Fiancée du gorille, La
Titre original: Bride of the Gorilla
Genre: Horreur , Agressions animales , Aventures
Année: 1951
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Curt Siodmak
Casting:
Barbara Payton, Lon Chaney Jr., Raymond Burr, Tom Conway, Paul Cavanagh, Gisela Werbisek, Carol Varga...
Aka: The Face in the Water
 

Amérique du Sud, 1951 : Chavez tombe amoureux de Dina, l'épouse insatisfaite de Van Gelder, un riche planteur dont il est le contremaître. Van Gelder soupçonne cette liaison et, une nuit, une féroce bagarre les oppose en pleine jungle : tombé à terre, Van Gelder est tué par un serpent venimeux. Chavez s'estime responsable de cette mort accidentelle, légalement constatée par le docteur Viet et le commissaire Taro. Une domestique indigène de Van Gelder l'en considère non seulement responsable mais encore coupable. Elle punit Chavez en l'empoisonnant au moyen d'une plante hallucinogène qui lui fait croire qu'il se transforme en gorille chaque nuit... à moins qu'il ne se transforme réellement ? Dina, en dépit des avertissements de Taro et de Viet, ne peut s'empêcher d'aimer Chavez et refuse de l'abandonner. Son amour pourra-t-il vraiment soustraire Chavez à ce qui semble être une terrible et efficace malédiction ?



 

Bride of the Gorilla, écrit et réalisé par Curt Siodmak (1902-2000) - le frère ennemi du non moins grand cinéaste Robert Siodmak (1900-1973) - est une assez remarquable et étrange rareté, longtemps invisible en France. La traduction littérale du titre ne signifie pourtant pas qu'il fut distribué chez nous au cinéma puisqu'il y demeura inédit : je l'indique simplement afin que le lecteur non anglophone comprenne le sens du titre original. La télévision, la vidéo (chez nous Bach Films en DVD), enfin occasionnellement internet, permettent à présent de le visionner dans des conditions techniques passables, au format standard original 1.37 (N&B) en VOSTF, mastérisé à partir d'une copie argentique en assez bon état même si sa définition vidéo est aux normes DVD et non pas aux normes actuelles Blu-ray.



 

On sait que Kurt (Curt) Siodmak fut un des scénaristes majeurs du cinéma fantastique mondial, entre 1940 et 1962. Il contribua notamment à l'âge d'or fantastique américain de la Universal entre 1941 et 1945. A ce titre, il avait été l'auteur du scénario du classique Le Loup-garou (The Wolf Man, USA 1941) de George Waggner avec Lon Chaney Jr., acteur ici intelligemment repris dans Bride of the Gorilla en contre-rôle.

 

C'est ici l'occasion de dire un mot du casting, très intéressant. D'abord Lon Chaney Jr. : au lieu d'incarner la créature maudite victime d'une malédiction qui la transforme (ou du moins, ici, fait qu'elle est convaincue d'être transformée : nuance sur laquelle repose tout le suspense et certains de ses plans-miroirs les plus étonnants), il incarne un policier enquêteur convaincu de sa possibilité. Ce contre-emploi savoureux, très bien joué par Chaney Jr. (qui me semble injustement mésestimé par l'histoire française du cinéma fantastique) est, d'autre part, fidèle à une absurde tradition commerciale hollywoodienne : le fils est systématiquement crédité Chaney tout court au générique et non pas Chaney Jr., afin de bénéficier du prestige de son père. Quel que soit le matériel publicitaire de 1951 examiné, le « Jr. » demeure absent de son nom.

 

C'est Raymond Burr qui joue la victime / le héros (dans une tragédie antique, le héros est d'abord une victime du Destin : dans le cinéma fantastique, c'est souvent aussi le cas) et il est excellent d'un bout à l'autre. Burr avait campé d'inquiétants chefs de gang pour le film noir policier américain des années 1945-1950, notamment pour le cinéaste Anthony Mann mais rétrospectivement, si on considère sa longue et inégale carrière, on peut considérer qu'on est peut-être bien en présence d'un de ses meilleurs rôles, ici en tout cas supérieur à ce que Hitchchock lui fera (certes brillamment) faire dans Fenêtre sur cour (Rear Window, USA 1954) ou à ce que la télévision américaine lui demandera de faire dans la série qui le rendit vraiment célèbre en France, à savoir L'Homme de fer (Ironside, USA 1967-1975).

 

Quant au casting de Tom Conway dans le rôle du docteur Viet, il faut évidemment y voir un hommage conscient de Siodmak à la série de films fantastiques produits par Val Lewton entre 1943 et 1946, dont Conway avait été un des plus remarquables acteurs puisqu'il il y joua notamment le psychanalyste Louis Judd, à la fois analyste et amoureux de La Féline (1942) de Jacques Tourneur. Conway, en dépit du fait que Judd mourait à la fin du Tourneur de 1942, réincarna le personnage (conservant ses caractéristiques structurelles : celles d'un analyste fasciné et presque amoureux d'une psychopathe maudite) dans La Septième victime (1943) de Mark Robson, également produit par Lewton. Dix ans plus tard, Siodmak le fait tomber amoureux d'une femme amoureuse d'un psychopathe maudit : intelligente nuance, subtil décalage scénaristique qui constitue simultanément une savoureuse mise en abyme.

 


 

La mise en scène de Curt Siodmak, compte-tenu du fait qu'il s'agit d'un premier film réalisé, est assez rigoureuse, sobre, classique au meilleur sens du terme. Même les « stock-shots » animaliers sont bien intégrés à l'action, produisant un petit effet baroque récurrent. Cette économie esthétique est naturellement synonyme d'efficacité dramaturgique : les célèbres apparitions du gorille sont très rares mais très efficaces et parfaitement montées. Ce film fantastique raffiné mesure donc soigneusement ses effets phantasmatiques : c'est de la rigueur de l'histoire que naissent l'angoisse puis la peur. Les « effets spéciaux » sont à son service et non pas l'inverse.

 

Sur la genèse et l'importance de ce titre aux yeux de Curt Siodmak, on dispose depuis 1995 d'un intéressant document de première main : l'entretien accordé par Curt Siodmak à Stéphane Bourgoin dans le n°14 de la revue Polar, éditions Payot & Rivages, Paris 1995, dont voici un extrait de la page 56 :

 

J'ai fait Bride of the Gorilla uniquement parce que mon frère Robert était metteur en scène et que je voulais l'être aussi. Le titre fut choisi contre ma volonté : je voulais que ce soit The Face in the Water. Je pense que l'idée était très intéressante : (...) un homme se considère comme un meurtrier parce qu'il n'a pas sauvé son rival ; mais chaque fois qu'il se regarde dans un miroir, celui-ci lui renvoie l'image d'un animal (un gorille) ; or, un animal ne peut être un criminel. Finalement, il se retire dans la jungle et, un jour, il enlève la jeune femme. Blessé à mort, il se penche au-dessus d'un lac et l'eau lui renvoie l'image d'un visage humain. Je persiste à penser que le film tient debout et que le scénario était très bon. Pour l'ensemble, je fus payé deux mille dollars, ce qui est également la somme que je dus verser pour figurer dans la Director's Guild of America. Autrement dit, ce film ne m'a pas rapporté un cent[ime].


On constate, à la lecture de ces déclarations et si on connaît Le Loup-garou de 1941 écrit par le même Curt Siodmak, que Bride of the Gorilla peut légitimement en être considéré comme une sorte de variation 1951. Il faut ajouter qu'il emprunte l'argument de son inspiration à ce courant si remarquable de la bestialité qui hante le cinéma fantastique américain à partir des succès, certes dissymétriques mais tous deux avérés, du Double assassinat dans la rue Morgue (Murders in the Rue Morgue, USA 1931) de Robert Florey et du King Kong (USA 1933) de M.C. Cooper et E.B. Schoedsack. Les années 1940-1950, depuis le The Ape (Le Singe tueur, USA 1940) de William Nigh avec Boris Karloff, déjà écrit par Curt Siodmak, jusqu'à ce Bride of the Gorilla, à nouveau écrit (et, cette fois, aussi réalisé) par Curt Siodmak, pourraient assez bien délimiter l'âge d'or de ce thème de l'homme-singe, riche en œuvres surréalistes, injustement méconnues et oubliées, parfois très étonnantes.



 

D'autres éléments du script et de la mise en scène de Curt Siodmak ressortent plutôt du cinéma muet (auquel les deux frères Siodmak avaient, comme on sait, contribué) : l'emploi des stock-shots (muets mais sur lesquels on rajoute de la musique ou du son) documentaristes animaux ; l'ouverture au commentaire « off » très littéraire sur des ruines dont l'histoire va nous expliquer, à l'aide d'une structure en boucle bouclée, pourquoi elles le sont devenues.

 

Quelque chose de son style en ressort occasionnellement aussi, concernant l'érotisme, ce qui me donne l'occasion de mentionner Barbara Payton (star autodestructrice, à la vie digne d'un film noir de Robert Aldrich ou de Martin Scorsese : elle tourna peu de titres mais parfois pour de bons cinéastes tels que Anthony Mann, Gordon Douglas, Curt Siodmak, Lew Landers et même, durant sa période anglaise, pour Terence Fisher) brusquement révélée pour la première fois à l'écran en lascive danseuse solitaire, pur objet de désir face à la caméra. Même remarque pour l'introduction de la non moins érotique domestique indigène jouée d'une manière presque stylisée par la belle actrice (née aux Philippines) Carol Varga, dont le nom de scène faisait explicitement référence aux « pin-up » dessinées par Alberto Vargas et qui tourna une centaine de films entre 1950 et 1970.



 

Variation évidente sur le thème de la bestialité, Bride of the Gorilla est aussi, et surtout, une variation sur le thème fondamental du cinéma fantastique, à savoir celui du double. On a parfois écrit que Curt Siodmak avait majoritairement traité, dans sa filmographie sélective fantastique, le thème germanique de l'apprenti-sorcier : Siodmak l'a assurément traité à plusieurs reprises, notamment dans ses romans et dans ses scénarios de science-fiction mais il a non moins contribué, tout comme son frère Robert (qu'on songe à La Double énigme (The Dark Mirror, USA 1946)) au thème majeur du double. Et c'est probablement ce thème qui lui fournit l'occasion de ses réussites majeures. La preuve par ses classiques écrits entre 1941 et 1944 pour la Universal et la preuve par ce si personnel Bride of the Gorilla.

 

Francis MOURY

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