Week-end pour Eléna
Titre original: Helena y Fernanda
Genre: Giallo , Thriller
Année: 1970
Pays d'origine: Espagne / France
Réalisateur: Julio Diamante
Casting:
Gérard Barray, Valérie Lagrange, Teresa Gimpera, Alberto Dalbés, Helga Berlin, Eduardo Fajardo, Juan Juliana, Ralph Neville...
Aka: Névrose / Week-End pour Heléna
 

A Barcelone, Carlos (Gérard Barray), riche industriel ayant repris l'entreprise de son père, traverse une période de profonde dépression. Ses journées lui paraissent interminables, ses nuits sont émaillées de cauchemars récurrents dans lesquels il s'imagine prisonnier d'une cage de bambou et voit Eléna (Teresa Gimpera), sa femme, sur une plage, prête à le tuer avec ses ciseaux à ongles, ce tandis qu'une jeune fille joue au cerf-volant...
Carlos consulte alors un psychiatre (Eduardo Fajardo) qui lui explique les symptômes de sa névrose persistante : une pathologie semblant répondre à une frustration affective et sexuelle. Bien que marié depuis un an seulement, le couple unissant Carlos et Eléna bat de l'aile. Heureux encore que Carlos puisse compter sur son fidèle assistant et meilleur ami (Alberto Dalbés) pour parfois se confier.
Voici qu'Eléna invite l'une de ses cousines, Fernanda, à venir passer quelques jours dans leur domaine pour tromper leur monotonie.
Est-ce par manque affectif ? Toujours est-il que Carlos tombe rapidement sous le charme de Fernanda, un détail qui n'échappe pas à Eléna, laquelle, par jalousie et pour sauvegarder les apparences, pique une crise en pleine réception. Après cette colère publique, Fernanda décide de quitter les lieux et s'en va à la gare prendre le train. Un peu plus tard, une fois les convives partis, Eléna s'en prend violemment à Carlos, traitant Fernanda de salope à plusieurs reprises pour le défier et le faire craquer. Carlos la gifle en retour, mais à la troisième gifle, la tête d'Eléna heurte l'une des statues de la propriété avant que la femme ne s'écroule. Le constat est sans appel : Eléna est morte !

 

 

Mais voici que Fernanda revient : impossible pour elle de se résigner à quitter, et sa cousine sur les bases d'une dispute, et Carlos dont le charme semble ne pas la laisser insensible, même si sa proximité, voire son attirance pour Eléna, la rend trouble dans ses intentions. Elle retrouve alors un Carlos bouleversé dont le premier réflexe est d'appeler la police. Fernanda lui fait raccrocher le téléphone puis lui propose de prendre l'identité d'Eléna. Signe particulier pour tromper le monde, tout du moins de loin et dans la perspective de fuir plus tard : une perruque rousse et les énormes lunettes noires que portait constamment Eléna. Ainsi, non seulement les deux amants pourront vivre ensemble mais échapperont-ils à la justice pour ce crime, même involontaire. En attendant, ils chargent de nuit le cadavre sur un petit bateau. Avant de le jeter à l'eau, Carlos croit voir le pied d'Eléna remuer mais Fernanda se dépêche de la balancer à la flotte, l'impression première de Carlos étant mise sur le dos de sa psyché perturbée. Le temps passe, les choses ne se déroulent pas si mal jusqu'au moment où Fernanda, qui a alors pris comme prévu la place d'Eléna, reçoit un appel de l'amant de sa cousine, lequel aimerait la voir...

 

 

Week-end pour Eléna est tout d'abord une coproduction hispano-française qui faillit ne jamais sortir dans les salles : après "Le témoin", un autre thriller avec Gérard Barray et Claude Jade, et avant le Meurtres au soleil de Antonio Isasi-Isasmendi, deux films pour lesquels l'acteur était engagé comme producteur aux côtés de René Thévenet, Gérard Barray semblait selon ses propres dires tenir beaucoup à ce projet. Le film terminé, l'acteur le présente à son ami Bernard Borderie alors patron de la société Prodis. Le contrat de distribution est signé, et les banques spécialisées n'hésitent pas à avancer l'argent nécessaire au doublage, tirage des copies et tout ce qui pouvait permettre au film de faire sa vie. Hélas, le jour de la première échéance, Borderie, décomposé, annonce à son ami que Prodis est en faillite et qu'aucun fond ne peut du coup être débloqué. Ainsi, Heléna y Fernanda ne connut qu'une sortie très confidentielle en France puisqu'il ne fut projeté au final que dans une seule et unique salle, le Studio Publicis, où il ne glana pas beaucoup d'entrées. Il est vrai aussi que les moyens mis alors à disposition n'aidèrent pas puisqu'ils étaient quasiment réduits à néant. Du coup, Heléna y Fernanda reste encore à ce jour un film presque introuvable. Pourtant, à le découvrir 40 ans plus tard, il est très loin de mériter ce sort...

 

 

Ecrit et réalisé par Julio Diamante, auteur jusque lors d'une petite poignée de films oubliés aujourd'hui mais qui le classèrent à l'époque dans la catégorie des honorables artisans, Week-end pour Eléna n'est rien d'autre que le pendant ibérique à la sauce cassoulet des gialli tendance machination ayant alors cours en Italie. Du fait de son pied en Espagne, on pourrait même franchement le classer dans le genre tant il fait partie de la même mouvance, empruntant à tout va à Boileau & Narcejac. Il est même étonnant de voir à quel point Heléna y Fernanda navigue dans les mêmes eaux "diaboliques" que les gialli de Umberto Lenzi (Une folle envie d'aimer, "Si douces, si perverses") ou même encore Una sull'altra de Fulci. Rajoutons à cela la tendance arty propre à la fois aux films cités mais aussi à des bobines assimilées au même genre (souvent à tort), comme "Le coeur aux lèvres", Femina Ridens, Fata Morgana.

De la série noire au giallo, il n'y a parfois qu'une page à tourner ou une traduction à faire pour que l'un se fonde dans l'autre. Ici, c'est simple, et sans trop vouloir en dévoiler, Julio Diamante tisse sa toile sur les bases des "Diaboliques" en le mixant au "Vertigo" d'Hitchcock (ou plus précisément à "D'entre les morts", le roman dont il est issu). A défaut d'être totalement convaincant, Heléna y Fernanda rivalise sans problème avec ses homologues italiens. Disons, pour résumer, que dans ses pires moments on pense à "Si douces, si perverses", et dans ses meilleurs à Perversion Story, alors que l'ensemble demeure assez proche de Il fiore dai petali d'acciaio tourné peu après. Il y a une certaine filiation entre le personnage dépressif de Carlos ici-présent et le Andrea Valenti campé par Gianni Garko ; idem pour les présences de Valérie Lagrange et Teresa Gimpera qui préfigurent les personnages campés par Carroll Baker et Pilar Velázquez dans le film de Gianfranco Piccioli. Ajoutons à cela que l'entame, très onirique, annonce également Una lucertola con la pelle di donna avec un rêve qui pourrait bien se révéler prémonitoire.

 

 

Week-end pour Eléna a toutefois quelques avantages à faire valoir sur pas mal de ses homologues : il est tout d'abord mené à bonne allure et, contrairement à pas mal de gialli machination souvent surfaits, il ne pâtit en tout cas, ni de chutes de rythme importantes, ni d'une constante stagnation comme on a pu parfois le voir (Une folle envie d'aimer, par exemple, à bien y regarder, n'est rien d'autre qu'une pièce de théâtre autant chiadée que plombée).
L'intrusion au sein d'un monde bourgeois soucieux des apparences, lequel s'échinera à cacher ses méfaits, n'est pas nouveau ; en revanche il est assez étonnant et plaisant de voir les milieux intellectuels dépeints comme de stériles mondes faits de poseurs qui s'écoutent parler. La scène de la réception, avant l'accident fatal, est éloquente à ce sujet. Carlos lui-même, pourtant chef d'entreprise, se décrit d'ailleurs lui-même comme intellectuel alors que la caméra s'attarde entre les convives et des discussions plus vaines, prétentieuses et sans intérêt les unes que les autres. Bref, Julio Diamante prend le temps de dessiner ses personnages, que ce soient les premiers ou les seconds rôles. On pense dans ces moments là aux thrillers sociaux à la Chabrol.
Pour le reste, avouons-le, même si en 1969, lorsque le premier tour de manivelle est donné, tout cela n'a pas encore des allures trop réchauffées ; ça le sera peu après avec une flopée de déclinaisons similaires assez peu imaginatives. Du coup, à le découvrir aujourd'hui, l'histoire pourra paraître convenue et le spectateur lambda aura tôt fait d'en démêler les rouages, ou tout du moins ne tombera pas bien loin des révélations à venir . A le remettre dans son contexte d'époque, et si l'on fait fi de quelque thrillers anglo-saxons ayant frayé les mêmes sentiers, tout comme quelques gothiques italiens une poignée d'années auparavant, Week-end pour Eléna s'en sort bien. Même sur un canevas convenu, le film sait rebondir et distiller ses secrets (de polichinelle) aux bons moments. Un fait relativement rare qui mérite d'être signalé dans la mesure où il permet au spectateur de garder pour celui-ci un intérêt assez constant.

 

 

Si la mise en scène est dans son ensemble alerte, aidée par une excellente partition "très série noire" signée Georges Garvarentz (Le bal du vaudou), le jeu des acteurs est globalement correct lui-aussi. Gérard Barray est très impliqué et cela se voit. Soit, on pourra, au détour de quelques scènes de déprime, le trouver un peu trop théâtral ; mais dans l'ensemble, il joue le jeu, psyché perturbée aidant, avec un certain panache, parvenant même à faire oublier son image de flibustier, très popularisée alors.
Outre Eduardo Fajardo dans un court rôle de psychiatre dont il se dépatouille parfaitement, l'autre maillon fort du film est Alberto Dalbés qui, tiens-donc, tourne ce film-ci et le Paranoïa de Lenzi quasiment en même temps ! A la fois énigmatique et cynique, le tout avec facilité, désinvolture et brio, il fait le lien de façon notable entre les trois protagonistes principaux. Finalement, on sera en droit de rester plus perplexe quant à la prestation très inégale de Valérie Lagrange à qui, du reste, Julio Diamante laisse interpréter une chanson assez pénible. Un passage aussi inutile qu'ennuyeux qui servira même de cristallisation amoureuse entre Carlos et Fernanda. Disons que sa présence semble n'exister que sur les bases d'une ancienne collaboration - plus fructueuse - entre Barray, Borderie et cette dernière : "Hardi ! Pardaillan". Elle n'est pas très convaincante et ce qui ne l'aide pas trop non plus, c'est que, même affublée des ustensiles et vêtements d'Eléna, il reste difficile de les confondre. C'est l'un des gros points faibles de cette bobine pourtant tonique et sympathique. Quant à Teresa Gimpera, que l'on connaît pour ses contributions dans des films tels que Fata Morgana (un autre thriller métaphysique à forte tendance arty), Opération Re Mida, Las amantes del Diablo ou encore La nuit des diables (dans lequel elle interprétait à nouveau un personnage se nommant Eléna), bien que légèrement moins présente à l'écran (rappelons que celle-ci meurt au bout de trente minutes), elle emporte tranquillement l'adhésion, que ce soit en salope ou en victime. L'air de rien, cela achève de donner du crédit à ce pur giallo machination "bâtardisé" de par ses origines.

 

 

Bref, Week-end pour Eléna, pourvu de personnages assez peaufinés, de quelques cadrages inventifs ici et là et d'un montage souvent nerveux, fait partie de ces oubliés qui n'en méritent pas tant.

Mallox

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