Soudain le 22 mai
Titre original: 22 mei
Genre: Fantastique , Drame
Année: 2010
Pays d'origine: Belgique
Réalisateur: Koen Mortier
Casting:
Sam Louwyck, Titus De Voogdt, Jan Hammenecker, Norman Baert, Wim Willaert, Barbara Callewaert, Gunter Lamoot, Steffi Peeters...
 

7h30, le 22 mai. Sam n'est pas encore sorti de son lit qu'il allume une cigarette pour tirer quelques bouffées. Puis, sans même prendre le temps de déjeuner, il enfile un falzar et va se laver les dents, avant de tirer une nouvelle taffe sur sa clope. Comme tout Belge partant travailler à la journée et ne roulant pas sur l'or, il se prépare un casse-croûte qu'il range dans sa boite à tartines et place dans un sac, accompagné d'un thermos de café. Enfin, il sort de chez lui. Et les bruits du quotidien qui, seuls, l'accompagnaient, se retrouvent alors accompagnés de musique, un peu comme si son intérieur en était privé.
Il parcourt les longues coursives de son immeuble, prend l'ascenseur, remonte une rue, prend un bus, déambule encore avant de plonger dans les sous-sols d'une galerie commerciale, d'y traverser un long couloir puis d'entrer dans une salle, de saluer un collègue sans chaleur, de se rendre au vestiaire et de prendre dans son casier un uniforme de service très basique (une veste et une cravate), avant de se poster devant l'entrée pour entamer une nouvelle journée qu'on imagine assez peu exaltante.
Des clients entrent, un livreur cherche la boutique de cuir Samdam, un autre cherche une certaine Sandra Lauwaert de la boutique Bijou, ou Bisou, il ne sait pas trop, Sam donne ces renseignements et continue de regarder passer les clients d'un oeil morne lorsque, soudain, c'est l'explosion.

 

 

Puis le silence. Lourd, à peine ponctué de la toux rauque de Sam pris à la gorge par la fumée. Ensuite ce sont les cris, et Sam qui s'engouffre dans la galerie, dans un brouillard opaque de poussière et de gravats, à la recherche de blessés. Souffrance indicible, douleurs, Sam en secourt un puis un second, les gémissements se poursuivent, les visages à peine entrevus dans l'obscurité grimacent de douleurs, cris, hurlements, craquements sinistres et un mur s'abat tout à coup sur un autre secouriste improvisé devant les yeux de Sam, qui panique et s'enfuit. La musique reprend, qui s'était arrêtée avec sa prise de service, et accompagne sa course éperdue au hasard des rues, avant qu'il ne finisse par s'écrouler sur les pavés de la chaussée et de faire une première rencontre étonnante.
Une femme. Qui lui parle comme si elle le connaissait, qui lui parle de l'attentat, qui lui parle d'elle, de son mari et de leur enfant, qui l'accuse de n'avoir rien fait alors que le terroriste était repérable entre tous, la preuve en est qu'il la visite en rêve, qu'elle savait qu'il incarnait le mal et que lui n'a rien fait, impuissant à remplir son rôle d'agent de sécurité, la sécurité des clients, justement.

Déstabilisé, Sam rencontre ensuite Norman, le livreur, qui lui aussi revient sur ce qui s'est passé, qui lui aussi l'accuse, qui lui aussi lui dit d'agir, comme s'il pouvait encore renverser le cours des choses. A moins qu'il ne soit lui-même l'auteur de l'attentat, comme pourrait le faire croire cette nouvelle séquence où le jeune à capuche qu'on a jusqu'à présent identifié comme étant le terroriste le félicite pour ce qu'il a fait, pour son courage, et lui dit qu'il n'a rien à regretter. Et dans la fuite de Sam dans des rues toujours vides, des stations de métro et des parkings déserts, des immeubles sans locataires et ses retours épisodiques à la galerie commerciale, toujours ces rencontres avec ceux qui ont vécu l'attentat, qui l'ont subi, qui en ont été les victimes, tout comme lui.

 

 

Qui sont exactement tous ces gens ? Steffi, la mère à la poussette et Norman, déjà évoqués, mais aussi Gunter, le photographe, Jan, le policier, Wim le client amoureux de Sandra, la vendeuse de chez Bisou, et qui se branle dans ses cabines d'essayage ? Pourquoi viennent-ils tous voir Sam et pourquoi le poursuivent-ils, comme s'il était coupable de ce qui est arrivé ? Pourquoi apparaissent-ils au détour d'un train vide de passagers, au coin d'une rue déserte, dans un terrain vague ? Si Sam est perdu dans une ville à l'abandon, le spectateur ne l'est pas moins, pendant un certain temps tout au moins, le temps de se faire sa propre idée sur ce qu'il voit et sur les personnages croisés. Petit à petit, les contours d'un monde parallèle, comme double survivant de l'anéanti, se précisent, plongeant le film d'un réalisme crû dans un fantastique de plus en plus oppressant de par l'impuissance qu'il confirme : quelles qu'en soient les causes et quels qu'en soient les conséquences, rien ne pourra empêcher Nico De Geest de commettre son crime et d'appuyer sur le bouton qui déclenchera l'explosion de sa ceinture piégée.

 

 

Pour son second film, après le trash "Ex Drummer" (à la réputation telle en tout cas, car je ne l'ai pas vu), Koen Mortier s'attaque à un sujet difficile et contemporain à la fois : les attentats terroristes. Et, plutôt que d'axer son film sur le coupable, aux motivations assez absurdes (c'est d'ailleurs la plus grande faiblesse du scénario, peut-être voulue pour souligner le côté dérisoire de ce qui peut motiver un attentat suicide), il choisit de placer devant sa caméra les victimes et d'interroger le sentiment de culpabilité que tout un chacun peut éprouver à un moment ou à un autre, notamment en situation de crise (j'aurais peut-être pu faire ceci, j'aurais peut-être dû dire cela, si j'avais su ce qui allait arriver, j'aurais donné moins d'importance à certaines choses, et plus à d'autres...).

Plongés dans ce maelstrom qui les engloutit et les réunit bien malgré eux, ses personnages se débattent dans un entre-deux fait de retours en arrière, de visions du passé, d'actes manqués ou de paroles inutiles et parfois blessantes. Le réalisateur les bouscule comme il bouscule le spectateur, se servant de l'attentat terroriste pour rappeler à quel point la vie est fragile et redonner à chacun une humanité qui pouvait s'être étiolée. A cet égard, il n'est pas innocent de voir que le Sam solitaire et isolé du début (chez lui mais même au boulot), se met à renouer un contact avec d'autres, à éprouver des sentiments, à revivre en quelque sorte, suite à l'explosion.

 

A la fois grave, étrange et fantastique, empreint d'humanité, Soudain le 22 mai bénéficie aussi du savoir-faire technique de son auteur. Ayant bâti son projet avec la musique déjà choisie, il filme un quotidien urbain rude et désolé, suivant très souvent Sam ou les autres dans leurs déambulations, faisant penser fortement à Alan Clarke et à Elephant en particulier. Volontairement ou non, la filiation avec le cinéaste anglais est d'autant plus évidente que nombre de séquences sont tournées à la steadicam, permettant une fluidité convenant parfaitement aux errances que le récit retranscrit. La différence se jouera plutôt au niveau des chemins suivis, très réalistes chez Clarke, ici beaucoup plus oniriques. Quoi qu'il en soit, un film à voir pour son âpreté et sa sécheresse d'une part, contrebalancée par un lyrisme presque indécent d'autre part, dans le final notamment, où l'attentat une fois de plus revisité démontre, si c'était nécessaire, la fascination que peuvent exercer de telles images sur nous, surtout lorsqu'elles sont accompagnées, comme ici, de la musique et du chant de The Bony King of Nowhere.

 

Bigbonn


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# La fiche dvd Blaq Out de Soudain le 22 mai

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