Début des années 70. Un asile de Sicile, tout fait de vieilles pierres, à l'instar des méthodes rétrogrades qui règnent en son sein. Li Puma (Adolfo Lastretti), un bandit psychotique, est étonnamment libéré des lieux. Celui-ci, dès sa sortie, se dirige tout droit chez Fernando Lomunno (Luciano Catenacci), promoteur sans scrupules, ayant bâti sa fortune à coups d'escroqueries et d'assassinats. Son but ? L'abattre.
A peine arrivé sur place il est attendu par les hommes de Lomunno, ce dernier ayant été prévenu. Un règlement de comptes sauvage s'en suit. Li Puma, vite criblé de balles, a le temps d'abattre les hommes de mains avant de s'enfuir mitraillette à la main, pour mourir non loin...
Le commissaire Bonavia (Martin Balsam) est dépêché sur les lieux. Le fait est que la situation ne l'arrange guère. Cela fait déjà trois fois en effet qu'il a arrêté l'architecte corrompu. Et chaque fois, il fut relâché faute de preuves suffisantes. A n'en pas douter, le ver est dans la pomme, et c'est grâce aux complicités de Lomunno au sein de la Mafia et du monde politique que celui-ci a pu s'en sortir. Faire témoigner la sœur de Li Puma (Marilù Tolo), un temps, maîtresse de Lomunno, relève de l'impossible. Contrainte de se cacher sans cesse, il s'avère difficile de l'amener devant les barreaux sans qu'elle se fasse tuer au préalable.
Il n'y a plus qu'une seule alternative pour Bonavia. Celle d'une justice expéditive. Si la justice ne peut plus être appliquée, il ne reste plus qu'à éliminer purement et simplement tout ce beau monde corrompu. Le commissaire, qui plus est, a un vieux compte personnel à régler avec l'homme d'affaire en charge de la ville. Cela pourrait même bien, tout compte fait, se retourner contre lui.
Le juge Trainy (Franco Nero), mis sur l'affaire par le procureur de la république (Claudio Gora), se retrouve lui aussi à enquêter. Si les rapports avec Bonavia s'annoncent d'entrée sous de bons auspices, les deux hommes courant après le même but, ils se détériorent rapidement. Trainy est un homme jeune, ambitieux, mais surtout très idéaliste. "La loi est loi !" semble être sa maxime préférée.
Très vite, il soupçonne Bonavia d'avoir fait sortir l'incontrôlable Li Puma afin de régler ses comptes avec l'architecte, par procuration. Un long duel s'en suit entre les deux garants de la justice. Pendant ce temps, la corruption continue de diviser pour asseoir son règne...
On connaît bien Damiano Damiani pour son fondateur El Chuncho, premier western marxiste, ainsi que pour son engagement à gauche toute. Dès 1968, il suit finalement les traces d'un Francesco Rosi qui a déjà livré quelques œuvres sur le même thème ("Salvatore Giuliano", "Main basse sur la ville"), avant de poursuivre dans cette même voie ("Les hommes contre", "L'Affaire Mattei", "Lucky Luciano" ou encore le superbe "Cadavres exquis"). Damiani s'engage donc lui aussi dans une série de films disséquant le pouvoir mafieux, à travers une belle poignée de polars ou thrillers. "La Mafia fait sa loi", en 1968, fut son premier. Suivront celui qui nous concerne, et pour exemples, "Perché si uccide un magistrato" en 1974, et "Un juge en danger" en 1977, dans lesquels les mêmes thèmes seront développés ainsi que le même fatalisme rageur qui va de pair. De cette série, Confession d'un commissaire de police au procureur de la république reste à mon avis son meilleur. Il convient de préciser qu'on semble tenir là le premier film sans espoir aucun sur l'ascension mafieuse. Impasse et désespoir que l'on retrouvera d'ailleurs dans les deux autres films cités, dotés d'une fin laissant peu de place à l'éradication d'un système bien trop puissant pour être démantelé.
Confession... est- il, à proprement parler, un film anti-mafia ? Et bien pas vraiment, ou en tout cas pas seulement. Le réduire à cette simple charge ne serait vraiment pas lui rendre hommage. On se retrouverait finalement, à grossièrement parler, dans le cas d'un cinéaste qui enculerait les mouches, tandis que Damiani livre ici un film bien plus riche en questionnements et thématiques, tout en surfant brillamment sur divers genres.
Soit, tout cela est très bavard, mais doté d'une tension qui ne se dément jamais. Ce ne sera pas forcément toujours le cas pour ses films suivants.
Difficile, voire impossible de faire appliquer la loi. Tout va dans ce sens au sein de cette excellence, en plus de retranscrire parfaitement la paranoïa d'une époque où l'Italie ne croyait plus en rien. Ni à ses hautes instances, ni même à son gouvernement, ne sachant plus à qui attribuer tel ou tel attentat (certains d'extrême droite étant alors attribués à l'extrême gauche et vice-versa, avec derrière un gouvernement qu'on sent mêlé), telle ou telle malversation. Le réseau est en place, et ici on parlera toujours "d'amis" mais jamais de "famille", au contraire des fresques édulcorées d'un Coppola.
Les personnages du juge campé par Nero et celui du flic campé par Balsam servent finalement le même propos. Et ce à quoi on assiste, c'est un duel sans fin entre un juge ultra-légaliste, qui croit encore que la justice, telle qu'elle est faite, peut éradiquer la vermine ; tandis que de l'autre, Bonavia a perdu toute illusion depuis bien longtemps. Poursuivant néanmoins un but commun, jamais ils ne parviendront à s'entendre. Ils sont emblématiques de deux visions opposées de la justice. Sauf que l'un est encore dans la théorie, l'autre est depuis longtemps dans la pratique.
De fait, les hautes instances concernées (ou contaminées), garantes de la justice ou de la politique, autant que la mafia elle-même, se servent de cela, n'en demandant même pas tant afin de diviser pour mieux régner. En fin de compte, l'affrontement entre les deux hommes persiste, le duo perdant son temps à se méfier l'un l'autre au lieu de s'unir. Le juge Trainy, substitut au procureur, fait mettre le flic sur écoutes afin de vérifier qu'il n'outrepasse pas ses droits, en plus de le soupçonner d'avoir fait sortir un homme de l'asile afin qu'il élimine Lomunno. De l'autre, Bonavia le flic désabusé, le fiche sur écoutes afin de voir s'il n'est pas lui-même corrompu, en plus de vouloir lui prouver qu'il peut lui-même être surveillé, donc devancé dans ses investigations.
Bref, tout ceci n'est pas fortuit, et est là pour souligner cette atmosphère régnante, dans laquelle tout semble possible. Non, le ver est dans la pomme à n'en pas douter.
A ce titre, on trouvera plusieurs scènes dans Confession..., où l'un des protagonistes, censé être seul au courant, et se rendant pour rencontrer un témoin dans la plus grande discrétion, se verra devancé par la police elle-même. Ça fait froid dans le dos ! D'autant que le savoir-faire du réalisateur éclate alors à plein régime dans l'exploitation de son décor urbain. Je pense plus particulièrement à la planque qu'a pu trouver l'ex-maîtresse de l'architecte, campée tout en suées et frayeurs par l'excellente Marilù Tolo, qui a l'unique mais sérieux handicap de trop en savoir.
Pour poursuivre, si le film est d'un sérieux imperturbable (rien à voir avec la fable grotesque et satirique de Petri, qu'on aurait envie de rapprocher vu leur titre à rallonge respectif), il y a derrière ce sérieux, une ironie cinglante sinon glaçante. La ville est bâtie sur des cadavres, aussi bien au sens figuré que littéral, et tous les moyens sont bons pour faire ici disparaître les dits cadavres, qui pourront bien finir coulés dans les mêmes blocs de bétons qui serviront à la construire. C'est autant mordant que traumatisant.
Il ne faut pas manquer de dire combien les interprètes y sont formidables. Tandis que Franco Nero, en jeune chien rigide et obstiné, dégage une puissance peu commune, autant dans son ambition de vaincre la corruption que de faire appliquer la loi à la lettre, Martin Balsam, dans un rôle beaucoup plus ambigu, fait des étincelles. Sa bonhomie et son air tranquille cachent plusieurs choses : une soif de vengeance personnelle (l'un des ses amis d'enfance, meneur d'un syndicat d'extrême gauche (le PCI ?) au sein du village en construction, fut tué par Lomunno pour avoir tenté de mener à bien une grève), une simple soif de justice globale, sinon un ras le bol de voir cette même justice constamment bafouée autant de l'extérieur que de l'intérieur ; puis une désillusion totale et définitive quant à son rôle de flic, empêché de toute part d'exercer son rôle, réduit à celui de pantin. Ne reste alors qu'une solution, celle suicidaire, qu'il prône lui-même auprès de Trainy, à savoir éliminer les corrompus pour nettoyer la corruption. Bref, les tuer purement et simplement. Puisque le système est autant défaillant, contaminé qu'inefficace, il ne reste plus que cette alternative.
Et à Damiani d'épouser ce point de vue, ce qui accouche d'un drame d'investigation teinté de Poliziesco, pas loin de se faire partisan d'une auto-justice.
C'est là toute l'ambiguïté et l'une des grandes qualités de ce film, qui ressemble à un coup de poing sur la table, rageur mais désespéré. Le sacrifice ne servirait finalement qu'à un passage de relais, pour une nouvelle prise de conscience.
Quant au plan final dans lequel Franco Nero semble trôner en haut des marches du palais, attendant le procureur, il est grandissime. Un échange de regard d'une puissance quasi jamais égalée au cinéma et qui vaut toutes les fusillades en bonnes et dues formes. Il démontre toute l'ampleur du désenchantement de Damiani. On en vient à se dire : "Et après ça, que se passera t-il ?". Sans doute rien ou si peu de choses...
Mallox