Cu mâinile curate
Genre: Historique , Policier
Année: 1972
Pays d'origine: Roumanie
Réalisateur: Sergiu Nicolaescu
Casting:
Ilarion Ciobanu, Sergiu Nicolaescu, Alexandru Dobrescu, George Constantin, Gheorghe Dinică, Sebastian Papaiani, Ștefan Mihăilescu-Brăila, Emanoil Petruț...
Aka: With Clean Hands / Con le mani pulite
 

Bucarest, avril 1945 - Alors que la guerre n'est pas encore achevée mais que les combats ne se déroulent plus sur le sol national, la Roumanie vit une période mouvementée et tourmentée, où le pouvoir est partagé entre les communistes arrivés dans les valises de l'armée rouge et les "libéraux", pour la plupart des fidèles de l'ancien régime qui ont su retourner leur veste à temps. Pour la pègre c'est un âge d'or : la police en sous-effectif, l'armée hors des frontières, de nombreux déserteurs comme recrues et des armes de guerre disponibles à foison. Les communistes ont hérité du contrôle du deuxième district de la capitale, qui s'étend des quartiers huppés du centre-ville, où les hold-up sanglants sont quotidiens, jusqu'aux bidonvilles contrôlés par les gangs.

Suite à l'assassinat de son prédécesseur, le parti a mis à la tête du commissariat du district Mihail Roman, un ex-ouvrier et entraîneur de rugby dont la seule expérience en matière de police est d'avoir été prisonnier politique sous l'Ancien régime. Roman, promu commissaire principal, fait la connaissance de ses deux adjoints, Miclovan, le chef de l'antigang local, un "cow-boy" hâbleur et narcissique aux méthodes expéditives, et le second du commissariat, Patulea, policier consciencieux et bon père de famille, dans lequel il ne tarde pas à reconnaître un de ses anciens tortionnaires...

 

 

Premier film roumain purement policier, Cu mâinile curate est la conséquence d'une commande du ministère de l'intérieur. En 1971, se répand dans la population roumaine une rumeur selon laquelle la victoire des communistes aux élections de 1946 (qui entrainera l'établissement de la république populaire) aurait été obtenue suite à des fraudes massives orchestrées à l'époque par ce même ministère de l'intérieur. Pas question évidemment de laisser ladite rumeur se propager, d'autant qu'elle n'est pas complètement dénuée de fondement, pour employer un euphémisme; d'où l'idée de lancer une série de films narrant la prise de pouvoir par les communistes selon la version officielle, mais vue par le petit bout de la lorgnette, soit le point de vue d'un cadre communiste de "base" œuvrant d'abord dans la police puis dans le contre-espionnage, le commissaire puis agent (officiellement fictif) Mihail Roman. Série dont le premier opus, pas directement propagandiste, devait servir d'introduction au personnage tout en présentant le plus fidèlement possible le chaos du Bucarest de la toute fin de guerre, avec aux manettes Titus Popovici pour le scénario (à la fois l'un des meilleurs écrivains roumains contemporains et un membre du Politburo dont le zèle communiste ne saurait être mis en doute) et Sergiu Nicolaescu (l'un des meilleurs réalisateurs de films d'action au monde à l'époque) à la mise en scène.

 

 

Mais tout ça se fait un peu dans l'urgence, et quand les premiers tours de manivelle sont donnés le scénario n'est pas encore achevé, et il sera modifié au fur et à mesure de l'avancement du film. Ce qui peut expliquer une structure assez atypique en deux parties, avec un changement de tonalité et de "centre de gravité" en plein milieu du film. Car à mi-métrage, celui qui dans la première partie semble être le personnage principal, à savoir Mihail Roman communiste bon teint d'origine modeste, brave type, humain capable d'empathie, sachant reconnaître ses torts et pratiquant le pardon des offenses (etc.), va céder la vedette à un collègue donc les qualités humaines sont beaucoup moins mises en valeur.

Première ébauche du très gratiné Comisarul Moldovan, le commissaire Miclovan (incarné par Nicolaescu en personne) ferait passer les "Dirty Harry" et autres commissaires Betti et Tanzi pour des "tarlouzes" laxistes ayant raté leur vocation d'assistante sociale. L'interrogatoire d'un suspect (bon, ok, plutôt d'un délinquant multirécidiviste) commence par un tabassage en règle, avant de s'achever par la transformation dudit suspect en écumoire, une fois que celui-ci a "mangé le morceau". Bon, à tout prendre, Miclovan est d'un strict point de vue comptable moins meurtrier que son futur avatar Moldovan, mais ce dernier empruntait les chemins ultra balisés du vigilante dans des scénarios reproduisant les mécanismes du "rape and revange" (en remplaçant le "rape" par le meurtre d'un proche) face à des adversaires nettement plus violents et redoutables que lui. Alors que Miclovan vous sert de la justice expéditive gratos (Vous voulez du rab ? Pas de problème c'est lui qui offre !).

 

 

La petite frappe désarmée subira le même sort que le chef de gang sanguinaire, reflet sans doute de la future société "égalitariste" de la République Populaire de Roumanie. Et le plus frappant, pas autant que Miclovan lors de ses interrogatoires mais quand même, c'est que la plupart du temps les méthodes expéditives employées par icelui ne sont pas justifiées par le scénario. Cela en devient même parfois assez hallucinant, comme cette scène où, procédant avec ses collègues à l'arrestation d'une bande dans un restaurant bourré de monde, et alors que les gangsters se rendent sans résistance, il s'en va délibérément provoquer le plus dangereux d'entre eux (qu'il flinguera, un mort et une prise d'otages plus tard, après avoir promis de le laisser fuir s'il libère l'otage). En plus de ces méthodes de "cow-boy" Miclovan, qui est loin d'être incorruptible, est aussi narcissique et immature avec des tendances suicidaires. C'est paradoxalement tous ses défauts et ses failles qui le rendent sympathique (alors que Moldovan, son successeur en matière de thriller à la roumaine, transmuté en superman invincible, sera quant à lui très vite gonflant).
A vrai dire, Miclovan est plutôt un antihéros destiné, d'une part à faire briller par contraste le vrai héros, communiste sans tache (d'où le titre), et d'autre part à décharger hypocritement celui-ci (Mihail Roman) du sale boulot. Mais son interprète/réalisateur met tellement Miclovan en lumière qu'il finit par éclipser le personnage de Roman (aidé involontairement par le jeu particulièrement terne du médiocre Ilarion Ciobanu).

 

 

Précisons néanmoins que, malgré un "body count" impressionnant qui deviendra la marque de fabrique du polar roumain des années 70, le film reste tout public, la violence étant sèche et dépourvue de tout excès gore ou "d'effet graphique", censure oblige. Techniquement, c'est propre et enlevé, comme toutes les réalisations de Nicolaescu ; la reconstitution historique est soignée, et une musique jazzy easy-listening accompagne parfaitement l'action. La comparaison avec les poliziotescos qui apparaissent au même moment chez le grand frère latin n'est pas défavorable au présent film (ce qui ne sera plus vraiment le cas pour ses successeurs directs et indirects). Le principal reproche que l'on puisse faire à Cu mâinile curate (outre son double sous-texte idéologique pour les esprits chagrins et étriqués) c'est l'absence d'un vrai méchant charismatique comme dans Un comisar acuza, mais cela est compensé par la personnalité de son "héros en second".
Gros succès en salle, Cu mâinile curate engendra une suite directe (imprévue à l'origine) Ultimul cartuş où Roman continue son travail de policier pour venger (attention spoiler) la mort de Miclovan, avant de passer à l'action politique dans un triptyque que ne réalisera pas Nicolaescu. Car entretemps, Popovici et Nicolaescu se sont fâchés. Nicolaescu voulait que son personnage ressuscite (enfin... qu'il ne soit pas réellement mort) dans Ultimul cartuş, ce que Popovici refusa, pour la crédibilité de l'intrigue mais aussi parce que la mort de Miclovan symbolisait la fin d'une époque, celle des gangs et de la justice expéditive, et en fin de compte Miclovan n'apparaîtra qu'en flashback. Alors, l'acteur/réalisateur, sans Popovici cette fois, créera le commissaire Moldovan, une version à la fois plus convenue et plus excessive de Miclovan transposée avant la Seconde Guerre mondiale dans une série de films (débutant par Un comisar acuza) où il ne se privera pas de le faire ressusciter d'un épisode à l'autre.

 

 

Sigtuna





En rapport avec le film : Le "Justicier de fer"

 

 

# Aussi incroyable que cela puisse paraître, les commissaires Miclovan et Roman sont inspirés d'un seul homme, le quasi mythique Eugen Alimanescu, qui est une synthèse des deux personnages : Roman pour le cursus (militant communiste bombardé commissaire de police en 1945, puis versé dans le contre-espionnage "musclé" par la suite), et Miclovan pour le caractère et les méthodes. Afin de lutter contre la criminalité ultra violente qui sévissait alors à Bucarest et pour pallier l'inefficacité d'une police et d'une justice totalement corrompues, Alimanescu créera en 1945 une brigade de choc (de 22 membres) dont la particularité principale est de n'avoir jamais procédé à une seule arrestation (les gangsters traqués finissant invariablement à la morgue) mais ne rechignant pas à recourir à la torture. Cette brigade antigang fut si efficace qu'au bout de quelques mois, et plusieurs centaines de voyous "neutralisés", elle a été supprimée faute d'activité. Versé dans la lutte contre la guérilla anticommuniste (armée et financée par la CIA) sévissant alors dans les Carpates, Alimanescu y emploiera les mêmes méthodes avec la même efficacité et les mêmes résultats. Promu à un haut poste administratif au ministère de l'intérieur, il sera impliqué dans plusieurs affaires de fraudes, corruptions et détournements de fonds. Épargné dans un premier temps, eu égard aux services rendus, il aura le tort de se croire indéboulonnable et de ne pas savoir s'arrêter, alors qu'il était devenu le témoin gênant d'une époque révolue que l'on cherchait à effacer des mémoires. Il disparaîtra mystérieusement sans laisser la moindre trace en 1952 et sera déclaré officiellement mort en 1958.

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