Companeros
Titre original: Vamos a Matar, Companeros !
Genre: Western spaghetti
Année: 1970
Pays d'origine: Italie / Espagne / Allemagne
Réalisateur: Sergio Corbucci
Casting:
Franco Nero, Tomas Milian, Jack Palance, Fernando Rey, Iris Berben, José Bodalo, Eduardo Fajardo, Karin Schubert...
 

En pleine révolution civile mexicaine le pouvoir en place est menacé par deux groupes qui cherchent à le renverser : les disciples de Xantos, un intellectuel pacifiste qui n'a pour but que de tout redistribuer au peuple ; et le général Mongo, grossier personnage qui ne se sert de cette révolution aux idéaux pseudo prolétaires qu'à des fins d'enrichissement personnel.
Deux personnages vont se retrouver liés dans ce contexte, et malgré leurs différences se rejoindront dans l'aventure. D'un côté Vasco, simple cireur de bottes et grande gueule notoire, qui se verra confier (bien malgré lui et sur un malentendu) par l'horrible Mongo la mission d'aller au village de San Bernardino pour massacrer la population et en prendre possession. Il y fera la rencontre de Yodlaf Peterson, un marchand d'armes suédois simplement venu vendre ses fusils au plus offrant. Les deux personnages ne cesseront de s'affronter (le plus souvent verbalement) et naîtra alors une relation très passionnelle au sein de laquelle ils remettront quelque peu leurs valeurs en question... Le tout sur fond de révolution chabadada.

 

 

J'ai toujours trouvé en ce film l'un des plus beaux cinémas de quartier qui soit, et m'est avis que ce n'est pas demain la veille que cela changera. Western Zapatiste à la désillusion conséquente voire dépassée, film d'aventures riche en péripéties, récit initiatique truculent, spectacle picaresque par excellence, Vamos a Matar... est une variation sur le même thème que le formidable et crépusculaire Le Mercenaire tourné deux ans avant par approximativement la même équipe. Si Franco Sollinas n'est plus au scénario, ses bases y restent néanmoins fortement représentées et, derrière la caméra on tient un Sergio Corbucci au top de sa forme, teintant tout le film d'un rire jaune amer, mélancolique, dont l'humour et l'ironie seraient la meilleure parade à un idéal inaccessible... "Touché, coulé, carton plein !" serais-je tenté de dire, puisque, ici, tout fonctionne à merveille avec du souffle, du souffle et encore du souffle...
A en croire le bonus du dvd zone 1 de chez Anchor Bay, et les diverses interviews qui le composent, le tournage aurait été idéal. Que du bonheur ! Et de la complicité entre les acteurs et l'équipe du film au diapason. Et bien il est peu dire que ce bonheur là est partagé. Le seul petit hic qui n'est pas un, serait la comparaison avec son prédécesseur Zapatisto-anar El Mercenario avec qui il partage d'énormes similitudes. D'abord cette construction en flash back avec un duel amorcé en début de film et le "pourquoi du comment" nous en sommes arrivés là, une construction en triangle certes puisée chez Sergio Leone et son "Bon, la brute et le truand" et que l'on retrouve à nouveau ici tout en s'en démarquant complètement ; des personnages qui se ressemblent, avec un Tomas Milian qui aurait pris ici la place de Tony Musante en bandido de base, un Franco Nero tout aussi vaniteux et cynique - ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'au-delà du "Suédois" on l'appellera surtout "Il Pinguin" - et un méchant mémorable et hilarant joué par un Jack Palance s'éclatant à jouer l'accro à la cigarette chargée en substances hallucinogènes. Ce dernier les aspire comme s'il manquait d'oxygène, en plus d'être accompagné d'une espèce de femelle faucon Pinkerton du nom de "Marsha" et dont il ne se sépare jamais. Celle-ci l'ayant sauvé jadis d'une crucifixion en lui bouffant la main qui n'est plus que bois ganté, on a même droit à un rapport sexuellement drôle et ambigu à cet égard. Alors, Le Mercenaire ou Companeros ? Les deux général Xantos !

 

 

Il est étonnant de constater de quelle manière Sergio Corbucci a évolué depuis son Django et son Grand Silence, passant alors d'oeuvres les plus sombres qui soient à des oeuvres beaucoup plus légères. A ce titre Companeros n'est pas loin d'être un tournant, puisque le suivant (On peut même parler de trilogie sur le thème de la révolution avec Le mercenaire), un cousin lointain et tardif, le génial Mais qu'est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? affirmera cette tendance au traitement encore plus distancié et léger. L'alchimie quasi-parfaite est atteinte ici et le metteur en scène ne cessera de décliner par la suite cette tendance allant du truculent verbiage Sonny and Jed au comique aimable et bon enfant (Salut l'ami adieu le trésor) pour parfois sombrer dans le pathétisme feignant dont le meilleur garant serait Le blanc, le jaune et le noir. On ne s'attardera pas sur une fin de carrière médiocre et même pire parfois. Corbucci n'est pas le seul et si les années 70 lui furet inégales, les années 80 comme pour nombreux de ses confrères lui furent fatales.

Avec Companeros le réalisateur est dans sa plus belle période. Celle où ce dernier se plaît à emmener ses scénarios gauchistes "Solinesques" dans un no man's land empreint d'un mélange de nihilisme, de cynisme mélancolique et d'anarchisme euphorisant. Anarchisme euphorisant au sein duquel celui-ci se permet un peu tout, pas dupe de soi pour un peso, balançant ici voiture de pompier, et surtout pas mal de dynamite ! L'armée mexicaine est toujours aussi malhabile avec les armes, et il est amusant de voir comment celui-ci joue avec un espace spatio-temporel dans lequel les poursuivants se retrouvent on ne sait comment toujours devant, même à pied (?!) et tout ce qui pourrait être montré du doigt par les puristes comme invraisemblances ou anachronismes participe au final à cet élan plus contagieux que jamais pour la Libertad !

On comprend bien que la sympathie du metteur en scène va à l'humaniste révolutionnaire Xantos (épatant Fernando Rey), en âme pure et adepte de la non violence, mais on soupçonne fortement Sergio Corbucci de préférer Malcom X à un Martin Luther King et il ne se gêne pas pour le signifier. D'ailleurs ce bon Xantos foutra une de ces baffes à un révolutionnaire qui remettra en cause son pacifisme, une scène qui en deux secondes dira tout. Ce même Xantos sera même assommé par Le suédois qui n'a pas tant d'états d'âme, et ce pour la bonne cause. A un ou deux moments le film se fera même plus grave dans son propos, avec notamment cette scène assez violente dans laquelle les jeunes étudiants révolutionnaires tireront dans un même élan sur le despote, se démarquant alors des idées de leur leader. Pareil, à bien y regarder, Le suédois (Il Pinguin : Franco Nero) autant que le Pollack (dans Le Mercenaire) constituent la vanité occidentale et une politique d'interventionnisme au sein du tiers-monde motivée principalement par l'appât du gain. Quant à Tomas Milian, ma foi en caricature du Che, et avec son parcours allant du simple bandit sans scrupule à l'éveil d'un idéal, propose une vision assez cynique, et même sceptique des motivations militantes.

 

 

Bon, que dire ensuite, sinon, qu'en premier lieu, c'est tout de même le magnifique spectacle qui primera avant la réflexion (heureusement) et l'on se surprendra même a être parcouru de frissons lors de gunfights coupés au cordeau (merci au monteur en passant : un travail remarquable et précieux de Eugenio Alabiso : "Mannaja"), le genre de frissons dont seul un tel souffle est capable d'en procurer, on aura même envie de rentrer dans le film afin d'y récupérer l'immense mitrailleuse prise à bout de bras par Franco Nero pour foncer et tirer dans le tas et pour le relayer. Le dosage tout en alternance scènes d'action / humour / truculence verbale entre les deux protagonistes principaux, reste simple mais fait carrément des merveilles, Franco Nero et Tomas Milian y sont au top de leur forme. Les seconds plans ne sont pas en reste avec entre autres la jolie Iris Berben (beaucoup de télé vers la fin dont des épisodes de Derrick), les horribles Eduardo Fajardo en colonel et surtout José Bódalo en général Mongo, dont la révolution ne semble faite que pour se mettre à son service (difficile d'oublier ses exécutions sommaires pendant son rasage et à l'aide de son miroir).
Ailleurs, la photographie d'Alejandro Ulloa incite aux superlatifs, tant l'exploitation de l'Espagne lumineuse est au maximum et aussi belle que dans Le Mercenaire, dans lequel il assurait déjà la somptueuse photographie. Et puis bien sûr, cette musique à la fois entraînante, obsédante et une fois de plus indispensable dès lors qu'on l'a entendu du señor Morricone.
Au final, un chef-d'oeuvre, ni plus ni moins. Et qu'on arrête de dire des conneries (comme j'ai pu en lire sur des sites pourtant réputés) du genre qu'il s'agirait là d'une déclinaison de la "révolution" de Sergio Leone. Tournée deux ans plus tard (et quatre années après El Chuncho et Le Mercenaire), si déclinaison il y a, c'est celle de Leone sur Corbucci et consort mais certainement pas le contraire. Messieurs décomplexez vous du père Leone et un peu d'honnêteté ne ferait pas de mal à certains. Trêve de moulin à vent (bonjour Cuchillo !), ce film là vaut tous les Leone du monde.

 

 

Note : 9,5/10

Mallox
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