Justine Niogret |
Écrit par Le Cimmerien |
Interview réalisée le 24 janvier 2010
Il y a peu sortait aux éditions Mnémos Chien du Heaume , un roman qui fut pour moi une vraie claque, une fantasy dure et belle, un roman original et absolument immanquable pour tout amateur de ce genre. Justine Niogret, l'auteure de ce petit chef-d'œuvre et du recueil Et toujours le bruit de l'orage a bien voulu répondre à nos questions...
Mais merci surtout pour ce "Chien du Heaume"... Je ne saurais dire tout le bien que j'en pense et l'effet qu'il a eu sur moi. J'avoue que c'était la première fois que je lisais du Justine Niogret et clairement ça été une claque! Alors j'ai envie de commencer cette interview par la toute fin, non pas de l'histoire, mais du livre, par le mot de l'auteur: j'ai l'impression d'après ce que vous dites qu'il s'agit presque d'un roman de jeunesse, non? Vous parlez d'un tapuscrit retrouvé dans un fond de tiroir, "écrit avec de la morve". Alors qu'elle est l'histoire de ce roman qui, rappelons-le est votre premier roman? D’où vous est venue l'idée? Comment est-il né?
Merci pour cette interview, je dirais plutôt merci à vous de me la proposer! Roman de jeunesse, oui, dans le sens où je l'ai écrit dans une forme d'adolescence, un moment de ma vie où les choses s'éloignaient, se mouvaient, n'avaient encore aucune place fixe, quasiment. C'est un livre de chamboulements et de tremblements de terre, de mon point de vue, je l'ai écrit sur un bureau parisien, je l'ai commencé à un moment complexe de ma vie, je l'ai traîné avec moi en bretagne, il m'a suivi dans mes prises de conscience et ma compréhension de beaucoup de choses. J'ai parfois l'impression d'avoir été une maman trop jeune avec un manuscrit qui réclamait beaucoup, nous nous sommes construits appuyés l'un sur l'autre. J'y ai mis beaucoup de moi, aussi; on met toujours beaucoup de soi dans un livre, du moins j'espère, parfois même des choses laides ou qu'on préfèrerait cacher, mais là c'était de la viande, c'était sanguinolent, c'était brutal. Alors de jeunesse, encore, oui; je sais que je vis les choses de cette façon, de cette façon rouge, mais j'avais à l'époque une sensation de pendule, de balancier, que je ne veux plus vivre, plus jamais. En tous cas plus aussi fort. Quant à l'histoire de Chien en tant que telle, je ne me souviens pas comment elle est venue. Je sais que j'ai pris des notes, que je les ai quelque part, dans mes dossiers « sanstitre » sur mon ordinateur, que je perds dans des dossiers de dossiers et que je ne réouvre jamais. Il était question d'une falaise, de baleines, d'une femme sans nom. De quelqu'un qui marche et qui finit par trouver. De quelqu'un qui en parlait, et d'espoir, toujours, mais je trouve que tous mes textes parlent d'espoir. Et pour vous dire un secret, chien du heaume n'est pas mon premier roman; c'est le second, mais le premier traîne une sorte de malédiction étrange; il est accepté partout et n'aboutit jamais, je l'ai donc abandonné il y a un bon moment.
J'ai l'impression qu'il y a une structure à la fois simple et en même temps terriblement complexe. On suit la quête du personnage principal mais il vient s'y greffer d'autres éléments, d'autres "choses" de-ci de-là, comme par exemple l'épisode dans le village avec Iynge. Comme si c'était plusieurs nouvelles réunies au sein d'un projet plus vaste, l'histoire de cette femme, chien du heaume. Ce sont des portraits et pour chaque protagoniste, une histoire qui en fin de compte n'en fait au final plus qu'une. Est-ce que vous êtes d'accord avec ces constats? Comme si avec "Chien du Heaume" la frontière entre nouvelles et roman devenait poreuse? J'ai presque eu l'impression que l'on renouait un peu ici avec la tradition du roman-feuilleton un peu comme si "Chien du heaume", même si le roman est court, aurait pu être publié chapitre par chapitre ?
A propos de constats, je suis d'accord, disons que de mon point de vue, Chien regarde vivre les autres, dans ces moments-là, tout simplement parce qu'à part son père, elle n'a jamais vu vivre personne. Elle reste silencieuse, immobile, elle étudie. Elle se penche sur la serrure et voit si la porte peut être ouverte. D'autant plus que je ne crois pas, même en fantasy, à une quête au jour le jour, à des aventures au quotidien. On doit vivre, aussi, on doit manger, on doit parler aux gens, échanger. Ca n'existe pas, à mon sens, de croiser quelqu'un sur une route et lui demander « tiens, bonhomme, montre-moi le chemin de la grotte du monstre, et voilà une pièce d'or pour ta peine. » Si on tue plein de méchants, alors les méchants enverront un encore plus méchant vous casser la gueule au coin d'un bois, et votre histoire est finie. Si vous ne connaissez personne, personne ne vous aidera et vous pourrez bien crever au fond d'un fossé sans que le monde le note. A mon sens, encore une fois. C'est curieux que vous parliez de feuilleton, parce que je déteste ça. Je hais cette sensation de devoir attendre, de pouvoir être déçu parce que le « créateur » a pu juste être en retard, ou pas en forme, ou n'importe. On entend souvent « l'attente accroît le désir », et bien pas pour moi. Pour moi, l'attente, ça me fait chier. Et sinon oui, j'ai tenté d'écrire chaque chapitre comme une nouvelle. Je voulais parler du rythme médiéval, déjà, des saisons qui décident pour vous, et aussi des journées, des cycles, et il y a, en vrai, de longues périodes où il ne se passe rien. Et en trois jours, soudain, on découvre, on comprend, il arrive. Je voulais prendre ce rythme-ci, donc. Pas un pavé sur trois ans où chaque jour apporte son lot de combats, de loot et d'aventures. Quant aux portraits, l'image est sans doute très juste; en bédé, en peinture, je ne regarde que les gens, que la chair, ce sont eux qui me touchent. Je ne vois que les gens.
Est-ce que ce personnage féminin vous est venu naturellement? Car vous êtes une femme? Par réaction à tous les autres personnages masculins ou féminins justement? Est-ce un personnage qui s'est imposé à vous ou bien êtes-vous violement aller le chercher? Est-il difficile d'imposer un personnage féminin guerrier dans une littérature dominée par des hommes barbares ? Peut être que je me trompe. Féminin, mais pas féministe non plus...
Je n'ai pas posé le monde de Chien comme un monde d'hommes, mais en relisant, je vois bien que les femmes sont ailleurs, dans des régions plus faciles, dans des châteaux plus ouverts, et la période est déjà celle où elles portent des robes, où les armes appartiennent à des corps de métiers, plus à chaque membre de la famille. Les celtes sont morts, ne reste que des coquilles comme Bruec, comme ses hommes, et Chien, pour d'autres raisons. Ce personnage féminin m'est venu simplement. Dans mes nouvelles, je pense avoir autant de personnages centraux féminins que masculins, et, mais ça n'engage que moi, je trouve que les hommes du livre sont aussi beaux que Chien. Après, pourquoi elle, je ne sais pas. Je voulais une étrangère, ou plutôt quelqu'un qui vienne du même pays que le côté droit de mon coeur. La grande blonde j'ai déjà à la maison, et peut-être que je savais déjà que j'allais parler de trop de choses qui me touchent, j'ai tenté la petite brune pour prendre du recul et faire un peu « on va faire comme si c'était pas moi qui l'avait dit ». Tu parles que ça ne marche pas. Imposer ce personnage, sinon, je n'y ai pas pensé une seconde. On en reparle dans quinze ans, pour la sortie cinéma de mon sixième roman? smile
Et puis j'ai sans doute compris dans ce livre avant de le comprendre dans la vie; on ne change pas les opinions des gens sur eux-mêmes. Et je n'ai pas pitié de Chien, elle s'en moque, de la pitié, elle ne saurait pas quoi en faire, alors, même si j'en ressens, je la garde pour moi. En fait je suis triste pour elle, mais de la pitié, non.
D'ailleurs quand on "voit" La salamandre on se demande ce qui lui reste d'humain!!
Ils ont tous des surnoms et des noms en ancien français qui expliquent ce qu'ils sont, tout au profond d'eux. Bruec est sanglier, de caractère, de symbolisme, et son nom désigne la souille des cochons sauvages. Noalle est une chouette, à cette époque où elles étaient mi-horribles mi bienfaisantes. C'est aussi le nom des émaux noirs, de ceux qui portent malheur et qui empoisonnent. Chien n'est rien, qu'un objet, qu'une hache, qui ne supporte plus d'être un morceau de fer et tente d'apprendre à penser. Regehir est l'un des seuls qui porte un nom d'acte; c'est la rédemption. C'est le seul qui soit sorti de son labyrinthe. Ils se portent tous en deux ou trois mots. Ils se prouvent tous en deux ou trois mots. Évidemment, quand j'écris, quand je pense, les choses ne sont pas aussi froides, directes; je trouve un mot qui me plaît, qui me touche, et je sais où je veux le placer, où le symbole en nourrira un autre.
Comment avez-vous réussi à recréer cette ambiance? Vous êtes-vous beaucoup documentée? Vous êtes-vous inspirée de lieux, de tableaux, de gravures peut-être? Car franchement certains passages sont stupéfiants de véracité... D'ailleurs la description du Castel de Broe m'a un peu fait penser au travail de Robin Hobb et sa description de Castelcerf.
Je relis parfois des bédés et je retrouve un détail que j'ai avalé et transformé, des sensations devant un tableau que j'avais oublié, le grain d'un objet perdu sous les doigts, ce genre de choses. C'est là que je pêche, ce de ça dont je me nourris.
Noalle veut devenir une femme, veut grandir, non sans mal d'ailleurs et Chien veut devenir aussi quelqu'un, être une femme, trouver sa place, son identité... Le personnage de Noalle est-il né dans votre esprit en même temps que Chien? Comment vous est venue l'idée de ce personnage si particulier? J'ai comme l'impression que ça n'a pas été un personnage très facile à créer? Pourrait-on dire que "Chien du Heaume" est un roman d'initiation qui tourne mal, voir très mal ?
Noalle est née deux chapitres après Chien, puisque j'ai écrit la moitié de ce livre un chapitre après l'autre, sans mettre au point ce que j'allais dire. Et oui, elle a été difficile à écrire, difficile à aimer, même pour moi qui suis la mieux placée pour l'apprécier et la comprendre. Je ne me suis pas sentie soulagée à la fin du livre, juste triste, malgré tout. Quant à l'initiation, je ne trouve pas qu'elle tourne mal; ils ont tous avancé à la fin, ils sont tous à une autre place, plus en avant vers l'horizon. Après, oui, il y a ce qu'on a perdu pour avancer, c'est tout à fait juste.
D'autant plus que cela ne vous empêche pas de mélanger à la véracité historique des passages d'une pure poésie. Comment avez-vous réussi ce fabuleux mélange des styles? Ca a du être un vrai casse tête?
La poésie, je ne sais pas, je pense que j'en vois partout, j'en mets partout, et pouvoir en mettre dans mon écriture me permet au moins de la partager sans que les gens arrêtent de me parler et refusent de me prendre au téléphone. Je dois être un de ces horribles écorchés vifs, je ne sais pas. J'ai juste parlé comme je parle dans ma tête.
Y aura-t-il une suite, même si le final du roman n'en apporte pas forcément une ? Va-t-on avoir le droit à une autre de ces confrontations étranges avec l'énigmatique Salamandre?
Bref, quel est votre actualité?
Oui, vous y aurez droit, il faut juste que je lance l'idée et que je la présente à un éditeur assez fou pour l'accepter.
Je vous laisserez donc le mot de la fin pour conclure cette interview...
... Non, juste "de la drogue et des filles faciles pour tout le monde."
A propos de cette interview :
- Site de l'auteur : http://justineniogret.over-blog.com/ - Lire la chronique de "Chien du Heaume"sur Psychovision |