Venin de la Peur, Le
Titre original: Una Lucertola con la Pelle di Donna
Genre: Giallo
Année: 1971
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Lucio Fulci
Casting:
Stanley Baker, Florinda Bolkan, Jean Sorel, Silvia Monti, Alberto de Mendoza...
Aka: Carole / Les salopes vont en enfer
 

Una Lucertola con la Pelle di Donna évolue sur un axe puisant en premier lieu chez Polanski (cf. Repulsion avec nom de l'héroïne conservé - Carol - et scène en préambule sortant tout droit du même film - ici, transformé en couloir d'un train - un couloir dans lequel Deneuve déambulait, entre cauchemar et réalité, lieu on ne peut plus exigu, servant à Fulci également de citation directe, le tout dans une ambiance de culpabilité schizophrène) ; en second lieu, chez Hitchcock et sa "Maison du docteur Edwardes". Avec, en fond, une source onirique empruntant elle aussi chez les surréalistes.

 


Gardons pour la beauté de la chose, le titre original, à savoir : Una lucertola con la pelle di donna, lequel se traduit littéralement par un très beau : "Un Lézard à la peau de Femme" ; un titre qui, en plus de s'inscrire dans la tradition poétique et intrigante lancée au cinéma par Dario Argento et son Oiseau au plumage de cristal, conserve sa propre résonance au sein du film (et en est même la clé).

 

Quant à la bobine même, soyons aussi direct que son réalisateur : elle est aussi belle et troublante que son titre le laisse penser de prime abord. Exit donc les Carole ou Les salopes vont en enfer, les collectionneurs de vhs m'excuseront j'espère, ces titres sont presque outrageants pour une oeuvre absolument personnelle (puiser n'est pas voler et est même ici signe de totale réappropriation), le tout servi sur un canapé analytique, labyrinthique et schizophrène qui hante longtemps la mémoire.

 

 

Una Lucertola con la Pelle di Donna nous conte donc grosso-modo, l'histoire de la fille d'un politicien anglais, Carol Hammond (Florinda Bolkan) prise dans une spirale de folie et de désirs inassouvis, lesquels se manifesteraient par des visions envoyées tout droit depuis le monde des rêves (à moins que ce ne soit que la triste réalité). A partir de ce postulat, la paranoïa, autant que la lisière entre rêve et réalité, pourront aussi se voir comme le révélateur d'une culpabilité devenue une obsession qui ronge jusqu'au tourment.

Durant les étranges cauchemars qui la hantent de manière récurrente, Carol s'imagine participer à des orgies organisées par sa voisine, ce, sous l'emprise de LSD, jusqu'au moment où l'on retrouve donc cette même voisine sauvagement assassinée...

Les vingt premières minutes donnent le ton et le niveau de cette oeuvre supérieure, aux ramifications aussi larges que les plumes d'une oie déployant ses ailes : elles sont une merveille d'ingéniosité et de virtuosité technique, empruntes qui plus est, de séquences oniriques d'une incroyable beauté. Nous sommes directement plongés dans un univers de rêves étouffants, glauques et totalement claustrophobes ;  la première scène du film où l'héroïne est asphyxiée par une meute de gens nus, dans le couloir d'un train dont les compartiments restent obstinément bloqués, l'empêchant ainsi de s'échapper, participe à un univers tout fait de suffocation, d'un état symbolique de carcan personnel (peut-être même une peur de la prison, au sens figuré comme au sens propre) ; celle-ci finira par planter un couteau dans le ventre d'une femme qui l'attirait sexuellement, avant de se réveiller. Ou peut-être tout ceci n'était-il qu'un mauvais rêve. Qui sait...

 

 

De suite, la lisière entre cauchemar et réalité est établie et l'un semble se fondre dans l'autre avec une harmonie digne de Polanski, principale source du film donc (Swinging London compris, n'en déplaise à Antonioni et son "Blow Up"). Fulci parvient à rendre très mince la lisère entre eux deux ; Carol subit donc ce cauchemar dans lequel elle séduit sa voisine Julia Durer (Anita Strindberg) et, tandis qu'elle explique son rêve à son psychiatre, le Docteur Kerr (George Rigaud), celui-ci lui donne une explication totalement rationnelle (on sent que Fulci n'aime pas trop la psychanalyse traditionnelle ou tout du moins fait preuve d'un scepticisme de rigueur à son égard) : Carol est à la fois attirée et rejetée par le mode de vie hédoniste de Julia...

Le problème est que la même Julia est ensuite retrouvée morte, tuée au coupe-papier, et que Carol constate alors que la scène de crime ressemble précisément à ce qu'elle a put voir dans son rêve. Finalement, on rentre alors de plain-pied dans le subconscient et la psyché de Carol Hammond, recelant tous deux des univers faits de doubles-vies, d'infidélités, d'excès, de mensonges, même à soi-même, puis de culpabilité... et à Fulci de nous annoncer les prémisses d'un voyage en spirale, comme une psychanalyse avec ses révélations, ses non-dits : un voyage sans retour du côté obscur de la Psyché.

Malgré la difficulté d'un tel exercice en tant que metteur en scène, Lucio Fulci parvient à faire de ce "voyage au centre de Carol", un spectacle dont la structure reste du domaine de la trame policière, un fait d'autant plus marquant, surtout dans un genre et ses sentiers empruntés bien des fois, jusqu'à même parvenir à faire oeuvre classique tout en détournant les codes biens connus d'un genre, vers un ailleurs plus original, ambitieux et somme toute, bien plus intéressant que la moyenne de ses confrères.

 

 

Comme j'ai pu le mentionner auparavant, le titre original prendra un sens assez prodigieux, et le reptile susnommé apparaîtra comme le symbole de l'histoire : c'est-à-dire à la fois une clé cachée en soi ainsi qu'un piège représentatif de la capacité de régénération de Carole ; en effet, en se fragmentant, non seulement le Lézard ne meurt pas mais en plus son membre mutilé repousse. En quelque sorte il renaît.

En ce sens, le crime initial de Carol non seulement apparaît comme inexplicable mais s'insère à toute une série de personnages et de réalités alternatives et, loin de résoudre l'argument de base, ils ne contribuent qu'à faire croître ces alternatives, rendues alors autonomes de leur corps central ; ainsi chaque meurtre se reproduira, et chaque fantasme bridé ou mutilé se régénérera dans de nouveaux actes sanglants ; pendant que les homicides perdureront, ils seront chaque fois finalement camouflés par l'assassin avec la "peau", celle qui se fond si bien à l'environnement. C'est avec un grand art que Lucio Fulci souligne grâce aux différents vêtements portés par le meurtrier.

C'est donc à une véritable intrusion dans le subconscient du Lézard au sein duquel nous sommes plongés, Fulci utilisant avec une intelligence pas loin d'être sidérante, tous les éléments techniques à portée de main pour nous immerger dans ce labyrinthe de folie et de répression : gros plans extrêmes, split-screens, lumières incroyablement brillantes, angles distordus, ainsi que nombre de zooms imprévisibles, distillés avec une telle maîtrise, qu'ils rendent les scènes de terreur, proprement effrayantes : tout peut arriver.

 

Tout du long, le réalisme brut se verra systématiquement contré par des séquences sophistiquées et stylisées, donnant au film une phénoménale saveur ambiguë, emportant le spectateur dans l'univers claustrophobe de Carol, nous entraînant dans son tourbillon d'angoisses : l'héroïne étant elle même sans cesse poursuivie de l'extérieur comme de l'intérieur, on finira nous-mêmes exténués (mais contents).

 

Il faut noter que Lucio Fulci déploie ici une imagination plus que débordante dans l'onirisme morbide qui fera sa réputation plus tard. Nous ne sommes pourtant qu'en 1971 et avons droit à quelques morceaux d'anthologie dont lui seul détient ce genre de clés : cette oie géante qui attaque Carol, cette réunion de cadavres aux yeux crevés, et surtout... surtout cette scène traumatisante, se situant après une poursuite allant crescendo, filmée elle-même avec une virtuosité bluffante, pour finir dans un laboratoire dans lequel des chiens sont éviscérés vivants en série...

 

Enfin, glissons un petit mot sur l'aspect sulfureux du Venin de la peur, oeuvre bicéphale aussi brute dans son fond que pu l'être peu avant Liens d'amour et de sang : ici, autant la bourgeoisie, rangée au rayon hypocrisie que le Flower Power et son idéologie, réduits à une secte de jeunes hippies drogués, en prennent pour leur grade. Pas de doutes à avoir, le regard est amer et Fulci n'apprécie ni son époque, ni, d'une manière plus générale, le genre humain. Perversité, mensonges et crétinerie béate le conteste la palme de la médiocrité dans une ronde toute faite de faux-semblants d'un côté, et d'ignorance, de l'autre. En cela, son réalisateur livre ici son film le plus amer, formant, en lui additionnant Béatrice Cenci et Non si sevizia un paperino, une sorte de trident aiguisé, malsain, acerbe.

 

 

Ajoutons à cela un érotisme, noyau même du film, plutôt culotté pour l'époque, avec entre autre la relation saphique entre Carol et sa voisine, en plus d'une des plus belles et troublantes partitions d'Ennio Morricone, laquelle, soit dit encore en passant et avant de vous laisser, ne cesse depuis, de tourner sur ma platine.
Pas de doutes à avoir, on tient là l'un des tout meilleurs films de Lucio Fulci, et en tout cas un chef d'oeuvre.

Petit plus : Les acteurs. Pour ne rien gâcher du plaisir multi-sensoriel procuré, ils sont ici exceptionnels. En première place, les femmes dont bien évidemment Florinda Bolkan, magistrale. Autre chose troublante : la présence de Jean Sorel (soit, habitué au genre me direz vous !) mais qui renvoie vers un autre film où fantasmes et réalité se confondaient : "Belle de Jour" de Bunuel... une oeuvre qui excluait d'office la psychanalyse, Bunuel et Fulci brouillant les pistes entre réel et fantasmes, cauchemar et réalité, chacun à leur façon, pour un résultat tout aussi troublant.

Pour finir, je voudrais dire combien en cette fin d'année 2006, ce film conjugué à Don't Torture a Duckling m'a fait voir Fulci autrement, au point que je ne classe plus ses films comme avant et en lieu et place de trilogie zombiesque, j'aurais tendance à regrouper ce "Lézard à la peau de Femme" avec  L'Au-delà, puis La Longue nuit de l'exorcisme avec L'Enfer des Zombies, ainsi que Le Temps du Massacre avec Frayeurs.

 

 

Voici donc l'un des fleurons du Giallo en plus d'être l'un des tous meilleurs films de son auteur. Vous voici prévenus ! Ce qui ne vous empêche pas d'aller également jeter un oeil sur les comédies du réalisateur, celles-ci restant très fréquentables... n'écoutez pas les mauvais coucheurs qui, sans les avoir vues, vous diront qu'elles sont médiocres, alors qu'elles annoncent à bien des niveaux, en plus de valoir bien mieux que leurs piètres réputations, infondées, beaucoup de choses qu'on retrouvera dans ses giallis ou horrifiques. Dans toute son oeuvre pour être plus exact.

 

Mallox

 

 

* Critique élaborée en 2006 à partir de la copie laborieuse VHS puis légèrement rehaussée grâce au dvd Shriek. Merci de votre clémence !

 

En rapport avec le film :


# Le Combo du film édité en 2015 par Le Chat qui Fume.
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