par les dépouilles, et voyant qu'ils ne pouvaient s'en nourrir, ils se sont rabattus sur les reliefs des repas et les provisions stockées dans l'auberge.

— Vous êtes entomologiste vous maintenant ? railla Manfred.

— Oh, je débute à peine dans l'étude des insectes, mais je me souviens de quelques éléments, répondit son ami, trop absorbé par ses réflexions pour relever l'ironie de la question.

— Tout ceci est bien joli, mais sont-ce des vampires ? répéta Mespin que la situation rendait fébrile.

Wolfgang sembla cogiter, puis :

— Eh bien, pour ce que j'en vois, pas des vampires à proprement parler… pas des goules, ni des zombies non plus. Ils sont un peu secs et grisâtres, rappelant vaguement les momies. Ils dégagent des effluves extrêmement nauséabonds — outre ces deux-là, il y a certainement de vrais morts dans cet endroit. On dirait… pour parler crûment… une espèce inférieure de vampires : des non-morts tels ceux décrits dans les anciens ouvrages et rapports des siècles passés.

— Des proto-vampires ? suggéra Manfred.

— Tout à fait.

— Vous voulez dire qu'ils ne sont pas comme Arpad ? Ni comme… vous ? interrogea Gustock Mespin.

— Non, ils ne sont pas comme Arpad – qui d'ailleurs est d'une espèce bien spécifique puisque c'est un zburator comme vous le savez, un esprit-amant qui épuise ses victimes à force de baisers – et pas comme moi non plus puisque je ne suis pas un vampire…

Mespin n'insista pas quant à ses doutes sur ce dernier point, et considéra les deux dîneurs morts :

— Faut-il les tuer ?

— Il va nous falloir en passer par là j'en ai peur…

— Nous n'attendons pas leur réveil pour essayer d'en savoir plus ?

— Non, Manfred, ce serait trop risqué… et je ne pense pas qu'ils aient envie de discuter avant de se nourrir. Bien que cette engeance soit plus subtile que celles qui lui sont encore inférieures, ils auront davantage un comportement de zombies que de vampires… des zombies rusés et calculateurs…

 

* * *

 

Les trois hommes se mirent aussitôt en devoir de trouver des outils afin d'éliminer sans attendre les deux non-morts de l'auberge. Derrière le comptoir, ils trouvèrent un autre cadavre, allongé sous une étagère, sans doute pour se protéger du soleil, et ils hésitèrent quelques instants avant d'ouvrir la porte du cellier.

Une pestilence encore plus infecte que celle qui régnait dans la grande salle assaillit leurs narines. Le temps que leurs yeux se fassent à la transition entre pénombre et noir quasi complet, ils s'imaginèrent toutes sortes de visions atroces… et c'est bien ce qui s'offrit à eux.

Cinq dépouilles – authentiquement décédées celles-là – étaient empilées contre un mur, tandis que, étendu sur une couche de paille, un non-mort en pleine léthargie diurne tenait dans ses bras un corps de femme, en état de décomposition assez avancée La tête de la morte reposait sur l'épaule du dormeur, séparée du reste. Ce couple hideux semblait une pantomime macabre de l'amour. Au vu de leurs tenues, les cadavres devaient être ceux de voyageurs ayant sans doute pensé trouver asile pour la nuit dans cette auberge du diable. La femme avait dû faire partie de l'équipage – probablement le cocher et les passagers d'une diligence –, mais, pour son malheur, être davantage au goût de la larve qui reposait sur le lit de paille et qui n'avait pas voulu s'en séparer.

— Vous parlez d'une infestation ! s'exclama Manfred.

— Voilà une aventure que vous pourrez relater à votre monsieur King, Wolfie, elle me paraît assez proche des histoires qu'il invente.

— Quelques actes sordides par là-dessus et nous y serons tout à fait. Apercevez-vous une quelconque pelle ou hache, une scie ou même un pieu dans cette… tombe ? Enfin, un outil qui peut nous aider à nous débarrasser de ces… choses ?

— Rien de rien… On dirait bien que ces vampires ont tout prévu pour qu'on les laisse tranquilles.

— Cela n'est pas fait pour m'arranger : nous allons devoir revenir un autre jour, avec du matériel, et même s'il ne s'écoule qu'une nuit d'ici là, leurs rangs vont encore grossir, et des vies seront menacées par leurs errances.

— Les proto-vampires que nous avons trouvés sont certainement l'aubergiste – sous le comptoir – et des clients habitués de l'endroit… Il y a probablement d'autres cadavres dans les chambres, et la femme de l'aubergiste…

— Oui ! Il y a toujours une femme d'aubergiste dans les histoires… et probablement un palefrenier, et un jeune apprenti sur lequel les autres passent traditionnellement leurs nerfs.

— Celui qui est accroché à la morte comme une sangsue était sans doute le cuisinier.

— Rentrons, il se fait tard et il nous faut prévenir Arpad et ses gens, ainsi que Wilhelmine, Ernest et Dita.

 

 

A propos de ce livre :

 

- Site de l'auteur : http://www.kingdomsofestel.com/

- Site de l'éditeur : http://sombres-rets.fr/

 

(Copyright éditions Sombres Rets / Estelle Valls de Gomis, extrait diffusé avec l'autorisation de l'éditeur et de l'auteur)