Lewton, Val
Écrit par Mallox   

Val Lewton (Producteur de "La féline", "Vaudou", "Le récupérateur de cadavres",...).

 

Plus de goût que d'argent : telle pourrait être la devise de Val Lewton, qui a marqué de sa personnalité tous les films fantastiques à petit budget qu'il a produits pour la RKO entre 1942 et 1947 et qui restent des modèles du genre.

 

 

Val Lewton (Vladimir Leventon) est né le 7 mai 1904 à Yalta, où son grand-père maternel, pharmacien réputé, aurait, dit-on, servi le tsar Alexandre III et Anton Tchekhov. Très vite séparée de mari, sa mère, Nina, emmène ses deux enfants, Vladimir et Lucy, à Berlin. Puis elle se fixe aux Etats-Unis, où sa soeur Adelaïde est devenue une actrice célèbre sous le nom d'Alla Nazimova. Elle change alors son nom en Lewton, et Nazimova la fait entrer à la MGM, au département des scénarios.
Très jeune déjà, le jeune Vladimir se montre un lecteur impénitent et acquiert une vaste culture littéraire à défaut d'autre bagage. Il entreprend des études de journalisme à l'université Columbia et se lie d'amitié avec Donald Henderson Clarke, qui lui procure quelques reportages.

- Conseiller littéraire pour Selznick :


Entre deux reportages, Lewton écrit des poèmes et des romans. En 1932, la Paramount lui achète les droits de "No Bed of Her Own" (l'un des premiers livres consacrés à la grande dépression économique) et en tire un film à succès avec Clark Gable et Carole Lombard : "Un mauvais garçon". Néanmoins, c'est un autre roman, écrit en 1926, qui sera déterminant pour la carrière cinématographique de Val Lewton ; en 1933, "The Cossack Sword" retient l'attention de David O'Selznick, qui cherche alors un écrivain russe pour adapter le "Tarass Boulba" de Gogol. Le projet ne se réalisera pas, mais Selznick, qui a été impressionné par la culture et le goût très raffiné de Lewton, l'engage comme scénariste.
Pendant huit ans, Lewton sera l'un des plus précieux collaborateurs de Selznick, auprès duquel il jouera le rôle de conseiller littéraire et artistique, voire historique, veillant en personne à l'harmonie du moindre détail (costumes, décors, dialgues, etc.). Notons qu'il sera l'une des rares personnalités hollywoodiennes à ne pas partager l'engouement pour "Autant en emporte le vent", et il conseillera à Selznick d'adapter plutôt "Guerre et Paix" de Tolstoï ou "La foire aux vanités" de Thackeray, outrageusement pillés selon lui par Margareth Mitchell. En dépit de ce désaccord, le talent de Lewton est unanimement apprécié au sein de l'unité de production que dirige Selznick à la MGM, et sa réputation est solidement établie lorsque, en 1941, on lui fait une offre qui va changer le cours de sa vie.

 

 

- Producteur de films fantastiques :


Charles Koerner, le nouveau directeur de production de la RKO, cherche un jeune producteur pour lancer une série de films d'épouvante à petit budget, et il songe à Lewton. Le premier contact entre les deux hommes est excellent, et Lewton signe un contrat de producteur associé. Il fait aussitôt engager le réalisateur Jacques Tourneur et le scénariste DeWitt Bodeen, qu'il a eu l'occasion d'apprécier en travaillant pour Selznick.
Tout comme Koerner - à qui revient l'idée initiale de "La féline" ("Cat People", 1942) -, Lewton entend renouveler le cinéma fantastique en misant davantage sur la tension psychologique et la suggestion que sur les effets spectaculaires. Mais les dirigeants de la RKO déroutés par le style très original de Lewton et Tourneur, imposeront quelques concessions commerciales qui nuiront à l'unité du film. "La féline", tourné en trois semaines avec un budget de 134 000$, n'en sera pas moins un éclatant succès commercial qui tiendra l'affiche treize semaines consécutives au Hawaï Theatre de Hollywood Boulevard, et qui rapportera plus de trois millions de dollars, consolidant ainsi la position financière incertaine de la RKO.

 

 

Après ce coup de maître, Lewton ne produira pas moins de quatre films en 1943 ! Les deux premiers, toujours tournés en un temps record (moins d'un mois) et avec un budget minimal (150 000$), seront encore dirigés par son ami et complice Jacques Tourneur. "Vaudou" ("I Walked with a Zombie") est inspiré d'une série d'articles d'Inez Wallace. Sur ce thème traditionnel du film d'horreur, Tourneur et Lewton ont réussi une oeuvre profondément originale sur le plan narratif, évoquant, par une succession de tableaux subtils, le conflit immémorial de la raison et de l'intelligence contre les puissances instinctives des ténèbres.
"The leopard Man", adapté d'un roman de Cornell Woolrich (pseudonyme de William Irish) est plus conventionnel et relève plutôt du genre policier exotique que du film fantastique. On retiendra pourtant quelques scènes angoissantes particulièrement réussies.

 

 

En revanche, "The Seventh Victim" (1943) est sans doute l'oeuvre la plus intéressante et la plus personnelle de Val Lewton, qui a d'ailleurs donné beaucoup de traits autobiographiques au personnage principal, un poète de Greenwich Village. Cette évocation d'une secte satanique s'adonnant à la magie noire dans le New York des années de guerre exerce une fascination morbide rarement atteinte à l'écran.
Toujours en 1943, Lewton confie à Mark Robson, qui a fait ses preuves de réalisateur avec "The Seventh Victim", la mise en scène de "The Ghost Ship", adapté par Donald Henderson Clarke d'un roman de Leo Mittler. Malheureusement, Lewton dont la bonne foi ne peut guère être mise en doute, est attaqué pour plagiat par les auteurs d'un scénario refusé par la RKO, qui perd le procès. C'est ainsi que ce film très intéressant (où l'on voit un capitaine de bateau, tueur psychopathe, assassiner ses officiers) a disparu des circuits commerciaux.

 

 

Aucun de ces quatre films n'ayant égalé le succès de"La féline", Koerner suggère une suite : ce sera "La malédiction des hommes-chats" ("The Curse of the Cat People", 1944). Mais, cette fois, la contribution de Lewton au script sera prépondérante et même plus important en fait, que celle du scénariste DeWitt Bodeen). Les dirigeants de la RKO, peu réceptifs à cette évocation sensible et poétique du monde de l'enfance, feront modifier plusieurs scènes et le réalisateur sera remplacé en cours de tournage. Aussi la mise en scène est-elle quelque peu hésitante. Toutefois, le film est particulièrement représentatif des conceptions artistiques de Lewton.

 

 

Après ce demi-échec, Lewton se tourne vers un classique de la littérature fantastique en adaptant un récit de Stevenson pour "Le récupérateur de cadavres" (The Body Snatcher", 1945). Il écrit lui-même le scénario sous le pseudonyme de Carlos Keith. Pour cette réalisation de prestige, signée Robert Wise, il s'assure le concours de trois des plus grands acteurs de films d'épouvante : Boris Karloff, Bela Lugosi et Henry Daniell. Les critiques apprécieront la qualité littéraire des dialogues et la magnifique reconstitution d'Edimbourg au milieu du XIXème siècle.
Le goût parfait dont témoigne "Le récupérateur de cadavres" ne peut cependant faire oublier la poésie poignante et l'intensité dramatique de "Vaudou" et de "The Seventh Victim". Il en va de même pour "Bedlam" (1946), le dernier film produit par Lewton à la RKO et qui lui est inspiré par l'oeuvre de Hogarth (les influences picturales sont très importantes chez lewton). cette brillante et très littéraire évocation du célèbre asile de fous londonien au XVIIIème siècle reste très formelle, hésitant sans cesse entre la reconstitution historique et le film d'horreur. Entre-temps, on n'oubliera pas de citer l'intéressant "L'île des morts" ("Isle of the Dead", 1945), tourné par Mark Robson, lui aussi hésitant mais restant bien au-dessus de la production de l'époque.

 

 

Lewton est alors marqué par son étiquette de producteur de films fantastiques et il ne parvient pas à réaliser d'autres projets qui lui tiennent à coeur.
A la mort de Koerner, rien ne le retient plus à la RKO. Il accepte de travailler à la Paramount pour produire "My Own True Love" (1948) qui ne sortia jamais. Il n'aura pas plus de chance à la MGM, où le scénario qu'il a tiré d'une nouvelle deHergesheimer, "Wild Oranges", sera refusé par la censure ; il ne produira qu'une très banale comédie musicale interprétée par Deborah Kerr, "Please Believe Me" (1950). L'année suivante, il produira pour l'Universal un western en Technicolor dirigé par Hugo Fregonese ("Apache Drums", 1951), dont les critiques saluent l'originalité (notamment en ce qui concerne l'emploi de la couleur).

 

 

Avant d'avoir pu mener à bien d'autres projets (avec Stanley Kramer, en particulier), Lewton est immobilisé par une douloureuse crise de calculs biliaires. Frappé de deux thromboses successives, il doit être hospitalisé et meurt le 14 mars 1951, âgé seulement de quarante-six ans.
Après sa mort, il fera l'objet d'un véritable culte de la part des cinéphiles, qui lui doivent certaines de leurs grandes émotions. Son influence sera considérable sur beaucoup de de jeunes réalisateurs, auxquels il a prouvé qu'il était possible de réaliser des films fantastiques intelligents et de qualité, sans budgets extravagants et sans effets voyants, par le seul pouvoir de suggestion des images.


* Filmograpie (productions) :

1942 :

- Cat People (La féline)

1943 :

- I Walked with a Zombie (Vaudou)
- The Leopard Man
- The Seventh Victim
- The Ghost Ship

1944 :

- The Curse of the Cat People (La malédiction des hommes-chats)
- Mademoiselle Fifi
- Youth Runs Wild

1945 :

- The Body Snatcher (Le récupérateur de cadavres)
- Isle of the Dead (L'île de la mort)

1946 :

- Bedlam

1948 :

- My Own trust Love

1950 :

- Please Believe Me

1951 :

- Apache Drums (Quand les tambours attaquent)

 

Mallox (Janvier 2010)