Conte du tsar Saltan
Titre original: Skazka o poteryannom vremeni
Genre: Fantastique , Heroic Fantasy
Année: 1966
Pays d'origine: U.R.S.S.
Réalisateur: Aleksandr Ptushko
Casting:
Vladimir Andreev, Larisa Golubkina, Oleg Vidov, Kseniya Ryabinkina, Sergei Martinson, Olga Viklandt, Vera Ivleva, un cygne...
Aka: Сказка о потерянном времени
 

Dans une Russie de conte de fées, le tsar Saltan choisit, parmi une fratrie de trois soeurs, la belle cadette comme épouse. Les deux soeurs aînées deviennent cuisinière et couturière de la nouvelle tsarine et en éprouvent un grand ressentiment. Alors que sa femme est enceinte, le tsar s'en va combattre le "Muppet Show" qui menace la frontière de ses états. La tsarine met au monde un enfant à la croissance miraculeuse et accélérée, le prince Gvidon, pendant que son époux est encore en campagne. A cause de la traîtrise de son conseiller (le vétéran Sergei Martinson, spécialiste des rôles de velléitaires bouffons) et des soeurs de la tsarine, le message du tsar à son épouse est transformé en ordre d'exécution de celle-ci et de son fils. Les deux sont jetés à la mer, à l'intérieur d'un tonneau scellé. Ils échouent sur une île déserte, où Gvidon, devenu précocement un beau damoiseau, sauve un cygne, qui se révèle être une ballerine du Bolchoï, ah non... pardon, une princesse victime d'un enchantement...

 

 

Adaptation d'une nouvelle de Pouchkine, enfin plutôt d'un récit pour enfant en vers de mirliton, Le conte du tsar Saltan est l'avant-dernier film d'un Aleksandr Ptushko alors sexagénaire. N'y allons pas par quatre chemins, ce métrage est destiné à un très jeune public, et un adulte aura beaucoup de mal à apprécier ce film au premier degré. La question que l'on peut se poser est : y-a-t'il plusieurs degrés de lecture ? Ce qui en amène d'autres : cette farce kitsch est-elle une parodie des oeuvres précédentes de ce grand cinéaste ? Ptushko était-il atteint de sénilité précoce ou de "j'menfoutisme" galopant ? Ou, à l'inverse, ce film est-il une oeuvre postmoderne déconstructiviste très en avance sur son époque ? Serait-ce une subtile critique de l'Union Soviétique ? Si ma tante avait des roues, serait-elle un autobus ? Que de questions, auxquelles hélas je n'ai pas de réponses. J'en ajouterai d'ailleurs une : comment se fait-il que les Russes considèrent Pouchkine comme un auteur égal aux plus grands de ses compatriotes, alors qu'il est un prosateur médiocre, pour parler par euphémisme, et que son oeuvre en vers... enfin, disons qu'elle doit beaucoup souffrir de la traduction.

 

 

La réponse se trouve sous la plume du plus russe de feu nos académiciens, Henri Troyat (qui n'était pas le dernier des déconneurs si l'on en croit Jacqueline de Romilly, dans un chapitre intitulé "jamais je n'en vis d'aussi énorme" de ses mémoires, elle a un souvenir ému d'un souper très arrosé quai Conti où Troyat, lors du dessert, prit une flûte à champagne et... mais je m'égare) : Dans "Le tsar Saltan, Pouchkine réussit ce tour de force de cadencer et de rimer avec aisance les paroles mêmes de sa nounou. Son style était si nu, ses moyens si quelconques, ses épithètes si familières... C'est pourquoi les vers du tsar Saltan chantent aux oreilles de tous les enfants russes.". Bref, Pouchkine pousse le génie jusqu'à écrire comme un illettré, il était fort le sagouin, en tous cas meilleur écrivain que duelliste, il faut le lui accorder.

Si, compte tenu de l'extrême naïveté du récit, le choix de mise en scène adopté par Ptuschko (farce enfantine avec sur-jeu volontaire des acteurs) n'est pas à remettre en cause, force est de constater que, pour un adulte qui n'a pas été bercé dans son enfance par ce conte, la vision du film est assez éprouvante nerveusement. On passe de l'étonnement à l'amusement, puis au rire jaune et finalement à la lassitude. Heureusement le film est court, très court (81 minutes), sans doute à cause de la faible capacité de concentration du public ciblé. A ceci s'ajoute la musicalité très particulière des dialogues en vers, qui font comme une sorte de bruit de fond assez usant lui aussi. Mais heureusement, tout n'est pas noir dans le royaume du tsar Saltan, et l'extrême beauté des images, les décors et les costumes chatoyants, les trucages sympathiques mais peu nombreux, font que l'on se dit qu'à cinq ans on aurait trouvé ce film merveilleux.

 

 

Là, lecteur cultivé, tu as remarqué que je n'ai pas encore parlé de la musique, alors que Le conte du tsar Saltan t'évoque l'opéra de Rimsky-Korsakov et son fameux "Vol du bourdon", et que tu n'es pas sans savoir que Ptushko + Rimsky-Korsakov = ce chef d'oeuvre de "Sadko". Hélas, hélas, trois fois hélas... non seulement le présent film n'est pas une adaptation de l'opéra, mais surtout on n'entendra jamais un seul extrait d'icelui dans la bande son. Certes, l'auteur de la musique originale, Gavriil Popov, n'est pas un manchot et sa composition est fortement inspirée de l'opéra (on aura droit, par exemple, à un "volettement" de bourdon), mais cela n'empêche pas d'avoir des regrets.
Ici, une petite parenthèse: dans le conte original, le prince Gvidon subit trois transformations en insectes ailés (moustique, bourdon et mouche) pour refaire exactement la même chose à chaque fois, dans un souci de répétitivité qui fait de Pouchkine le précurseur des Teletubbies, bien plus que de Lermontov. L'opéra n'étant pas destiné au même public, les transformations furent condensées en une seule, le bourdon. Ptushko optera pour une voie médiane en se disant "zobi la mouche!", et on devra donc subir le moustique en plus du bourdon.

Je finirai cette modeste critique par une dernière question : pourquoi donc être allé chercher une danseuse étoile du Bolchoï qui ne sait manifestement pas jouer, pour lui faire interpréter un rôle avec seulement trois malheureux pas de danse que la première Nathalie Portman venue arriverait à réaliser sans trucages ?

 

 

Note : 7/10

Sigtuna

 

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