Meyer, Russ
Écrit par Mallox   

 

Retour sur Russ Meyer...

 

C'est après avoir été opérateur d'actualités cinématographiques durant la seconde guerre mondiale, puis photographe pour le magazine Playboy que Russ Meyer est devenu à force de ténacité et de manière naturelle, le roi du nu.


 

L'un des tous premiers films estampillés porno ayant les faveurs d'une large distribution et qui sera vu par un public "comme il faut" fut L'immoral M. Teas (The Immoral Mr. Teas). En quelque sorte précurseur d'un Gorge profonde (Deep Throat, 1972), il a au minimum comme point commun d'avoir marqué une date : en effet, L'Immoral M. Teas est le premier film ouvertement pornographique qui ait su attirer l'attention de la critique dite sérieuse. Il est bien entendu évident que dans ce contexte, le terme ou label de "pornographique" mérite d'être défini plus précisément. On rappellera qu'au tout début des années 60, nombreux étaient les films très osés, parmi lesquels même des films exclusivement réservés à un public bien entendu adulte mais aussi essentiellement masculin, qui étaient montrés dans des salles de cinéma légèrement malfamées. Toutefois, même dans ces films, on ne montrait pas grand chose. Certes, on y voyait bien des femmes entièrement nues, mais toujours dans des poses discrètes. Point d'hommes nus par contre ! Et encore moins d'allusions, même légères à une excitation réelle. Ne parlons pas de rapports sexuels, même péniblement dissimulés, absents eux aussi.

 

 

 

- L'immoral M. Meyer :



On peut affirmer que L'immoral M. Teas faisait déjà partie d'un domaine plus retors. Son personnage principal (parfois comparé à M. Hulot et pourtant assez lointain) était un livreur de dentiers à bicyclette ! Celui-ci possédait un don assez singulier : celui de déshabiller - mentalement - toutes les jolies pépées croisées sur son chemin. Il entama donc une fructueuse carrière avec ce sujet initial. Mais... deux années à peine après le début de son exploitation, il y eut tant de bouts de pellicule prélevés par des projectionnistes souhaitant garder quelques souvenirs et images salaces, qu'il ne restait quasiment aucun photogramme des visions lubriques de Monsieur Teas ! Ce qui n'empêchait paradoxalement pas les salles d'être combles, le succès du film reposant exclusivement sur sa réputation...
Bientôt l'on s'aperçut également que si à l'évidence, le réalisateur du film avait des idées qui n'appartenaient qu'à lui sur l'érotisme au cinéma, il n'était pas pour autant dépourvu de connaissances pratiques sur l'industrie cinématographique.
C'est par la rumeur publique que l'on apprit que Russ Meyer, alors âgé de 37 ans, avait été opérateur d'actualités pendant la guerre et avait réalisé une flopée de films industriels tout en se faisant un nom comme photographe de pin-up, plus particulièrement pour le magazine Playboy. L'immoral M. Teas fut financé en grande partie par le directeur d'un théâtre de San Francisco pour la somme modique de 24 000$. Il fut également improvisé en quatre jours et Russ Meyer eut la chance de rencontrer là un mécène ou bailleur de fonds (c'est selon) qui partageait ses opinions sur la possible existence d'un créneau pour la production américaine de films déshabillés qu'on importait jusque là d'Europe avec succès.
L'apport principal de Meyer fut alors de donner un fil conducteur aux scènes de nu au lieu de continuer dans la voie pratiquée jusque là, qui consistait à faire passer son film pour un documentaire naturiste. Il est clair à ce jour que cette présence d'une histoire, aussi mince fût-elle, agrémentée d'un soupçon d'humour et d'une pincée de psychologie, contribua également de manière non négligeable au succès commercial du film.

 

 

Russ Meyer avait donc découvert le bon filon, qu'il sut par la suite amplement exploiter. Tout cela pourrait à ce jour sembler bien innocent et les intrigues demeuraient somme toute très naïves. Parmi ses films suivants, Europe in the Raw (1963) et Mondo Topless (1966) copiaient les modèles européens en faisant des incursions purement documentaires dans l'univers des clubs de strip-tease et de la prostitution. Mais la plupart du temps, les films de Russ Meyer jouaient sur le même registre que L'immoral M. Teas. Les héros étaient le plus souvent des personnes timides avec un fort penchant pour le voyeurisme. Nul doute que cette idée pourtant toute simple contribua au succès de ses films. Ainsi les héros mis en scène par Meyer se faisaient le reflet des spectateurs, lesquels s'identifiaient aisément aux personnages. Finalement, cette solution stylistique qui fit les choux gras de son auteur, était en partie dictée par la censure américaine de l'époque. Il fallut attendre encore longtemps avant d'en arriver à des oeuvres ouvertement licencieuses. Il convient de ne pas tout mettre sur le dos de la censure et de ne pas oublier que cela correspondait aussi aux goûts personnels de son auteur (on peut en dire autant de son intérêt pour les seins au-delà du généreux !), qui estimait que trop de corps nus et d'entrelacs explicites nuisaient au final à l'érotisme lui-même : selon Russ Meyer, un champ vierge devait subsister afin que le spectateur y développe ses propres fantasmes.

 

 

 

 

- Les montagne russes de Meyer :



En 1962, sortit un autre film de Russ Meyer, lequel n'eut pas de succès : The Immoral West - and How it Was Lost (ou "Wild Gals of the Naked West"). C'était pourtant son film le plus ambitieux, de cette première période tout du moins. La raison de cet échec fut souvent imputée à la présence d'un humour trop marqué. La dose comique était sans doute plus forte que celle que le public d'alors pouvait admettre. Russ Meyer a souvent attiré l'attention sur l'étrange silence régnant lors des projections de films érotiques ou pornographiques, comme si chaque spectateur était enfermé dans son rêve solitaire. Finalement, le rire et l'érotisme n'ont jamais fait bon ménage.

 

 

C'est avec Lorna en 1964, que Russ Meyer retrouva la formule d'un succès commercial qui ne se démentit plus jusqu'à la fin des années 60. Il s'agissait alors par exemple d'insérer des scènes de sexe dans des intrigues ultra mélodramatiques, elles-mêmes saupoudrées de scènes de violence des plus pittoresques, avec notamment un bain de sang final censé s'interpréter comme un pêché châtié. En effet, à rebours, en regardant bien l'oeuvre du réalisateur, on s'aperçoit que s'il aimait à endosser le rôle de réalisateur commercial et cynique, c'était parfois pour mieux prendre à revers ses partisans les plus avertis en se parant d'un goût prononcé pour le propos moraliste.
Lorna coûta approximativement 60 000$ et fut la première et prudente tentative de Meyer pour sortir du cercle restreint du porno. A la différence des ses oeuvres précédentes, dont les couleurs et la qualité sonore étaient médiocres, Lorna, tout comme ses trois autres films suivants (La fille du ruisseau / Le désir dans les tripes (Mudhoney / Rope and Flesh), Motor Psycho et Faster, Pussy Cat, Kill! Kill!, tous sortis en 1965, furent tournés en noir et blanc avec des dialogues synchronisés aux images.

 

 

Les protagonistes de ces films, tout comme ceux qui suivirent, sont en grande majorité des femmes aux traits récurrents : sexuellement insatiables, agressives et déterminées à assouvir leurs désirs avec ou sans l'aide du mâle, le plus souvent passif ou impuissant voire les deux à la fois. Parfois, comme dans Lorna, dans les dernières scènes, ces mêmes femmes étaient punies en retour par un violeur dément ! Mais le plus souvent, elles se donnent du bon temps avec le gentil et complaisant étalon de service qui parvient, du moins provisoirement, à satisfaire toutes leurs exigences, image Ô combien détournée du bon ange gardien à laquelle le spectateur masculin était trop heureux de s'identifier.

 

 

Ce type d'intrigue permettait dans un même temps, de s'approprier un autre public potentiel : celui des femmes émancipées. Avec Vixen!, sorti en 1968, Meyer élargit à nouveau son public de manière considérable. Tourné en couleur avec des dialogues - certains le trouvent même trop bavard - le film fut enfin projeté dans les salles qui jusque-là avaient refusé d'admettre ce genre de films. Vixen! ne possède pratiquement pas d'intrigue mais rassemble sept personnages dans un coin perdu du Canada où patrouille la police (bien) montée en les faisant parler de politique et de racisme. L'une des ses particularités également est que l'un des personnages est un Noir déserteur et un autre, on ne sait trop pourquoi, un communiste écossais. Tous s'accouplent dans toutes les positions possibles et imaginables, à l'exception notable de l'homosexualité masculine, semble t-il un thème tabou pour Russ Meyer. Seule l'homosexualité féminine est évoquée : presque tous ses films montrent au moins une fois des rapports sexuels entre femmes. Film mystérieux à bien des égards, Vixen! se termine sans la moindre explication plausible, à bord d'un avion en partance pour La Havane, le tout accompagné d'un bavardage dénué de toute allusion sexuelle.

 

 

 

 

- Hollywood, Hollywood ! :



Etrangement, c'est peut-être la dernière séquence de Vixen! qui conféra au film une certaine respectabilité. Quoi qu'il en soit, son exploitation fut un succès. Dès lors, tous ses films eurent les faveurs d'une large distribution qui dépassa de loin le réseau de salles spécialisées. Hollywood, toujours à l'affût de nouveauté, se mit alors à faire des propositions au réalisateur. En fait, celui-ci avait déjà tourné un film "normal" (avec une certaine insistance sur le sexe toutefois, on ne se refait pas !) pour une maison de production relativement importante, la Pan World, et pour un producteur connu, Albert Zugsmith, qui avait travaillé précédemment avec Orson Welles et Douglas Sirk. Le film en question s'intitulait Fanny Hill : Memoirs of a Woman of Pleasure (1964) et avait été tourné en Allemagne. On pouvait même trouver à son générique Miriam Hopkins dans le rôle d'une maîtresse femme. Le résultat n'avait pas plu à Russ Meyer qui s'en était immédiatement retourné à son statut d'indépendant, privilégiant les productions peu coûteuses.

 

 

C'est donc en 1969 que la 20th Century Fox lui fit une proposition qu'il ne put refuser. Une proposition qui accoucha de deux productions à gros budget : La vallée des plaisirs / La vallée des débauches (Beyond the Valley of the Dolls, 1970) et The Seven Minutes (1970). Bien que le premier ait connu un certain succès auprès des amateurs du genre et ait même touché d'autres milieux, aucun de ces titres, aux yeux des connaisseurs, ne fait partie des réussites de Meyer.
Contraint de faire une sorte de film qui rappelait, au moins par le titre, le mélodrame de Mark Robson, La vallée des poupées (The Valley of the Dolls, 1967), Meyer mijota une histoire extravagante et en fin de compte à nouveau moraliste, centrée sur ses thèmes de prédilection. Le film sema pourtant la perplexité tant auprès de ceux qui découvraient le cinéaste que de ses fans.
The Seven Minutes, adapté d'un roman d'Irving Wallace abordant les thèmes de la pornographie et de la censure, n'avait pas le mérite de la bizarrerie et de fait, ce fut donc un fiasco retentissant.

 

 

Russ Meyer revint donc, avec soulagement, à ses habituelles chiches productions indépendantes. Il se tourna cette fois vers un autre "sous-genre" alors en vogue - le cinéma destiné au public noir - avec Le serpent noir (Blacksnake!, 1973) qui n'eut que peu de succès mais qui pourtant méritait un bien meilleur sort. Ensuite, avec Supervixens (1975) et Megavixens (Up! 1976), Meyer confirma sa réputation bien établie déjà de populaire pourvoyeur de sexe et de violence. Ses films, toujours empreints d'un zeste de prétention (dans Megavixens par exemple, les personnages ne cessent de citer Shakespeare et les auteurs tragiques grecs), d'outrances ultra-réactionnaires (souvent tellement caricaturales et proches de la bande-dessinée qu'il convient de regarder ces aspects comme une réaction à une vision sociale et politique forte : en témoigne de façon manifeste son Serpent noir), ainsi que d'un moralisme toujours inattendu, en font un auteur exubérant, original et inclassable.
Il signera hélas en 1979 son chant du cygne cinématographique : Ultra Vixens (Beneath the Valley of the Ultra-Vixens) qui ne retrouvera pas tout à fait le panache ni le degré d'absurdité propre à la bande-dessinée trash présent dans l'un des ses meilleurs films : Supervixens. Il eut juste le temps de tourner quelques scènes de The Great Rock'n'Roll Swindle en 1980 avant tirer sa révérence au sein de l'industrie cinématographique pour se tourner vers l'écriture, au sein de laquelle il n'aura finalement que très peu de reconnaissance. "A Clean Breast", son autobiographie éditée en 2000, ne fera pas le tour du monde, loin s'en faut et c'est en 1999 que le cinéaste refit le plus parler de lui, cette fois-ci dans la rubrique faits-divers, en portant plainte contre Debra Angela Masson, sa compagne d'alors, pour violence conjugale.
La suite, on la connait, comme tout un chacun, personne n'étant immortel, Meyer cassera sa pipe en 2004 à l'âge de 82 ans. Souhaitons lui, là où il repose à ce jour, qu'il soit en train de se faire fouetter, bien au chaud, tapi dans un généreux giron d'outre-tombe.

 

 

Filmographie :

1954 - The French Peep Show (court)
1956 - Géant (Giant - George Stevens / Quelques photogrammes seulement)
1957 - L'histoire de James Dean (The James Dean Story / Quelques photogrammes seulement)
1959 - L'Immoral Mr. Teas (The Immoral Mr. Teas)
1960 - Ève et son homme à tout faire (Eve and the Handyman)
1960 - The Naked Camera (court)
1961 - Erotica
1962 - The Immoral West and How It was Lost (Wild Gals of the Naked West)
1963 - Steam Heat (Mr. Tease and his Plaything)
1963 - Europe in the Raw
1963 - Heavenly Bodies! (Heavenly Assignment)
1963 - Skyscrapers and Brassieres (court)
1964 - Lorna, l'incarnation du désir (Lorna)
1964 - Fanny Hill (Fanny Hill: Memoirs of a Woman of Pleasure)
1965 - Le Désir dans les tripes (Mudhoney / Rope and Flesh / La fille du ruisseau)
1965 - Le gang sauvage (Les Enragés de la Moto / Motorpsycho)
1965 - Faster, Pussycat! Kill! Kill!
1966 - Mondo Topless
1967 - L'Ile des Désirs (Common Law Cabin)
1967 - Bonjour les Filles (Good Morning...and Goodbye! / aka Bonjour et au revoir)
1967 - How Much Loving Does a Normal Couple Need? (Common Law Cabin / Conjugal Cabin)
1968 - A corps perdus (Finders Keepers, Lovers weepers!)
1968 - Vixen
1969 - Cherry, Harry & Raquel (Three Ways to Love)
1970 - La Vallée des Plaisirs / Orgissimo (La vallée des débauches / Beyond the Valley of the Dolls / Hollywood Vixens)
1971 - The Seven Minutes
1972 - Serpent noir (Blacksnake! / Black Snake / Sweet Suzy)
1975 - SuperVixens
1976 - MegaVixens (Up!)
1978 - Who Killed Bambi? (Projet avec les Sex Pistols non terminé pour des raisons restées obscures)
1979 - UltraVixens (Beneath the Valley of the Ultravixens)
1980 - The Great Rock'n'Roll Swindle (Quelques scènes seulement)

 

Mallox (le 15 novembre 2011)

Sources : biographie site officiel, Larousse, wikipedia, imdb, renseignements glanés au fil du temps...