David S. Khara |
Écrit par Le Cimmerien |
Interview réalisée le 06 avril 2010
Les vestiges de l'aube est le premier roman de David S Khara. Publié aux éditions Rivière Blanche, ce roman oscille entre polar et vampirisme. Pour les lecteurs de Psychovisions, David S Khara a bien voulut répondre à nos questions. Merci à lui.
Alors comme on ne vous connaît pas encore très bien, vous ne pouvez pas échapper à la traditionnelle question. Qui est David S. Khara? Comment en êtes-vous venu à l'écriture?
Qui est David S. Khara….vaste question… Disons que j'ai quarante ans, un lourd passé sportif en tant qu'escrimeur puis rugbyman, et que durant plus de quinze ans j'ai créé et dirigé une agence de communication.
D'une certaine façon, je pense que l'écriture est venue à moi. Aussi loin que je me souvienne, elle a toujours fait partie de mes envies et de mes plaisirs. Au départ, je parodiais des textes classiques, les adaptant à mes camarades de classe. Puis j'ai tenu une chronique culturelle dans le journal de mon université. Mon parcours professionnel n'a fait que confirmer la tendance. Après un passage à l'Agence France Presse, je me suis tourné vers la conception rédaction publicitaire qui représente un formidable laboratoire littéraire dans la mesure où tout est sujet à contraintes : les thématiques imposées, le nombre de caractères, les cibles d'une campagne, etc. Du coup, passer au roman revenait simplement à s'affranchir desdites contraintes.
Ces vingt dernières années, j'ai écris des romans soigneusement conservés sur CD, sans trop savoir si je souhaitais en faire quoi que ce soit. Je couchais sur le papier des histoires que j'aurais aimé lire et que je ne trouvais pas dans les rayons. Mon leitmotiv n'a jamais bougé : essayer de donner du plaisir. Ambition simplissime à exprimer, mais nettement plus complexe à mettre en œuvre. Le gros avantage, c'est que je dispose aujourd'hui d'un stock non négligeable de scénarios et textes en réserve !
Alors comment en êtes-vous arrivé à écrire sur le vampire ? Qu'est-ce qui vous a attiré dans le vampire, qu'est-ce qui vous a donné envie de mettre en scène une créature de ce genre? J'ai la vague impression, mais peut-être que je me trompe, qu'il y a du Anne Rice là-dessous, non ? Y a-t-il un vampire qui vous a inspiré plus qu'un autre ?
Le choix du vampire semblait évident au vu des thèmes que je souhaitais aborder dans les Vestiges de l'Aube. Vous l'avez bien décrypté du reste. Le livre traite de la solitude, de la peine, de l'absence. Ces thématiques constituent le patrimoine culturel de la littérature vampirique. Magnifique, solitaire, redoutable, sont des adjectifs qui définissent Werner, il était donc logique d'en faire un vampire. La monstruosité du vampire se cache derrière une humanité de façade, contrairement au loup garou (mainte fois son rival) par exemple. J'aime l'aspect "Beauté du Diable " du personnage.
L'influence d'Anne Rice est d'autant plus réelle que ma première rencontre littéraire avec le vampire s'est faite en lisant Lestat. La rébellion de ce personnage face à une humanité volée était passionnante. Le nom de famille de Werner est un clin d'œil au personnage Strahd von Zarovich créé par Tracy et Laura Hickman. Il me semble intéressant de préciser que la rédaction des Vestiges de l'aube date de bien avant la "mode " vampirique des dernières années. L'effet de mode n'a donc jamais influé sur ma plume, ou mon clavier en l'occurrence (rires).
Au final, "Les vestiges de l'aube"est une vaste réflexion sur la nature humaine ?
La supériorité du vampire est totale si on l'affranchit de toute problématique morale, sociale. Mais si le vampire souhaite s'inscrire dans le monde qui l'entoure, alors cette supériorité induit de sérieux problèmes. Causer la mort pour survivre n'est pas le moindre.
Alors évidemment, quand une créature dont la survie passe par la mort de ses proies connaît la compassion, et qu'un homme "normal " tue pour assouvir ses instincts, la fracture morale est énorme, troublante, dérangeante même. C'est là une grande partie du propos des Vestiges de l'Aube. C'est un roman profondément, viscéralement, humaniste, ponctué par un réel message d'espoir, et posant une question qui me hante : Comment un être humain atteint-il la grandeur ?
Le point de vue extérieur de Barry s'imposait logiquement dans la mesure où Werner, par sa nature et ses décisions, mène le jeu. De plus, cela rend l'avenir de Barry plus incertain quant à ce qu'il peut lui arriver. Pour un thriller, je ne pouvais rêver mieux afin d'entretenir un suspens, que je prends un malin plaisir à faire durer jusqu'à l'avant-dernière page !
Si l'alternance des points de vue entre les deux protagonistes s'avère efficace, au vu des retours de lecteurs, elle est très complexe à mettre en œuvre sur un plan strictement littéraire. Philippe Ward, directeur de collection de Rivière Blanche, en sait quelque chose. Je n'ai pas cherché ni à copier ni à rendre hommage à Stoker. Je vais vous faire un aveu : je n'ai jamais lu l'intégralité de Dracula. Pour les Vestiges, à l'instar de Monsieur Jourdain, j'ai fait de la prose sans le savoir…
Le mélange des genres n'a représenté aucune difficulté. J'aime la diversité culturelle, les passerelles inter genres, les métissages. Musicalement, j'écoute aussi bien Mozart qu'Eminem. Cinématographiquement parlant, Peur sur la Ville m'inspire autant que Le Seigneur des Anneaux ou Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Pour les Vestiges, je désirais donner plusieurs dimensions au récit : historique, policière, fantastique, et humaniste. L'imbrication de ses éléments s'est faite presque naturellement car les intentions l'emportent sur le procédé. J'avais un propos de base, l'histoire s'est construite d'elle-même autour de ce propos.
Les trois premiers chapitres des Vestiges de l'Aube ont été écrits dans la continuité. J'ai très vite compris que Werner prenait possession de mon clavier. D'où le besoin impérieux de m'imposer une méthodologie. A partir du moment où l'idée de la série a pris forme, j'ai commencé à poser les éléments d'un scénario global, puis à séquencer les Tomes 2 et 3.
De même que vous nous plongez dans l'histoire de l'Amérique puisque vous allez jusqu'à mettre en scène Lincoln et toute cette époque toute aussi traumatisante qu'est la ségrégation et la guerre de sécession. D'ailleurs dans votre description du Sud on pense un peu à Anne Rice. Alors pourquoi les Etats-Unis? Pourquoi cette période, cette époque? On sent une passion pour ce pays, pour cette ville. Une ville vampirique s'il en est… Toujours sur le sujet j'ai l'impression que Werner c'est l'Amérique passée et sa violence et Barry c'est en quelque sorte les maux du siècle ? C'est ce qui m'a le plus touché dans ce roman d'ailleurs et je crois aussi que c'est ce qui fait sa force!
Il faut avoir connu Manhattan avant le 11 septembre pour comprendre l'évolution des mentalités et la profondeur du traumatisme. J'étais au pied des Twin Towers une semaine avant l'attentat. J'y suis retourné quelques mois après. Face à Ground Zero, on ne peut rester indifférent. Je voulais transmettre un peu de la gravité de l'endroit, et d'une certaine façon, rendre hommage aux victimes innocentes d'un conflit qui les dépassaient. Après les attentats, les habitants se sont ouverts aux autres, une réelle solidarité est née et cela se ressent un peu partout, dans les rues, les bars, au pied des immeubles de bureau. Souhaitons que cela dure. J'aime à faire un parallèle entre Barry et les immeubles entourant Ground Zero. Ils sont debout, mais leurs fondations ont été ébranlées et leurs façades déchirées.
Quant à la période de Guerre de Sécession, outre la lutte contre l'esclavagisme (qui n'a pas réellement guidé le conflit), elle démontre l'opposition entre deux modes de vie : industriel dans le Nord, agricole dans le Sud. Elle symbolise donc la transition, brutale, d'une époque à une autre. En cela, Werner, homme aux idées déjà progressistes pour son temps, incarne l'entrée dans l'ère moderne.
La confrontation entre les deux personnages, et donc les époques, constitue la pierre angulaire des Vestiges de l'Aube. J'ai été guidé par une volonté de mettre en perspective les points de vue, les mentalités, les codes sociaux et moraux, et pour se faire, le jeu de miroir entre Werner et Barry fonctionne plutôt pas mal et induit une réelle profondeur.
Il m'est difficile de donner des conseils, puisque je suis "jeune" auteur. Je pense néanmoins qu'il est possible d'aborder n'importe quel thème, même aussi surexploité que le vampire, à partir du moment où l'on donne à ses personnages profondeurs et sincérité. Un bon texte, une bonne histoire peuvent se voir freinés par une mode, mais marquerons dans la durée. De plus, certains romans ont connus des succès bien après leur première publication. Publier c'est donner à voir, donc se mettre en danger, prendre des coups. La vie est un sport de contact. Donc mon seul conseil est : foncez, et ne laissez personne vous dire que c'est impossible. Comme disait Sénèque : "Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles." !
Le tome 2 est bien avancé. Le manuscrit sera remis à Philippe Ward en septembre 2010. Vous pouvez donc compter sur un retour de Barry et Werner dès la fin d'année. Disons début 2011 au plus tard. J'ai également écris une nouvelle, ma première, qui sera publiée dans l'anthologie de Cape et d'Esprits (éd. Rivière Blanche) dirigée par Eric Boissau. J'y rends hommage aux trois mousquetaires avec une touche d'épouvante. Je termine actuellement "Le Projet Bleiberg" qui sortira en Septembre 2010 aux éditions Critic. Il s'agit d'un thriller historique traitant des expériences menées par les SS dans les camps de concentrations entre 1941 et 1942. Là encore je travaille sur différents niveaux de lecture. D'un côté un vrai roman historique avec des faits et des environnements réels et précis, souvent douloureux, et de l'autre une aventure nerveuse et sous tension permanente. Et la création d'un personnage qui, j'espère, saura vous passionner.
Je tiens à remercier l'équipe AcT pour son soutien.
Avec votre permission, je confie le dernier mot à Werner :
"Il m'apparaît aujourd'hui qu'homme et vampire n'aspirent à rien de différent : savoir qu'il existe là, dans le monde, une personne nourrissant à leur égard des pensées bienveillantes"...
A propos de cette interview :
- Site de l'auteur : http://www.dskhara.com/ - Lire la chronique du roman "Les Vestiges de l'Aube" - Lire un extrait du roman "Les Vestiges de l'Aube"
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