J'ai rencontré le diable
Titre original: Akmareul boatda
Genre: Thriller , Psycho-Killer , Film noir , Vigilante
Année: 2010
Pays d'origine: Corée du Sud
Réalisateur: Jee-woon Kim
Casting:
Lee Byung-Hun, Choi Min-sik, Kim Yoon-seok, Oh San-ha, Ho-jin Jeon...
Aka: I Saw the Devil
 

Un soir, alors que l'obscurité vient de tomber sur une route perdue, une jeune femme se retrouve en panne. Elle appelle avec son portable Soo-Hyun, son fiancé, un agent secret qui n'a pas trop le temps de lui parler à ce moment là, mais qui assiste, quasiment en live, à la longue scène qui va suivre :
Un homme vient frapper amicalement à la vitre de sa voiture, proposant à la jeune femme de l'aider. A l'autre bout de la ligne, le jeune homme conseille fortement de refuser toute aide d'un inconnu et d'appeler une dépanneuse. Celle-ci obtempère et dit à l'homme encapuchonné, sous une pluie battante, qu'elle attend de l'aide. Celui-ci s'en va vers sa propre voiture pour finalement revenir subitement, fracasser la vitre à coups de marteau, puis de lui en asséner quelques coups. L'inconnu kidnappe ensuite la jeune femme, l'emmène dans un entrepôt avant de la torturer puis de la découper en morceaux.
Son corps est retrouvé au petit matin dans une décharge. Soo-Hyun, après avoir pris deux semaines de congés, soi-disant pour se remettre psychologiquement, n'a qu'une idée en tête. Traquer le meurtrier qui s'avère être un serial killer, pour le torturer le plus durablement et douloureusement possible. S'en suit un jeu du chat et de la souris qui nous emmènera aux portes d'un nihilisme infernal et crépusculaire...

 

 

Fort de plusieurs prix glanés au dernier festival de Gérardmer (Le Prix de la Critique, le Prix du Public, le Prix de l'Est Républicain/Vosges Matin), "J'ai rencontré le diable" risque fort de faire reparler de lui lors de sa sortie, prévue au mois de juillet prochain.
Les raisons en sont multiples : D'une part, le thriller coréen a le vent en poupe depuis quelques années, et des réussites diverses - telles que "The Chaser" pour le plus récent, lequel en a laissé plus d’un sur le cul - ont redonné du crédit au cinéma asiatique, notamment dit de genre.
Ailleurs, le cinéaste responsable de cette mécanique implacablement diabolique n'est autre que Kim Jee-Woon. Celui-ci jouit d'une belle renommée internationale et est l'auteur talentueux de plusieurs films abordant des genres différents, ayant su taper dans l'oeil des critiques quand ce n'est pas celui des spectateurs : "Deux Soeurs" (A Tale of Two Sisters, 2003), l'adaptation d'un conte populaire coréen "remaké" n'importe comment et à n'importe quel prix par des américains décidément bien protectionnistes (sorti en dvd chez nous sous le titre "Les intrus") ; "A Bittersweet Life", un thriller noir dont chacun s'accorda au minimum pour louer la qualité technique ; ou, plus récemment encore, "Le bon, la brute et le cinglé", un hommage brillant - quoiqu'inégal et un brin longuet - à Sergio Leone et, de façon plus générale, au western.

 

 

Bref, il s'agit d'un réalisateur ayant su se faire un nom et qui, de fait, parlera au public, tandis que l'on pourra mettre en avant ses oeuvres précédentes afin de faire mousser celle-ci ; chose relativement rare au sein du cinéma asiatique et son rapport à l'occident pour être signalée.
Un autre argument encore qui risque de jouer pour le film de Kim Jee-Woon : celui de faire se rencontrer deux icônes du cinéma coréen, connues en-dehors de leur territoire (même si leurs noms ne l'est pas forcément). Lee Byung-Hun, vu dans les deux précédents films du cinéaste et qui ne cesse de remporter prix sur prix au fil des films qu'il interprète, et Choi Min-Sik, que nombreux d'entre-nous ont déjà photographié (sinon même cristallisé) pour son rôle dans le "Old Boy" de Park Chan-wook. Bref, une rencontre, que dis-je, un duel qui s'annonce explosif !
Pour finir à propos des arguments que l'on pourra faire jouer en faveur de "J'ai rencontré le diable" : une ultra-violence qui a suscité une vive controverse dans son propre pays jusqu'à se voir d'abord censuré, expurgé de certaines scènes jugées dégradantes pour l'espèce humaine, avec enfin une sortie sans cesse repoussée dans les salles de cinéma. A ce sujet, le film frôle clairement la catégorie III à maintes reprises.

 

 

Techniquement parlant, il n'y a rien à reprocher à "J'ai rencontré le diable". A ce niveau, il s'agit même de l'oeuvre du cinéaste la plus aboutie. Tour à tour fiévreux, réflexif, répétitif jusqu'à devenir lancinant, le film fait de ses antihéros des spectres de mort, alternant magistralement les pauses rythmiques - fidèles aux errances des âmes humaines mises en scène - et les éclairs fulgurants de violence dans lesquels tout ce qui a été retenu, durant ces pauses, éclate alors en une bouffée et un sursaut voués à la vengeance et au sadisme ; des scènes de tortures éprouvantes, baignées dans une splendide photographie faite de neige et de sang, tandis qu'au fur et à mesure que le film avance, les deux teintes se mélangent, à l'instar d'une bête qui s'humanise, et, a contrario, une soif de vengeance qui rapproche peu à peu l'homme de la bête et plus précisément, ici, du prédateur pur et dur.
Rajoutons à cela un montage époustouflant d'intelligence, plaqué sur une mise en scène millimétrée mais qui a l'élégance de nous faire croire qu'elle part en roue libre, pour enfin dire que "J'ai rencontré le diable" est autant visuellement que d'un point de vue purement technique un chef-d'oeuvre. Une oeuvre aboutie comme on en voit assez rarement au cinéma (la photographie n'est du reste pas sans évoquer certains gialli des années 70).
Reste ce que recèle intrinsèquement le film qui, à force de jusqu'au-boutisme (pas forcément dans la violence même, mais dans une mise en scène qui confine à l'exercice), devient peu à peu une sorte de mise en abîme du genre vigilante, plus qu'un film vigilante en soi.

 

 

On rappellera des propos tout à fait louables de Kim Jee-Woon à propos de la vengeance : "la vengeance en elle-même n’est pas le but, l’important c’est que le personnage se découvre, qu'il découvre la vérité qui était cachée en lui."
Des propos que l'on retrouve en effet à l'écran et que le titre du film traduit du reste parfaitement, revêtant même un double sens. Cependant, au fil d'un jeu du chat et de la souris au sein duquel notre justicier fera preuve d'une sacrée inspiration pour renouveler des moyens de torture censés tout à la fois refouler sa propre douleur et l'évacuer physiquement dans les entrailles d'un démon assassin ; il fera preuve d'une réflexion qui ne tient en rien de la bête, mais celle, justement, de l'être humain. Il y en cela un paradoxe au sein de "J'ai rencontré le diable" qui fait, outre le côté répétitif de la première partie, toute faite de poursuites, de pièges, de meurtres et de séances de tortures, qu'au bout d'un moment il est possible de ne plus adhérer au propos qu'on nous assène et de décrocher alors de ce jeu du chat et de la souris.
Au bout d'une heure, le spectateur comprend qu'il n'y aura au final que deux alternatives : soit au jeu qui consiste à torturer le tueur, puis à le laisser s'enfuir ensuite pour le traquer à nouveau, le chat finira par se mordre la queue et se faire tuer lui-même ; soit, ce même démon meurtrier, même mort, aura pris l'ascendant psychologique sur son justicier, son châtiment n'ayant alors servi à rien, hormis le fait d'avoir transformé le justicier à son tour en démon, pour retourner finalement à sa solitude et tristesse initiales.

 

 

C'est là toute la limite de "J'ai rencontré le diable" qui sait, par une savante mise en scène, faire passer sa longueur mais qui, paradoxalement, laisse dans un même temps trop d'espace au spectateur pour penser ; celui-ci prendra de l'avance sur un final assez téléphoné et à la morale somme toute très classique.
Je ne saurais trop conseiller au lecteur qui se serait égaré par là de voir "Les sept jours du talion" de Daniel Grou qui, sur un sujet très similaire, et avec une mise en scène très épurée, instille un malaise bien plus grand en plus de laisser une brèche de réflexion à un spectateur considéré comme adulte ; a contrario, "J'ai rencontré le diable" lui pose les questions en même temps que de lui donner les réponses. Finalement, à vouloir faire, semble-t-il, un film vigilante définitif, Kim Jee-Woon signe d'avantage un arrêt de mort moraliste du genre, en même temps qu'un très brillant et trop substantiel exercice de style.
Pour conclure, on peut également reprocher au cinéaste d'avoir, d'un côté approfondi l’aspect bestial du justicier, et, a contrario, d'avoir par trop délaissé l’aspect humain du tueur. A partir de là, la donne psychologique s'en trouve légèrement faussée. Ceci étant, il convient d'admettre que le spectacle reste malgré tout de haute volée !

 

 

Mallox

 

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