Millecrabe

 

 

Editeur : Interkeltia

Collection : SF Uchronie

Auteur : P.J Hérault

Date de sortie : Octobre 2009

Nbre de pages : 640

 

 

 

Installé dans son poste de pilotage, verrière entrouverte pour éviter la condensation avec sa respiration ; et évacuer les vagues relents d'essence montant de son blouson…; Myko regardait le ballet des mécanos chacun armé d'un fanal, guidant les derniers avions venant se mettre en place. Des Spits d'une Escadre entièrement Tchèque d'après le petit sigle peint sous la cocarde aux quatre couleurs de la Fédération : noir, blanc, bleu, rouge, entrevu fugitivement dans la lumière d'un fanal au moment où le pilote faisait pivoter son avion ; il y avait encore des unités totalement composés de pilotes d'une même République. Il faisait toujours nuit. Comme beaucoup d'autres pilotes, sûrement, Myko avait branché la radio, écoutant d'abord le canal 3 du contrôle général avant de passer sur le 4. Les chasseurs de nuit était en pleine bagarre et ça semblait bien se passer pour eux. Ils étaient beaucoup moins bavards que la chasse de jour. Les Zéros Chinois intervenaient très peu, ce qui était logique de la part de chasseurs de jour. Il faut un entraînement particulier pour faire ce boulot dans l'obscurité. Le temps passa doucement et le jour commençait à se lever quand la radio diffusa une phrase qui lui fit l'effet d'une gifle :

- "Mais… ce ne sont pas des bombardiers… Ballon de Basique, je vois des parachutes sortir d'un Ju52 touché !… Il y en a beaucoup trop… Ballon ce sont des Ju52, pas des Do17… D'autres parachutistes sautent d'un piège en flamme. Je les distingue très bien."

Un silence puis :

- "Basique, de Ballon-Contrôle, confirmez Basique leader. Combien voyez-vous de parachutes ?"

-"Une cible en flamme est passé dans les faisceaux de deux projecteurs anti-aériens Je vous dis qu'il en sautait sans arrêt, Ballon… j'en ai vu au moins quinze… Et je sais reconnaître un trimoteur Ju52 quand même !…"

- "Ballon à tous les leaders dans le secteur Echo passez sur canal 5. Urgent."

Sans hésiter, à gestes nerveux, Myko sélectionna le canal 5.

- "Ballon à tous les leaders pouvez-vous confirmer formellement que le raid ennemi est constitué de bombardiers Do17 ou d'autres modèles ?"

Le contrôleur avait insisté sur le mot et attendit. Personne ne vint sur la fréquence. Ballon reprit l'antenne mais c'était une autre voix, plus grave, qui s'exprimait.

-"Ballon à tous il est vital de savoir ce que sont ces cibles. Quelqu'un a-t-il fait une observation ?"

- "Ballon, de Blaireau leader. C'est vrai que j'ai vu des cibles m'allumer à la mitrailleuse, mais je faisais surtout attention à placer mes fusées."

- "Ballon de Cachet leader… j'ai fait une attaque en venant sous une cible. Dans l'éclair de l'explosion, quand ma fusée a percuté, il m'a semblé apercevoir des roues, sous les ailes… des roues sorties, comme un train fixe, je ne sais pas comment le dire autrement."

- "D'autres observations ? Quelqu'un se souvient-il d'un détail, même minime ?"

La voix du contrôleur était tendue, maintenant. Il n'y eut pas de réponse.

- "Quelle est la lumière là-haut ? reprit-il enfin. Dans combien de temps pourrez-vous approcher d'assez près pour identifier formellement les cibles ?"

Si le soleil commençait à pointer, là-haut, ses rayons, venant de l'Est devaient aveugler les pilotes !

- "Je suis en train d'approcher par le bas, Ballon. Fistule en train d'approcher par l'avant pour avoir une silhouette face à l'est. Mais à la vitesse de croisement je ne sais pas ce que je pourrai voir…?"

Mykola comprit la situation. Fistule était dans le noir en montée, il connaissait l'altitude moyenne de croisière du raid mais chacun des groupes de celui-ci avait sa propre altitude, qui pouvait varier d'une centaine de mètres, avec le précédent ou le suivant. A voler ainsi à la rencontre des appareils ennemis et face à la faible lumière du soleil levant, c'était un truc à…

- "Ballon de Cachet leader, une explosion assez violente au nord de ma position…"

Dieu, le gars avait percuté ! Et puis une voix s'éleva.

- "Ballon de Fistule 2… Mon leader vient d'entrer en collision avec un trimoteur. J'ai parfaitement vu les trois moteurs, le central et les deux d'aile.

Le Ju52 Chinois était le seul trimoteur construit en série. Et c'était un avion de transport ! Ce raid immense était composé d'avions transportant… des parachutistes ? Mais combien étaient-ils se demanda Myko, tétanisé sur son siège. Voyons s'il se souvenait bien le Ju de transport pouvait emmener une dizaine de blessés en civières, alors disons une vingtaine de parachutistes chacun. Et il y en avait des milliers…? Peut être plus d'une division, alors ? Une division sautant sur Kiev. Mais ils prendraient la ville en… en moins d'une matinée ! Les troupes autour de la ville mettraient trop de temps pour arriver. Kiev risquait de tomber… Kiev où se trouvaient les Etats Majors, toute la coordination de cette guerre, où arrivaient toutes les communications, où se trouvaient tous les décideurs ! Ils allaient être fait prisonniers ! Il eut envie de descendre de son avion pour dire la nouvelle aux autres et il releva la tête, s'apercevant que le jour commençait à se lever. On les avait installés au bout de la piste 08, celle qui était face à l'est pour qu'ils puissent voir les obstacles devant eux, en ombre chinoise, au décollage. Et là-bas on commençait à entrevoir une lueur. Il y eut une explosion au-dessus de sa tête et il aperçut une fusée rouge, suivie d'une seconde. Dans la même seconde il entendit une dizaine de moteurs cracher. Rapidement il entama la procédure de démarrage du sien.


L'Escadron volait à 4000 mètres, par Escadrille en formation décalée, chaque avion volant un mètre en arrière de celui qui le précédait, sur sa droite et à une dizaine de mètres sur le côté. La couche de nuages hauts se dissipait, le soleil les éclairait de face et ce n'était pas confortable. C'était une de ces belles matinées d'hiver, la météo s'était un petit peu plantée ! Heureusement il était bas sur l'horizon à cette heure ci et, en baissant la tête et en quittant l'appui-tête destiné à protéger le crâne en évolutions de combat, on pouvait protéger ses yeux des rayons lumineux. Rien, à la radio, n'avait révélé si les autres pilotes de l'Escadron connaissaient la nouvelle et Myko se demandait s'il devait la communiquer ou pas. Une Escadre entière volait en dessous d'eux, loin à droite, mais les yeux de Mykola lui avaient permis d'identifier les ailes elliptiques des Spits V. Il l'annonça en utilisant les indicatifs du jour :

- "Lambin de Jaune 4, une escadre de Spits à 3 heures, dessous".

Violet répondit tout de suite :

- "Comment savez-vous que ce sont des Spits, Jaune 4?"

- "Je le vois, fit Mykola."

- "A cette distance ?"

Violet avait l'air sceptique.

- "Affirmatif, Lambin."

- "Reçu."

C'était déjà arrivé à plusieurs reprises, à Erfurt, jusqu'à ce que Mykola se rende compte que sa vue était vraiment excellente et ne s'étonna plus de remarques comme celle-là. Cinq minutes plus tard la radio crachota comme si quelqu'un tapotait son laryngophone avant d'émettre.

- " Leader Lambin à tous. Les copains entrent dans la bagarre mais on n'a pas encore réussi à casser le dispositif ennemi. Ils ont resserré leur formation et volent sur quatre colonnes de front. Leur protection de chasse est exceptionnelle, il y a là plusieurs centaines de Zéros à proximité des têtes de colonnes et sûrement d'autres derrière. Ils volent au-dessus et protégent fortement les colonnes latérales pour nous empêcher de passer et de disloquer l'ensemble. Pour l'instant la bagarre se situe dans la région de Pryluky, dans l'est de Kiev. Notre mission est d'attaquer les cibles. Je répète, les CIBLES. Elles ne doivent pas passer. Pour le cas où vous ne le sauriez pas ce ne sont pas des bombardiers mais des Ju52 transports de parachutistes, le modèle armé d'une tourelle supérieure. Visiblement l'objectif ennemi est la prise de Kiev, je répète : la prise de Kiev ! C'est la raison pour laquelle la chasse est aussi importante. Il doit y avoir là toute la chasse des fronts Chinois nord et est ! Ne vous posez pas de question à ce sujet, nous aussi nous avons beaucoup de monde, parce que s'ils passent et lâchent leurs parachutistes sur Kiev il n'y a personne, en bas, pour s'opposer à eux. Souvenez-vous de la prise de Karagandy, au Kazakhstan, au début de la guerre. Une Brigade parachutistes a effacé de la carte une ville de 100 000 habitants en une journée. Cette bataille, qui commence, est probablement la plus importante de la guerre. Si on craque on risque fort de la perdre en même temps que Kiev. Les Chinois n'ont rien à vous apprendre sur le combat aérien, vos pièges sont plus rapides et valent mieux que les leurs en évolution. Nous avons un énorme avantage, nous pouvons réarmer très vite, en dessous de nous. Eux doivent faire des centaines de kilomètres pour ça ! Nous disposons de 190 obus par canon, le Zéro de 60 seulement. Gardez ces chiffres en tête, ils vont être obligés d'être économes de leurs munitions. Pas vous. De même souvenez-vous que le Zéro grimpe comme une fusée, presque aussi bien que vous, mais pique moins vite. Maintenant on va monter à 7 000 pour arriver au-dessus de tout le monde… Surtout gardez votre sang froid. Terminé."

Myko n'avait jamais entendu un aussi long message à la radio. Mais il n'avait jamais non plus connu de situation aussi grave ! Il n'eut pas à se poser de question sur son contenu car Pereira commençait à monter dans le 075° tandis que la Première, plus loin à droite, faisait de même. Le jeune homme se sentait concentré sur lui même et vigilant sur l'extérieur. Il prit véritablement conscience, pour la première fois, qu'il pouvait détacher son esprit des gestes qu'accomplissaient ses mains dans la cabine de pilotage et observer, comme en dehors de lui-même, à la fois son propre comportement, les appareils des autres membres de l'Escadron, comme s'il les voyait de l'espace, quelque part derrière et au dessus… comme si son esprit avait quitté son corps et observait de quelque part, plus haut. Il se sentit étonnement sûr de lui, ce qui n'était pas son genre, lui qui doutait souvent, se posait toujours de multiples questions. Bien qu'il ne l'ait jamais vécu autrement qu'en imagination, depuis quelques jours, il savait ce qui l'attendait là-bas devant. Les chasseurs plongeant dans tous les sens, les gerbes de traceuses, les explosions d'appareils touchés.

- "Pelage par la droite, derrière moi, fit la voix de Violet, Viatique juste après. Allez !"

Le FW de Violet se retournait et plongeait prenant très vite de la vitesse. A ce moment seulement le cerveau de Myko lui restitua un tableau complet de l'espace. Plus bas quatre larges colonnes de grands avions volaient en formations serrées, leurs ailes certainement pas à plus de trente mètres les unes des autres. Les colonnes s'étalaient jusqu'à l'horizon, loin à l'est ! Il n'avait jamais vu autant d'avions dans le ciel. Et puis les nuées de chasseurs tout autour, certains se livrant combat, les autres semblant tisser une protection invisible autour des trimoteurs. Il semblait y avoir autant de Zéros que de FW et de Spits ! Comme piloté par un autre son piège était passé sur le dos et, derrière Masglish, son N°1, le nez vers le bas, descendait très vite sur la colonne la plus proche qui, elle, sembler se rapprocher de lui à une vitesse folle ! Il nota les quatre Zéros qui commençaient à grimper dans la direction de l'Escadron à l'attaque, les Ju52 dont les ailes, le long nez et le fuselage dessinaient des croix dans le ciel, sur le fond clair de la neige, au sol. Et puis il entendit…

Le même vacarme de jurons, de mises en garde, de cris de douleurs, de hurlements. Mais, cette fois, il ne ressentit rien. Il était une sorte de témoin intouchable, impartial. Ses yeux surveillaient, en même temps, l'avion de Masglish, pour ne pas le perdre, les deux Ju52 qui étaient des cibles potentielles, juste dans leur trajectoire, enregistraient les gerbes de balles que les mitrailleurs chinois tiraient, depuis la tourelle dorsale des Ju52. Son cerveau calculait le meilleur moyen de transpercer la colonne et lui disait qu'ils ne pourraient pas viser sérieusement dans ces conditions là. Au canon, oui, mais pas avec les fusées. Il fallait les garder pour une meilleure occasion. Dans un tir vertical, comme ça, il ne pouvait que compter sur la chance pour toucher. Son pouce dégagea la sécurité des canons. Un moteur latéral plutôt que le central, songea-t-il sans aucune raison en se décalant légèrement pour ajuster le deuxième Ju qui se présentait sous un meilleur angle. Il lâcha deux très courtes rafales, apercevant les traceuses de sa mitrailleuse témoin, balisant la trajectoire de ses obus, passer devant la cible. Masglish avait l'air d'insister sur le premier, tirant une interminable rafale. Pourtant ils descendaient presque à la vertical, comment espérait-il passer…

Dieu !

L'avion de son N°1 venait de percuter l'empennage du Ju52… Myko ne sut jamais comment lui avait réussi à traverser la colonne aux avions aussi serrés ! Le hasard, forcément… Quand il reprit son contrôle son Focke Wulf était toujours en piqué. Ses instruments indiquaient qu'il frôlait les 800 km/h et venait de passer 2000 mètres d'altitude. A droite il voyait un Spit et un FW descendre en flamme. De la main gauche il réduisit les gaz en ramenant la manette en arrière et commença à tirer sur le manche. Doucement d'abord, puis fermement, pendant qu'il le pouvait encore, le sol était si proche…

La commande était dure comme s'il tentait de soulever une voiture avec un cric au manche trop petit. Il savait ce qui allait se produire… Dès la ressource vers le ciel entamée, sa main gauche écrasa la manette de gaz juste avant qu'il ne se sente s'enfoncer dans son propre corps, sous l'accumulation de G, ses épaules pesant une tonne chacune, sa mâchoire inférieure tombant sans qu'il ne puisse l'empêcher, ouvrant grand sa bouche, à peine retenue par le masque à oxygène. Est-ce que le voile noir allait venir aussi ?… Sa vue était perturbée…

Non ! La lumière. Le soleil, l'est… Il ne se rendait pas compte que son cerveau semblait lui parler à voix haute, dans sa tête ! Il remontait en chandelle vers le ciel, comme une de ces balles traçantes. Le voile noir n'était pas vraiment tombé devant ses yeux. Son corps ne pesait plus, maintenant, que son vrai poids. C'était fini… Son cerveau était irrigué normalement, capable de réfléchir. Immédiatement il s'en voulut. Il avait manœuvré comme un imbécile. Il aurait dû stopper ce piqué ridicule bien plus tôt. Il avait ensuite bêtement perdu sa vitesse à remonter au niveau des cibles. Il songea fugitivement à Masglish, se dit que ce n'était pas le moment. Un coup d'oeil devant, là-haut. Chercher un autre N°1. Oui, mais où, dans cette folie qui entourait les quatre colonnes ? Des avions se croisaient à des vitesses dingues. Il n'avait aucune chance de s'accrocher à la queue d'un piège ami. Lui remontait, assez vite bien sûr, 425 km/h au Badin, mais ce n'était rien à côté de ce que devaient afficher les FW qu'il voyait traverser en piqué les rangs des JU. Il comprit que ce n'était pas en montée qu'il pourrait se glisser derrière un leader, mais en descendant. Pour ça il fallait se trouver au-dessus des cibles. Autant tirer, au passage.

Il sélectionna les fusées sur le coup par coup et poussa sur son manche pour adoucir son angle de montée, revenant à l'horizontal, sentant ses fesses quitter un instant le contact du siège sous la force centrifuge qui l'expédiait vers le haut. Il fit un 180° par la gauche, sur la tranche, et se retrouva sous une colonne, dans le sens de sa progression, vers l'ouest, vers Kiev, pour que sa vitesse relative soit plus faible, par rapport aux avions ennemis et qu'il ait le temps de soigner sa visée. Il vint tangenter la trajectoire des Ju52… Attention : surtout rester dessous. Parce qu'au-dessus des colonnes, à voler comme ça il serait tiré par des dizaines de mitrailleurs installés dans leurs tourelles sur le dos des appareils. Et puis, sous la colonne, collé à elle, les Zéros ne le voyaient pas…

Voilà, là il était bien… Il remontait la file, juste en dessous des appareils ennemis. Devant, un Ju grossissait à travers le pare-brise. Dieu qu'il avançait lentement, ce piège ! Il allait tirer une seule fusée… Il fallait faire son apprentissage de ces trucs là. Piotr disait que c'était sacrément efficace… Son pouce s'immobilisa au moment où il allait presser le bouton de tir, sur le manche… Non, plus près… plus près encore…. Il réduisit autant qu'il le pouvait sa propre vitesse sans résultats spectaculaire, ça allait encore trop vite à son gré, il lui aurait fallu des aéro-freins, ou alors descendre ses roues pour freiner un bon coup, mais il allait trop vite pour cela, elles seraient arrachées…

Ces Ju52 étaient des avions de transport, lents. Ils ne devaient pas dépasser les 250 km/h en ce moment. Le ventre des appareils chinois était à une trentaine de mètres au-dessus de sa tête, un peu à gauche. Il ajusta une cible qui se trouvait à 50 ou 60 mètres, seulement, en bougeant légèrement les pieds sur le palonnier, successivement à droite, puis à gauche et encore légèrement à droite, il amena la croix du collimateur à l'intersection du fuselage et des ailes du trimoteur chinois et pressa la mise à feu en se disant qu'il aurait peut être le temps de faire une correction de tir quand il aurait vu de quel côté sa fusée allait passer. Une longue flamme sembla naître de son aile gauche et filer droit devant. Elle percuta directement le fuselage qui commença à se casser au niveau du ventre ! Il passait dessous quand la partie avant bascula vers le sol, juste là au-dessus de sa tête relevée ! D'instinct il balança le manche sur la droite pour se mettre à l'abri. Dans son rétro de combat Myko aperçut les deux moitiés qui tombaient lentement. Et des tôles qui chutaient. Dieu, ça marchait !

Il avait crié, dans la cabine, et cela le dégrisa sur l'instant ! Froidement il revint sous la colonne et se remit en position, visa une autre cible et tira un peu plus tôt, à 100 mètres du but, pour avoir le temps d'éviter les débris. Cette fois la fusée frappa à l'emplanture de l'aile droite qui cassa net. D'un coup de manche il s'écarta et aperçut, sur la droite, assez loin, une aile de FW virevoltant dans l'espace, sa cocarde apparaissant à chaque tour. Quand il revint se placer sous la colonne il réalisa que son cerveau avait déjà enregistré beaucoup de scènes comme celle ci. Les pertes étaient dures. Il chassa tout ça de son conscient, il ne pouvait rien pour ces pauvres gars. Il fallait profiter de ce qu'aucun Zéro ne l'avait repéré, si près des Ju.

La troisième fusée frappa à nouveau une emplanture pour le même résultat et il se dit que c'était ça la bonne solution pour assurer son coup : l'emplanture, à 100 mètres maximum, moins si c'était possible en assurant sa sécurité-collision. A cette distance l'explosion était si forte que la structure du transport ne tenait pas. Pour sa dernière fusée il choisit soigneusement sa cible. L'avion de tête d'un groupe, un leader peut être ?

Il avait du être moins attentif dans sa visée parce que la fusée toucha le fuselage arrière. Des débris volèrent au-dessus et rien ne se produisit. Il coupait carrément les gaz pour faire tomber sa vitesse et rester en position, derrière le Ju, pour le finir au canon quand, presque au ralenti, l'empennage se sépara du fuselage et le grand avion partit lentement en vrille sur sa gauche ! Quatre fusées au but, quatre victoires… Le chiffre tournait dans son crâne, mais son cerveau ne lui donnait pas vraiment de signification. Il pensait surtout qu'il n'avait plus de fusées et qu'il y avait tant de cibles !

Il lui restait encore ses canons mais il savait que ce serait beaucoup plus difficile. Il devait réfléchir, laisser un peu de temps à son cerveau pour trouver la meilleure attaque. Il regarda à droite et à gauche. Sur la gauche, du côté des trois autres colonnes de Ju il apercevait deux transports, des moteurs en flamme, qui descendaient vers le sol en lâchant leurs parachutistes. Kiev se trouvait devant, ils ne tomberaient pas sur la ville mais ces soldats d'élite poseraient beaucoup de problèmes s'ils réussissaient à se regrouper. Il fallait trouver le moyen de disloquer la formation. Séparément les Ju seraient des proies faciles pour les chasseurs. Les Zéros ne pourraient pas les protéger tous. Mais pour faire éclater les groupes il n'y avait rien d'autre que les fusées… Attaquer du dessus peut être, en venant tangenter les colonnes afin de tirer rapidement sur deux Ju, malgré les mitrailleurs ? En voyant des coups au but, devant eux, les pilotes des autres appareils auraient peut être le réflexe de s'écarter. Cela suffirait-il pour rompre la formation de ces pilotes Chinois si disciplinés ?

Mais en passant au-dessus un chasseur serait également visible des Zéros qui plongeraient vers lui. Il n'aurait pas le temps d'ajuster un transport… Ou alors il faudrait appliquer l'attaque qu'il venait de faire, par dessous, en tirant deux transports ? Dans tous les cas de figures il lui fallait de nouvelles fusées. Et puis il remarqua un changement dans la colonne. Elle commençait à descendre ! Les transports devaient avoir une altitude de largage largement inférieure à 2 000 mètres, les appareils de tête commençaient à se préparer à l'opération : le largage massif des parachutistes !

Il se décida brusquement et accéléra à fond pour tirer au canon les appareils qu'il dépassait et plonger ensuite avec assez de vitesse pour échapper aux Zéros et filer se faire réarmer à Filevo, un petit terrain qu'il avait repéré et entouré d'un rond rouge, sur sa carte, au sud de la ville, quand il attendait, avant le décollage. Il s'aligna et sélectionna un objectif loin devant. Il visa le moteur droit et commença à tirer une très courte rafale, à trois cents mètres. Rien. Les Ju défilaient de plus en plus rapidement au fur et à mesure que sa vitesse propre augmentait. Il n'allait pas tarder à rejoindre la tête de la colonne et il écrasa longuement le bouton, au sommet de son manche. Ses canons secouèrent le FW 190 qui gardait parfaitement son cap.

C'était une qualité de la machine, le rapport poids-surface des ailes, la charge alaire. C'était une plate-forme de tir très stable. L'avion était insensible aux turbulences moyennes. Cette fois, en vol horizontal, sans se hâter, sa visée, au collimateur, sans correction, fut parfaite, il vit ses obus percuter l'aile, derrière le moteur. Et celui-ci dut encaisser parce qu'il se mit à fumer. Au même instant Myko songea que dans ce curieux fuselage en tôles ondulées se tenaient une vingtaine de parachutistes qui s'apprêtaient à attaquer Kiev. D'une légère pression du pied sur le palonnier il fit déraper le nez de son chasseur vers la gauche et le croisillon du collimateur vint se placer dans l'axe du fuselage. Cette fois il tira une plus longue rafale et, sans état d'âme, il vit ses obus perforer le métal, la tôle ondulée…

Quand il quitta l'abri de la colonne, débouchant en plein ciel, après avoir rattrapé la tête de colonne, il crut tomber dans un nid de guêpes en furies. Il y avait des avions partout. Et beaucoup tombaient… Beaucoup traînaient des sillages de fumée. Levant la tête brusquement il vit qu'au-dessus des Ju des combats furieux se déroulaient. Il aperçut même un Zéro tenter de percuter un Spit qui perdit des débris et plongea vers le sol. Mykola, fasciné, le regarda une seconde de trop. L'erreur.

Le capot de son propre avion, là, à un mètre de ses yeux, fut parcouru d'une sorte de frisson pendant qu'une série de petits trous apparaissaient ! Simultanément il enclencha la surpuissance de son moteur, l'injection de MW5 eau/méthanol, et balança le manche à gauche, bottant du même côté dans le palonnier, alors que son appareil accélérait comme un fou. Le FW partit dans un tonneau brutal qu'il arrêta très vite, pour tirer sèchement sur le manche et il commença à avaler le ciel !

Le bruit de son moteur, en surrégime, lui parut effrayant et il se demanda si la mécanique était capable de résister à cet effort, si elle n'avait pas été endommagée par la rafale ? Au début de sa ressource il eut le temps de voir deux Zéros qui le dépassaient. Toujours en montée, il passait déjà sur le dos et tirait à nouveau sur le manche. Dans cette position, et en surpuissance, sa machine piqua vers le sol à une allure démente. Il stoppa immédiatement l'injection. Le manche était d'une efficacité stupéfiante, il le savait, mais cet angle de piqué était ahurissant. Les Zéros n'avaient certainement pas eu le temps de voir qu'il essayait de les suivre. Ses yeux tentèrent de regarder les trous sur son capot. Une rafale d'une seule mitrailleuse, certainement, parce qu'une gerbe l'aurait envoyé au tapis à coup sûr !


 

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