Meurtre à la mode
Titre original: Murder à la Mod
Genre: Comédie , Thriller , Expérimental
Année: 1968
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Brian De Palma
Casting:
Jared Martin, Margo Norton, Andra Akers, William Finley, Ken Burrows, Jennifer Salt...
 

Etrange parcours que celui de Brian De Palma. Metteur en scène de renommée mondiale, l'homme s'est fait une réputation à travers ses thrillers, tendance "Hitchcock" ("Obsession", "Pulsions", "Blow Out"), ou à connotation fantastique (Soeurs de sang, "Carrie au bal du diable", "Furie"). Tous ces films sont devenus des classiques, et l'on oublierait presque que le cinéaste a réalisé, dans sa première partie de carrière, un certain nombre de comédies, avec parfois un jeune Robert De Niro en tête d'affiche ("Greetings", "Hi, Mom !"). Avant cela, De Palma, né en 1940, avait débuté dans le cinéma en réalisant une demi-douzaine de courts durant la première moitié des années soixante. Il se lance ensuite dans l'aventure du long métrage, et cela aboutit à ce Murder à la Mod, un film pour le moins curieux.

 

 

Il est question dans ce film d'un jeune photographe, Chris, travaillant sur le concept de la "photobiographie" (terme pompeux désignant un simple book amélioré par un texte). Financièrement dépendant, il a besoin d'argent afin de divorcer de sa femme. Il a fait la connaissance de Wiley, producteur de nudies et divers films d'exploitation, et ce dernier lui propose de réaliser un film correspondant à ses critères. Dans cette optique, Chris sera assisté d'Otto, un photographe de mode passablement allumé. Reste à Chris à dégotter une actrice qui acceptera de se déshabiller devant la caméra. Sa petite amie Karen, plutôt jolie, serait un excellent choix, mais acceptera-t-elle ? Afin de la décider, Chris va devoir faire preuve de beaucoup de ruse. Entretemps, Tracy, une amie de Karen, est revenue à New-York après un long voyage. Les deux jeunes femmes se retrouvent, ne se doutant pas que l'une va bientôt se retrouver être le témoin indirect d'un crime pervers, et l'autre la victime de ce meurtre.

 

 

Meurtre à la mode est l'exemple type du film "bâtard", dans lequel on voit la patte d'un réalisateur doué mais pas encore affirmé. Brian De Palma expérimente le difficile passage du court au long métrage, un exercice "casse-gueule" dans lequel il ne parviendra pas à éviter un certain nombre d'écueils. A travers le film, on se rend compte à quel point le cinéaste a "le cul entre deux chaises". Murder à la Mod baigne autant dans le thriller que dans la comédie ; et pourtant, à l'arrivée, on a le sentiment d'avoir été le témoin d'aucun des deux genres cités, mais plutôt d'avoir "subi" un film expérimental, à la limite de l'art et essai.
Cette oeuvre fait en quelque sorte office de brouillon, duquel émergeront les deux voies prioritaires choisies par De Palma jusqu'au début des années 80 : la comédie et le thriller.
Ce n'est pas une surprise si à travers ce premier film on constate que De Palma s'avère plus doué pour le suspense. Les éléments comiques, essentiellement représentés par le personnage d'Otto, tombent le plus souvent à plat, et font référence au cinéma muet. On voit successivement Otto tomber la tête la première dans une tarte à la crème, tenter vainement de rentrer dans un ascenseur avec une malle encombrante, et déambuler en accéléré dans les couloirs du studio. Rien de très original, De Palma utilise des ressorts burlesques déjà usés jusqu'à la corde à cette époque. Si l'on rajoute une scène bien trop longue entre Tracy et un directeur de banque passablement gâteux (joué par un acteur sans relief ne pouvant s'empêcher de fixer la caméra), et un passage sans intérêt dans lequel Karen est interpellée par un policier, on réalise à quel point Meurtre à la mode comporte bien des imperfections. Fort heureusement, le style qui fera plus tard la réputation du cinéaste pointe déjà ici par moments. La caméra en tant qu'outil de voyeurisme est un élément essentiel du film, et on la retrouve en plusieurs occasions. Dès le début, on voit deux filles invitées devant la caméra de Chris pour un essai, en vue d'un rôle. Plus tard, Chris utilise la caméra pour montrer à Karen le travail de Wiley. Et puis, il y a la caméra dissimulée dans le plafond de la chambre, située au-dessus du lit.

 

 

Dans sa structure, Meurtre à la mode se divise en deux parties égales au niveau de la durée. La première partie s'arrête quasiment au milieu du film avec le meurtre de Karen. La seconde partie s'apparente à une déstructuration chronologique des événements, dans laquelle on remonte régulièrement le temps au fil des événements en question, ces derniers étant perçus à chaque fois par un protagoniste différent. Ainsi, après la mort de Karen, à 15H42 (l'heure sera indiquée à l'image à chaque "moment-clé"), on retourne dix minutes en arrière, le spectateur suivant le personnage de Tracy. Puis, on remonte plus loin en arrière, et l'on suit cette fois l'action avec les yeux d'Otto. Enfin, on revient encore plus loin dans le temps une dernière fois, avec Chris, jusqu'à la révélation du véritable coupable.
Cette vision d'un événement commun montré successivement par le biais de différents protagonistes rappelle évidemment le "Rashõmon" d'Akira Kurosawa (1950). Ce procédé sera d'ailleurs repris dans "L'Outrage" (1964), ainsi que dans Une nuit mouvementée de Mario Bava (1969).

A propos du casting, on retiendra avant tout le premier rôle au cinéma de Jared Martin, dans la peau de Chris. Vu dans pas mal de séries TV, l'acteur américain fera quelques incursions en Italie, hélas dans deux films peu recommandables de Lucio Fulci : 2072, les mercenaires du futur et Aenigma. Otto est quant à lui incarné par William Finley, ici pas franchement convainquant (il chante également le titre du générique d'ouverture). Finley prouvera néanmoins toute l'étendue de son talent dans d'autres oeuvres de De Palma, puisqu'il sera dans "Soeurs de sang", et surtout incarnera Winslow dans "Phantom of the Paradise". On verra aussi l'acteur dans quelques séries B comme "Le crocodile de la mort" et Horreur dans la ville. Enfin, on retiendra aussi l'apparition (assez brève) de Jennifer Salt, qui aura par la suite un rôle plus consistant dans "Soeurs de sang". Elle a notamment joué dans Macadam Cowboy, mais aussi dans une sympathique série B horrifique, "Gargoyles".

 

 

Que peut-on retenir de ce Murder à la Mod ? Avant tout, une première partie prometteuse (bien qu'inégale, à cause notamment du passage de la banque et celui du policier) ; mais également quelques éclairs dans une seconde partie par trop confuse. Parmi les points positifs, la scène du cimetière filmée en deux temps demeure un brillant exercice de style. Meurtre à la mode, sinon, n'est que le brouillon qui préfigurera les futurs chefs d'oeuvre de Brian De Palma. Cela étant, le film mérite qu'on s'y attarde, pour peu que l'on s'intéresse de près à la filmographie d'un réalisateur qui a bien du mal à retrouver, ces dernières années, son talent et son imagination.

 

Note : 5/10

Flint


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