Quand, à la bibliothèque, un livre vous arrive dans les mains, il faut parfois avoir la curiosité de l’ouvrir et de se laisser embarquer dans l'histoire. On peut tomber sur une petite perle sans même le vouloir. Peut-être est-ce de la magie ?
Ce roman pourrait très bien s’inscrire dans le courant du réalisme magique tant il ne s’y passe à priori pas grand-chose. Cependant, l’ambiance nostalgique, le point de vue fantasmatique de la narratrice et ses péripéties entre réel et imaginaire en font un ouvrage qui détonne dans un genre sclérosé par ses clichés.
Le cadre du récit coupe les amarres avec le sempiternel médiéval fantastique. Nous sommes en Angleterre entre l’année 1979-1980, laps temporel que nous disséquons dans les pages du journal intime de la jeune Morwenna.
Unité de lieu : Au revoir exotisme elfique de pacotille ! Nous quittons rarement l’école stricte pour jeunes filles, véritable purgatoire, dans lequel l'héroïne est rejetée comme une épave par une famille peu soucieuse de son bien-être. Quelques scènes se déroulent aux alentours, mais l’auteur se cantonne à un décor familier. Ici, la fantasy nait du quotidien, c'est à un voyage immobile - l'héroïne est de surcroît une handicapée - que nous sommes conviés.
Morwenna, âgée d’une quinzaine d’années nous est présentée comme une adolescente prise entre son deuil pour sa sœur jumelle survenue dans de mystérieuses circonstances et ses propres blessures - cette mort a entraîné de graves lésions, réelles ou imaginaires, dans sa jambe. Elle se déplace avec une canne et ne cesse d’être taraudée par une douleur sourde.

Le traitement des éléments fantastiques passe par les perceptions très particulières de la narratrice. C’est ainsi que les fées ôtent les oripeaux stéréotypés pour se métamorphoser en choses étranges, ni minérales, ni végétales, ni animales... D'ailleurs, que sont-elles réellement ?
La magie est ici plus une question de croyance, un système de pensées renouant avec les antiques traditions païennes - une problématique qui demeure le nœud gordien de toute une large part de la fantasy. L’auteur conserve l’ambiguïté sur son existence jusqu’au bout, nous invitant encore une fois à réfléchir, à nous faire notre propre idée en tentant de couper court à nos réflexes philosophiques de représentant de notre 21e siècle cartésien perclus par les débordements morbides des monothéismes.
N’oublions pas en guise de conclusion que ce livre est aussi un excellent prescripteur de littérature de SFFF. Si vous n’avez jamais pratiqué les déambulations dans les arcanes de ces terribles genres, la liste interminable des ouvrages chroniqués par Morwenna vous fournira un point de départ goûteux puisque s’y croisent joyeusement Roger Zelazny, Franck Herbert, Ursula K. Le Guin, et bien sûr l’indispensable Robert Heinlein...

 

Gernier

 

En rapport avec ce roman :

 

- Prix Hugo du meilleur roman 2012 ; Prix Nebula du meilleur roman 2011 ; Prix British Fantasy 2011