Aelita
Titre original: Аэлита
Genre: Science fiction , Drame
Année: 1924
Pays d'origine: Union Soviétique
Réalisateur: Yakov Protazanov
Casting:
Yuliya Solntseva, Nikolai Tsereteli, Nikolai Batalov, Valentina Kuindzhi, Igor Ilyinsky, Pavel Pol, Konstantin Eggert...
Aka: Aelita, Queen of Mars
 

Décembre 1921, les radios du monde entier captent ce mystérieux message "Anta... Adeli... Uta". A l'observatoire de Moscou, un employé émet cette hypothèse en forme de boutade: "Ne serait-ce pas un message de Mars à destination de nos scientifiques ?", ce qui provoque dans l'assistance l'hilarité générale sauf chez celui qui est visé par cette plaisanterie, l'ingénieur Los. Los est en effet obnubilé par la planète Mars au point qu'il en rêve la nuit et même le jour, et durant ses loisirs il tente de concevoir avec son collègue Spiridinov un vaisseau interplanétaire pour rejoindre un jour cette destination rêvée. La femme de Los, elle, dirige un centre d'accueil pour les réfugiés de la guerre civile où Gusev, un vétéran de l'armée rouge est en convalescence. Arrivent dans ce refuge Ehrlich et son épouse, qui vont rapidement se débrouiller pour trouver un logement dans l'immeuble qu'habite le couple Los et Spiridinov. Ehrlich, combinard nostalgique de l'ancien régime, sait très bien tirer profit des failles du nouveau, et son empressement, par pur intérêt, auprès de la femme de Los, attise la jalousie de ce dernier.

Parallèlement, sur Mars, la reine Aelita s'ennuie. Dépourvue de tout pouvoir, elle laisse le conseil des anciens dominé par son père Touskoub diriger la planète. Pour se distraire et malgré l'interdit, elle convainc Gor, qui l'aime sans espoir, de lui montrer sa dernière invention qui permet d'espionner les activités sur la surface des autres planètes du système solaire. Là, elle observe Los embrasser fougueusement son épouse, ce geste inconnu des Martiens provoque en elle une émotion violente...

 

 

Aelita restera dans l'histoire comme le premier film de SF soviétique et russe. Pourtant, Aelita, bien que très classique dans sa mise en scène est une oeuvre bien difficile à classer dans un genre. En fait, nous sommes plutôt devant trois courts métrages (ou disons au moins 3 histoires) liés de façon plus ou moins artificielle en un long. Si les liens sont naturels entre la partie mélo/policière et la partie socio-propagandiste, ceux entre la partie martienne et les deux autres sont beaucoup moins évidents, au point que l'on anticipe assez facilement le "retournement final", seule explication permettant l’intégration de cette partie au reste du film. Un "final" qui n'en est pas vraiment un, puisqu'il ne fait que précéder le dénouement des 2 parties terrestres.

Si l'on s'en tient à la durée des séquences et même si c'est le segment le moins réussi du film, Aelita est d'abord un mélodrame, un mélodrame assez artificiel (car reposant sur des quiproquos) et très daté. Aelita est ensuite une chronique de l'air du temps à tendance légèrement propagandiste qui s'est, avec l'éloignement temporel, transformé en document socio-historique du plus grand intérêt même si cet intérêt n'est pas dû à ses qualités cinématographiques. Enfin, la partie SF, qui est la moins importante quantitativement (les scènes martiennes ne dépassent pas le quart du métrage) fut celle qui marqua le plus à l'époque le public soviétique et influença de façon durable nombre films de SF postérieurs, à commencer par le Metropolis de Lang (même si l'on peut se demander si cette influence n'est pas directement et uniquement due à l'oeuvre littéraire).

 

 

Car au départ il y a le roman homonyme du camarade comte Aleksey Nikolayevich Tolstoï, une oeuvre purement de science-fiction elle, écrite un an plus tôt (en 1923 donc) par le camarade comte, et qui diffère énormément du film. Un scientifique, Los, et un militaire, Gusev, embarquent de Leningrad pour le premier vol pour Mars (l'action est contemporaine du roman). Là, ils découvrent une société technologiquement très avancée mais profondément inégalitaire, dominée par une petite caste de scientifiques. Alors que Los, projection de l'auteur, tombe amoureux d'Aelita, la fille du dirigeant Touskoub, Gusev prend la tête d'une révolution prolétarienne. Le roman, sans être anticommuniste est loin d'être une oeuvre de propagande, le héros Los, ébloui par ce nouveau monde et sa belle Martienne ne fait qu'assister passivement aux événements, tandis que Gussev, révolutionnaire professionnel, sorte de Trotsky qui serait homme d'action, n'est motivé que par son ambition personnelle. La révolution échoue lamentablement et Los perd Aelita, nos deux Soviétiques devant fuir précipitamment pour la terre.
De tout cela il ne reste pas grand-chose dans le film, seul le dernier quart d'heure précédant l’épilogue (durant lui-même une dizaine de minutes) est véritablement tiré du roman (roman dont l'auteur n'a pas participé à l'adaptation).

 

 

Si Aelita n'est pas tout à fait un film de SF (on peut même se demander si son statut de précurseur dans ce domaine n'est pas en partie usurpé) il est par contre un des premiers films à marketing viral, aussi surprenant que cela puisse paraître au vu de son origine. En effet, si dans le déroulement de l'histoire les scènes d'ouverture avec le mystérieux message radiophonique n'ont pas grand intérêt (et on les oubliera avant d'en avoir l'explication à la toute fin de l’épilogue) celles-ci servirent en fait à la promotion du film, qui fut précédée d'une intense campagne de presse (qui dura 6 mois !) avec ces 3 termes sibyllins "Anta... Adeli... Uta" imprimés sur les pages des journaux sans la moindre explication jusqu'au jour de la sortie d'Aelita.

Grâce à cette publicité bien orchestrée, Aelita fut un immense succès public en URSS, mais fut reçu assez tièdement par la critique qui lui reprocha sa trahison de l'oeuvre littéraire et surtout, à l'époque de Vertov, Eisenstein et consort, sa mise en scène d'un conformisme d'un autre temps (Protazanov était un pionnier du cinéma russe tsariste), se donnant des airs faussement avant-gardistes à bon compte grâce aux décors et aux costumes de la partie martienne, en plus d'être une oeuvre destinée à l'exportation et calibrée pour plaire aux publics internationaux (le film fut financé partiellement par une souscription lancée par des syndicats allemands). Des reproches en grande partie fondés mais qui cachaient des motifs moins nobles, la plupart des critiques étant liés aux maisons de production nouvelles, toutes entreprises d'état, alors que Aelita était produite par leur concurrente la "Mejrabpom-Rus" une coopérative (en 1924 l'URSS est en pleine Nouvelle Politique Economique), émanation d'une firme tsariste et future "Gorky Film Studio".

 

 

Dans les années 30, avec l'arrivée du parlant le film fut oublié, en partie il faut bien le dire parce que comparé aux grands classiques soviétiques du muet, le film fait pâle figure, mais surtout parce qu'il pouvait donner une mauvaise image de l'URSS pour ceux qui n'avaient pas connaissance du contexte historique, en dépeignant un pays où règne la pénurie alimentaire et le manque de logement et dont les policiers (au moins un en tout cas) sont des bouffons incompétents.

Ce qui est paradoxal dans cette mise au purgatoire, c'est qu'elle intervient au moment de la mise en vigueur du réalisme soviétique, que le classicisme dans la réalisation d'Aelita anticipait, et de la mise au rebut de façon plus ou moins brutale de la Nouvelle Politique Economique (NEP), alors que l'aspect propagandiste d'Aelita pouvait passer comme une critique de ses excès, même s'il s'agit plutôt d'une critique du "capitalisme" (sachant que le film lui même n'aurait jamais existé sans la NEP). Il faudra attendre la remarquable restauration de ce film par la Russico pour qu'il soit à nouveau visible par le plus grand nombre.

90 ans après sa création, ce qui impressionne toujours dans Aelita, c'est ce qui reste du roman du camarade comte Aleksey Tolstoï, à savoir la partie martienne du métrage, même si la révolte des opprimés est hélas assez confuse et vite expédiée, soulignant ainsi les lacunes de la réalisation. On insistera donc sur la beauté et l'originalité des décors et des costumes, enfin surtout des décors (bien que relativement peu nombreux, faute de moyens pourtant déjà énormes pour l'époque) de cette partie martienne, dont la paternité est attribuée à la célèbre peintre constructiviste (ou cubofuturiste) Aleksandra Ekster, même si elle n'est officiellement créditée que des costumes.

 

 

On sera moins enthousiaste concernant l'interprétation, tout du moins dans la norme de ce qui se faisait au temps du muet. D'ailleurs, si Nikolai Batalov et Igor Ilyinsky, les 2 éléments comiques du film, et Yuliya Solntseva, l’interprète du rôle-titre, accéderont à la célébrité par la suite (Solntseva deviendra même réalisatrice dans les années 50), au point qu'ils sont souvent présentés comme les vedettes de ce métrage alors qu'ils n'y tiennent que des emplois secondaires, pour la plupart des autres acteurs ce sera leur dernière (voire leur unique) apparition sur le grand écran.

Le héros du film, Nikolai Tsereteli, assez transparent dans un double rôle, était un vétéran de l'éphémère époque du cinéma Tsariste ayant déjà souvent tourné pour Protazanov. Son nom (et son physique) bien plus iranien que slave, est en fait un pseudonyme cachant un patronyme encore plus exotique : Said Mir Khudoyar Khan. Il était l'héritier du khanat de Boukhara, protectorat russe sous l'empire, intégré à la RSS d'Ouzbékistan après la révolution.

Protazanov était lui un pionnier du cinéma russe, il est même le réalisateur le plus prolifique de l'époque tsariste, il se rallia un temps à la révolution avant de fuir pour la France en 1920 au plus fort de la guerre civile, et ne rentrera au pays qu'en 1923 (comme le camarade comte Aleksey Tolstoï) avec l'amnistie faite aux émigrés. Aelita sera son premier film soviétique et le plus célèbre, il continuera ensuite de tourner jusqu'aux années 40 alternant comédies, films de propagande et adaptations d'oeuvres littéraires ou théâtrales, (Aelita étant en quelque sorte les trois à la fois) sans jamais rencontrer le même succès.

 

 

Enfin, terminons par une citation du célèbre écrivain américain de science-fiction Frederik Pohl (ne serait-ce que pour avoir un avis plus enthousiaste) :
"Aelita avec tous ses défauts est l'un des meilleurs films de science-fiction de l'ère du cinéma muet, ce n'est qu'un demi-siècle plus tard (avec l'avènement de "Solaris") que le cinéma soviétique pourra offrir quelque chose de tout aussi impressionnant."


Sigtuna

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