Joë Caligula
Genre: Polar
Année: 1966
Pays d'origine: France
Réalisateur: José Benazeraf
Casting:
Gérard Blain, Jeanne Valérie, Ginette Leclerc, Junie Astor, Maria Vincent, Kim, Marcel Gassouk...
Aka: Du Suif chez les Dabes
 

Joë est une petite frappe marseillaise qui décide, par ambition, de monter à Paris. Dans la capitale, il devient un gangster sans foi ni loi, flinguant à tour de bras ses victimes lors de braquages particulièrement sanglants. Le truand est assisté de trois acolytes et de sa sœur Brigitte, pour qui il voue une passion aux limites de l'inceste, un amour qui est d'ailleurs réciproque. Obsédé à l'idée de devenir le caïd le plus craint et l'ennemi public n°1, Joë ne tarde pas à vouloir se débarrasser de la pègre en place dans la grande cité. Pour parvenir à ses fins, il séduit Ariane, la veuve d'un caïd. Elle devient son indic, et grâce aux renseignements obtenus, Joë commence à semer la terreur au sein de la mafia parisienne. Mais la riposte ne va pas tarder, et seul un camp sera en mesure de survivre...

 

 

Tout juste quarante ans après sa "vraie" sortie en salles (réalisé en 1966, "Joë Caligula" verra ses copies retirées immédiatement en raison de sa violence, jusqu'au 8 janvier 1969 dans une version semble-t-il amputée d'une vingtaine de minutes), il est stupéfiant de voir à quel point la censure française frappait aveuglément dans le domaine du 7ème Art. En effet, la violence développée par Benazeraf dans ce film paraît tellement dérisoire par rapport à ce que le cinéma nous montre depuis bien des années (sans parler des actualités diffusées par les chaînes de télévision) qu'à côté d'un Mesrine, par exemple (parlons-en puisqu'il est de nouveau "à la mode"), Joë (prénom classique du truand) Caligula (parce qu'il est amoureux fou de sa sœur) fait presque figure d'enfant de chœur. Bien sûr, il s'agit là d'un héros parfaitement amoral, à la limite de l'abject, sans état d'âme en dehors du culte voué à sa sœur Brigitte. Mais à l'écran, la violence se limite à des coups de poings et des échanges de tirs à l'arme à feu dont les impacts laissent des marques à peine perceptibles sur les corps. Les scènes de torture (un type immolé, la sœur de Joë lacérée au couteau) paraissent aussi bien désuètes.



Mais "Joë Caligula" n'en est pas moins un film intéressant à plus d'un titre, dans lequel le cinéaste développe, à travers une intrigue de guerre de gangs, le thème du conflit des générations. Un conflit qui se prolonge dans le monde des arts, puisque Benazeraf ne peut pas s'empêcher, une fois n'est pas coutume, de laisser quelques indices quant à sa vision du show-business, à travers quelques répliques de figurants (au début du film, une prostituée embarque un client en lui parlant de Godard et Chabrol), et quelques éléments de décors. Dans ce dernier cas, on ne peut s'empêcher de sourire lorsque Joë, attablé à une terrasse de café, jette un œil dubitatif sur une affiche à l'effigie du chanteur Antoine. Un artiste pour lequel Benazeraf ne devait pas avoir d'atomes crochus, puisque la même affiche servira plus tard de cible au lancer de couteau dans le repaire des truands. Et puisque l'on évoque Claude Chabrol, rappelons au passage que Gérard Blain, dans le rôle titre (il est d'ailleurs parfait), avait tourné précédemment dans deux films du metteur en scène : "Le beau Serge", et "Les Cousins". Gérard Blain connut aussi la consécration dans des œuvres aussi variées que "Voici le temps des assassins" ou "Hatari".



A ses côtés l'on retrouve deux autres pointures du cinéma d'avant et d'après guerre, deux femmes dont la gloire se trouve derrière elles, mais que Benazeraf parvient à transcender à nouveau l'espace d'un film : Ginette Leclerc et Junie Astor. Que de classiques jalonnent ces deux noms : "Les Bas-fonds", "L'Eternel Retour" pour Junie Astor ; "La Femme du Boulanger", "Fièvres" et "Le Corbeau" pour Ginette Leclerc. "Joë Caligula" sera le dernier rôle de Junie Astor, et elle n'aura même pas l'occasion de voir la "réhabilitation" du film, puisqu'elle sera décédée entretemps (en 1967), dans un accident de voiture. Quant à Ginette Leclerc, elle poursuivra sa carrière jusqu'à la fin des années 70, apparaissant notamment dans "Goto, l'île d'amour", de Borowczyk, et "Spermula", de Charles Matton. Le reste du casting est loin de posséder pareil CV. Notons néanmoins que la Drusilla de l'histoire, Brigitte, est incarnée par Jeanne Valérie, dont on put voir la jolie frimousse dans le "Salambo" de Sergio Grieco.
A propos de l'aparté du personnage central de l'histoire avec l'empereur romain, on peut établir une ressemblance entre les motivations de Joë, et ses actes, avec la manière dont Albert Camus décrivait le monarque dément dans sa pièce de théâtre, notamment concernant le thème des limites de la liberté absolue :
Caligula s'est proclamé dieu. Il n'y a aucune entrave à l'exercice de sa liberté, et il l'exerce pleinement, sans aucune mesure. Mais cette liberté entre en contradiction avec son être, avec sa vie même. Et cette contradiction, selon la promesse de Caligula, devra être résolue.
La mort étant l'issue inexorable.
Tout comme "Le Concerto de la Peur", "Joë Caligula" est un polar noir atypique, portant la griffe de son auteur. Comme dans "Le Concerto...", Benazeraf gratifie le spectateur d'un crêpage de chignons où l'érotisme se mêle étroitement à la violence. Et puis l'on a aussi la scène de striptease dans le cabaret, longue mais très réussie, autant qu'émoustillante. On retrouve dans ce film une certaine atmosphère de "Salut les Copains", un parfum de nostalgie pour toute une génération qui a connu les juke-boxes et les flippers dans les cafés, les boîtes à stripteases, la musique yé-yé et les cabriolets décapotables.

 

 

Il y a enfin cette très belle scène de l'enterrement de l'un des caïds, avec cette procession de voitures sur une route de campagne qui s'achève dans un tout petit cimetière perdu dans les champs, et où chacun, sans mot dire, rend un dernier hommage à un ami perdu. La dernière image du film, montrant au loin la silhouette de Brigitte errant sur un pont de Paris, est également emplie de poésie. On a finalement le sentiment que, dans le registre du polar noir et sentimental, José Benazeraf a laissé une meilleure impression que dans la plupart de ses autres films.

Note : 7/10

 

Flint
 
 
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