Début 1945, dans la cité de Venise - la guerre prend un tournant décisif, l'Allemagne est sur le point de perdre. Dans un climat politique tourmenté et oppressant, Livia Mazzoni, une riche bourgeoise ayant dépassé la quarantaine, s'ennuie avec son mari Carlo, accusant vingt-huit ans de plus qu'elle. Lors d'une représentation théâtrale perturbée par des partisans anti-fascistes, Livia fait la connaissance d'un jeune lieutenant de la Schutzstaffel, Helmut Schultz (dont on connaît le papa).

 

 

Bien plus jeune qu'elle, Schultz traîne une réputation de débauché qu'il ne cherche d'ailleurs même pas à dissimuler. Le lieutenant aime manifestement plus l'amour que la guerre, l'amour libertin de préférence, et accessoirement l'alcool, sans oublier les parties de cartes lors de soirées orgiaques organisées chez Elsa, une actrice lesbienne tournant dans quelques films de propagande.

Livia tombe éperdument amoureuse de Helmut. Une passion effrénée commence alors, mais est-elle vraiment réciproque ? L'officier allemand, croulant sous les dettes de jeu et devant payer des pots de vin afin d'éviter d'aller au front, a besoin de beaucoup d'argent pour s'en sortir. Livia, aveuglée par son amour pour cet amant qui lui offre tout ce qu'elle n'osait espérer, prend tous les risques pour aider Helmut, avec qui elle compte refaire sa vie.

 

 

Coincé entre "Trasgredire" et "Fallo !", Senso '45 est sans aucun doute la dernière oeuvre majeure réalisée par Tinto Brass. Comme son titre l'indique, ce film est une adaptation du "Senso" de Luschino Visconti, tourné en 1954, avec Alida Valli et Farley Granger. Visconti avait lui-même adapté une nouvelle de Camillo Boito publiée en 1883.
A l'origine, "Senso" se déroule à Venise en 1866, durant l'occupation autrichienne. Si Visconti conserve le même cadre, Brass le transpose quant à lui dans l'Italie de la seconde guerre mondiale. Si, dans l'esprit, il est assez proche de la nouvelle de Boito, le cinéaste italien reste cependant fidèle à lui-même en saupoudrant ce drame sur fond d'occupation d'une forte dose d'érotisme. De plus, pour que le spectacle soit au rendez-vous, il fallait trouver deux acteurs capables d'être crédibles tant au niveau du jeu que des scènes érotiques. Et Tinto Brass a encore eu du flair en allant chercher Anna Galiena. Après avoir tourné dans un giallo, "Où est passée Jessica", l'actrice italienne poursuit sa carrière en enchaînant les films d'auteur de bonne facture et à la réputation sulfureuse, comme "Jours tranquilles à Clichy", "Le mari de la coiffeuse" et "Jambon, jambon". En 2002, lors du tournage de Senso '45, Anna Galiena est âgée de quarante-sept ans, et possède donc le profil idéal pour endosser le rôle d'une bourgeoise arrivant à un tournant dans sa vie sentimentale. De plus, sa parfaite plastique fait merveille dans les scènes de nu ; l'actrice avait donc tous les atouts pour devenir une héroïne "brassienne".

 

 

Son partenaire, Gabriel Garko (de son vrai nom Dario Oliviero), est quant à lui quasiment inconnu du grand public, et il a essentiellement tourné pour la télévision italienne. Abordant tout juste la trentaine, l'acteur, teint en blond pour les besoins du film, possède le profil aryen idéal et campe de ce fait un officier SS plus vrai que nature. Qui plus est, son jeu d'acteur tient bien la route, puisqu'il est convaincant dans ce rôle de personnage ambigu (aime-t-il vraiment Livia ? Le doute persiste très longtemps) et décadent, brûlant la vie par les deux bouts, débauché mais sincère, ce qui le rend presque sympathique au bout du compte.

Pour les seconds rôles, Tinto Brass a retenu quelques acteurs coutumiers de ses films, tels Franco Branciaroli ("La Clef", "Miranda") et Antonio Salines (Le Voyeur, "Monella"). Concernant
la gent féminine, le charme est encore une fois au rendez-vous, avec des actrices aperçues pour la plupart dans des productions érotiques. C'est le cas de Simona Borioni ("Désir meurtrier" de Sergio Martino), Loredana Cannata ("La donna lupo") ou encore Erika Savastani ("Provocation" de Joe D'Amato).

 

 

Senso '45 est doté d'une très belle photographie (Brass a toujours fait appel à d'excellents techniciens dans ce domaine), et à propos de la musique, après Riz Ortolani (Paprika, Le Voyeur et "P.O. Box") c'est un nom encore plus prestigieux que le cinéaste italien a engagé, puisqu'il s'agit d'Ennio Morricone en personne. Cela étant, bien qu'agréable à écouter, cette bande originale demeurera somme toute anecdotique dans l'oeuvre du maestro. Le film possède la particularité d'utiliser le noir et blanc pour indiquer le temps présent et la couleur pour les scènes se déroulant au passé, ces dernières occupant la majeure partie du film.
On retrouve évidemment dans Senso '45 la plupart des pêchés mignons du réalisateur, à savoir quelques gros plans avantageux sur les croupes féminines, le passage (obligatoire) où l'héroïne va aux toilettes ainsi qu'une scène d'urolagnie. On notera aussi que Tinto Brass abandonne ses fameuses prothèses masculines simulant les sexes en érection et que lors de la scène d'orgie située au milieu du film, les sexes des acteurs sont bien "réels".

En dehors de son aspect foncièrement érotique, Senso '45 est également un très beau portrait de femme, une femme qui d'une part redécouvre la passion, et découvre d'autre part son animalité. Sa liaison avec Helmut lui redonne goût au plaisir charnel en même temps qu'elle réapprend à aimer son corps, au point d'en user et d'en abuser comme s'il était vital de rattraper le temps perdu.
Ma conscience se dissolvait dans le plaisir, confie Livia lors du passage où elle s'offre à Helmut et Elsa. Le plaisir est la clé, et dans ce domaine Tinto Brass est passé maître depuis fort longtemps.

 

 

Flint

En rapport avec le film :

# La fiche dvd Bach Films de Senso '45