Joe, c'est aussi l'Amérique
Titre original: Joe
Genre: Thriller , Drame , Vigilante
Année: 1970
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: John G. Avildsen
Casting:
Peter Boyle, Dennis Patrick, Patrick McDermott, Susan Sarandon, Audrey Caire, Marlene Warfield, Tim Lewis...
 

Melissa Compton (Susan Sarandon) fraye avec Franck Russo (Patrick McDermott), un jeune dealer qui lui a promis de bientôt arrêter. Non seulement de se droguer lui-même et elle avec, mais également d'en faire commerce. Ceci une fois le pécule suffisamment important pour ouvrir un petit commerce puis se la couler douce. Le problème, c'est que tant que Franck se drogue, il est en proie à des crises de violence. Un soir, il dérouille Melissa, laquelle se drogue ensuite jusqu'à l'overdose. Ses parents viennent la chercher afin qu'elle réintègre le foyer familial.
Les parents, appartenant à la classe dirigeante et aisée, sont stupéfaits de découvrir leur fille dans un tel état et Bill Compton (Dennis Patrick), le père de Melissa, compte bien dire deux mots au jeune homme. C'était sans compter sur la verdeur de langage de ce dernier qui, non seulement ne semble rien regretter, mais qui plus est se vante d'avoir "baisé sa garce" de fille. Le sang de Bill ne fait qu'un tour, avant qu’il s'acharne sur le jeune homme puis le tue accidentellement.

 

 

Afin de noyer sa culpabilité et sa peur de se faire prendre en tant que meurtrier, il se réfugie dans un bar. Quelques verres en attendant de trouver à la fois une solution mais aussi un alibi. Il lui paraît bientôt clair qu'il lui faudra compter sur l'appui de sa femme Joan (Audrey Caire) pour ce dernier point. C'est à ce moment là qu'il fait la connaissance de Joe Curran (Peter Boyle), accoudé au comptoir ; un homme étrange, à demi-ivre, issu manifestement de la petite classe ouvrière, lequel pérore sur une jeunesse faite de drogués et de nègres à foison. Un bon coup de pied dans cette fourmilière où les négros se bronzent au soleil en vendant leur came tandis que lui passe plus de quarante heures hebdomadaires devant des machines.
Non, y’a pas à tortiller, selon lui, l'idéal serait de sortir dans la rue et de bousiller cette vermine et ces parasites. Bon gré, mal gré, Bill écoute avant d'être sollicité par Joe. "Franchement, vous seriez capable vous, de tuer une pédale de camé pour nettoyer cette Amérique gangrénée ?" demande Joe à Bill, lequel se surprend à répondre que c'est ce qu'il vient de faire une heure avant. Prenant alors conscience que Joe le prend au sérieux, et du risque stupide qu'il vient de commettre, Bill se rétracte. Sauf que Joe apprécie que cet inconnu ait réussi à le faire marcher et, de ce fait, se prend d'amitié pour lui. Petit problème un peu plus tard : aux informations, la mort de Russo dans le village est annoncée. Pile-poil ce qu'avait affirmé Bill à Joe, soi-disant en plaisantant.
Joe cherche alors à retrouver Bill, ce qu'il ne tarde pas à faire. Au lieu de le faire chanter, il le rassure sur ses intentions puis le congratule chaleureusement. Son ami a les couilles d'expurger l'Amérique de ces "salopes qui lui chient constamment dessus". S'ensuit une amitié sociale contre-nature dans laquelle les deux hommes s'inviteront réciproquement l'un chez l'autre, avant de faire la descente des bars et des lieux malfamés. Lors d'une de leurs orgies avec de jeunes hippies, ils se font voler leurs portefeuilles. Autant dire que les deux hommes, Joe en premier, n'entendront pas se faire mettre de cette façon. Joe rentre chez lui, file l'un de ses fusils de collection à Bill, et direction le squat où sont censés vivre ces drogués pourris, doublés de pickpockets...

 

 

Joe est l'un des premiers films de John G. Avildsen, cinéaste surtout connu pour avoir tourné un peu plus tard Rocky (1976), puis Karaté Kid et ses suites (1984, 1986 et 1989). Difficile, à le regarder, de reconnaître le message d'espoir vis à vis du rêve américain présent dans les deux hits cités, sans compter les piteuses commandes musclées de fin de carrière. Pour comprendre un peu le parcours du cinéaste, il convient de noter que ce dernier était déjà l'auteur d'un drame sur les méfaits de la drogue dans le même Greenwich Village que Joe ("Turn on to Love", 1969) et qu'il venait tout juste de finir "Guess What We Learned in School Today ?", une comédie ironique sur la liberté des mœurs et l'émancipation sexuelle. "Joe", quant à lui, n'épargne rien ni personne. Ni le communautarisme crétin de jeunes Américains se croyant libres dans une fuite en avant, bâtissant peu à peu les murs de leur propre prison, ni celui de l'autre côté de la barrière : les réactionnaires remplis de préjugés et ivres de "toilettes", en ces temps embrumés de guerre du Vietnam. Vient se greffer là-dessus une parabole non dénuée d'humour sur les différentes motivations des classes sociales. D'un côté, l'homme d'affaires aisé tue par accès de rage et non froidement, par conviction. De l'autre, l'ouvrier réac voit en lui à la fois l'instrument pour bâtir son propre rêve américain (lequel se limite à liquider toute la vermine) tout en l'incitant, petit à petit et sournoisement, à aller plus loin dans une justice sociale expéditive mais garante d'une société saine. Du fait du souci des apparences d'une classe sociale aisée, la classe ouvrière trouve ainsi une brèche pour qu'on l'aide à se faire une petite place au soleil ; et pour cela, elle obligera même la classe dirigeante à parvenir à ses fins (ou plutôt ses rêves en pensant annihiler ses cauchemars).

 

 

Peinture sociale acerbe et quasi-crépusculaire dans laquelle un ouvrier part en guerre contre "les feignasses hippies et les nègres parasites", Joe est également un drame cru, violent et fort, doté d'un scénario extrêmement astucieux et dont l'issue, dès l'entrée en scène du personnage-titre, semble autant fatale qu'illusoire et imbécile. Anticipant à sa manière tout un pan d'exploitation du trauma vietnamien refoulé à-même la cité américaine, et préfigurant les scripts sociaux-urbains d'un Paul Schrader ("Taxi Driver", Blue Collar, HardCore...), John G. Avildsen fait résonner ici l'écho des contradictions de toute une époque, dans laquelle les intérêts des uns rejoignent ceux des autres, ce pour des raisons opposées. Finalement, Joe sollicitera l'aide de la personne qu'il devrait logiquement considérer comme son ennemi et même la cause de son maigre statut social. La cible à laquelle il s'en prend verbalement puis physiquement ensuite pâtit pourtant des mêmes inégalités que lui. Ainsi, au réalisateur d'ironiser sur les intérêts des uns et des autres, sur la spoliation des âmes laborieuses qui non seulement se font avoir mais se vengent de leur condition en demandant l'aide de leurs bourreaux.

A contrario, le bourreau matérialiste et bourgeois se voit d'un coup d'un seul contraint de mettre la main à la pâte : à force d'être obligé d'écouter pérorer Joe à tout bout de champs, Bill trouve une raison justicière à son acte assassin et, petit à petit, devient l'homme de main de l'ouvrier "palabreur". A la fois contraint, puis peu à peu convaincu de façon "mimétique", il finira par devenir le bourreau de sa propre condition sociale supérieure. Et à John G. Avildsen de délivrer une morale pessimiste, sinon très amère, sur l'aveuglement (dans un thriller proche d'un conte) concernant le manque de discernement d'une Amérique embourbée dans ses paradoxes.
Si, à mi-parcours, Joe marque un peu le pas, accusant un léger manque de rythme et de dynamisme, il offre, après une première partie intrigante et bavarde à souhait, un dernier tiers qui justifie à lui seul sa vision. La composition de Peter Boyle (Le pirate des Caraïbes, "Taxi Driver" dans lequel Scorcese lui fera jouer un personnage assez proche, sans doute pour des raisons non fortuites) est magistrale. Ce dernier parvient à la fois à hypnotiser et agacer le spectateur dans un même temps, à l'instar de ce qu'il parvient à faire, de manière naturelle, avec Bill. Il semblerait que son rôle ait tant marqué que le script d'une suite fut à l'époque en partie écrit par Boyle himself. Celle-ci ne verra pas le jour même si Boyle, remarqué pour son rôle, se verra proposer le rôle de Popeye dans "French Connection" avant de décliner l'offre.

 

 

Difficile également de ne pas louer la belle performance de Dennis Patrick ("La fiancée du vampire" de Dan Curtis, mais aussi à peu près toutes les séries en vogue des années 70) qui traduit à la perfection sa gêne, son obligation et ses doutes face à ce bloc d'auto-justice réactionnaire qu'il finira par suivre jusqu'à se faire l'instrument de sa volonté. On ne manquera pas non plus de rappeler que Nixon venait tout juste de se faire élire avec des arguments populistes très proches des préoccupations de Joe ici présent. Autant dire que John G. Avildsen se fait ici le chantre d'une ironie mordante à la fois contestataire et pro-démocrate via ce que l'on peut également considérer comme un brulot très frontal (l'affiche du film ressemble fortement aux campagnes électorales menées par les républicains, à l'époque, qui ne mettaient que leur prénom pour marquer de façon populiste leur proximité au peuple).
On pourra enfin ajouter, de manière plus anecdotique, qu'on y découvre une charmante et convaincante Susan Sarandon dans son premier rôle (ainsi que dans son plus simple appareil) avant de conclure en disant que Joe est un film à ce jour quasiment oublié mais qui mérite très largement d'être redécouvert. Un spectacle sans fioritures pour un uppercut à l'estomac au moins aussi efficace que ceux d'un Rocky. Le tout sans compter une partie de film assez comique que je ne ferai pas l'offense de vous dévoiler.
Bref, pour le coup, n'hésitez pas à choisir le camp républicain et à voter **Joe** !

 

 

Mallox

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